Chronique

« On n’est pas une OSBL »

Entrevue avec Philippe Lamarre, le fondateur d’Urbania, alors que le magazine s’apprête à fêter ses 15 ans

« Tiens, un nouveau magazine en papier… Vraiment ? En papier ? »

C’était en 2003 et un exemplaire d’Urbania venait d’atterrir sur mon bureau à La Presse à une époque où le web semblait l’unique voie d’avenir pour tout. Qu’un magazine se lance ainsi dans l’imprimé semblait un acte de grande témérité, surtout que le contenu culturel était décalé, audacieux.

Quelque 15 ans plus tard, le magazine est toujours là, plus en forme que jamais avec son tirage de 10 000 exemplaires, comme si la crise des médias avait contourné cette publication du Plateau sur son terrifiant passage. Et, en plus, la marque se décline maintenant en télé dans toutes sortes de productions. Le 31 mai naîtra aussi Urbania Musique, espace web consacré uniquement à la musique.

Il y a quelques jours, j’ai rencontré le fondateur de la publication, Philippe Lamarre – aujourd’hui copropriétaire du groupe Urbania avec Raphaëlle Huysmans –, pour lui demander la recette de tout ce fructueux dynamisme… Sont ressortis de la conversation cinq éléments cruciaux.

1. Profiter de sa propre ignorance 

« J’ai commencé ça sans savoir ce que je faisais », dit Lamarre, un ancien étudiant de Frédéric Metz, à l’Université du Québec à Montréal, qui a d’abord lancé une boîte de graphisme appelée Toxa. « J’avais juste un besoin de m’exprimer… Mon modèle, c’était Colors de Benetton. » Le magazine, explique l’éditeur, c’était le véhicule de création libre – et donc un espace d’identification de la marque du groupe – pour les membres de l’agence d’où provenaient les revenus. Donc Urbania le magazine n’a jamais eu l’obligation, au départ, d’être profitable, le but étant plutôt que le projet agence + magazine soit viable en entier. « En 2006, quand on s’est lancés dans la télé, c’était pareil. La candeur initiale est cruciale. » Et il ne faut surtout pas écouter les gens qui disent avoir déjà essayé ceci ou cela, en vain. Ainsi, maintenant, Urbania est à la fois un producteur de contenu imprimé, de télé et de communication publicitaire, une combinaison qui n’existait pas à l’époque. Et Urbania, pour citer son fondateur qui le dit en souriant, « n’est pas une OSBL ».

2. Avoir la tête dure 

« On me disait : “Mais voyons, dans un magazine, la pub, ça va à droite parce que c’est la page la plus regardée. Eh bien nous, on la mettait à gauche, parce qu’on voulait que l’article soit le plus regardé. » Les annonceurs, poursuit Lamarre, « ce sont les gens qu’on invite au party, ils ne sont pas le party ». Évidemment, ajoute-t-il, le modèle d’affaires établi au départ a permis au magazine de rester entêté. « On a pu le garder pur dès le départ parce qu’on faisait autre chose pour gagner notre vie. C’est devenu plutôt une carte de visite. » Les marques, dit l’homme d’affaires, ont commencé tôt à remarquer la publication et à prendre contact avec l’agence pour avoir de l’aide dans leurs activités de communication. Toxa a ainsi enrichi sa liste de clients. Mais comme ceux-ci étaient attirés précisément par le genre de contenu produit par le magazine, tout restait « cohérent », dit Lamarre. « Nos clients, on avait envie de travailler avec eux. Mais aussi, on évitait d’en parler dans le magazine. » Lamarre ne considère pas que son magazine est régi par les mêmes principes éthiques séparant hermétiquement annonceurs et contenu rédactionnel que les organes de nouvelles, comme La Presse. Pour lui, pour les nouvelles pures, cette frontière est cruciale.

3. S’obstiner

Urbania a 15 ans, mais c’est il y a cinq ans que le magazine-agence a vraiment décollé solidement, grâce à l’arrivée dans le zeitgeist du mot « millénial ». « Avant, on gagnait notre vie, ça allait bien, mais soudainement, tout le monde s’est mis à vouloir parler à ce groupe-là et nous, on lui parlait depuis le début. » Un conseil : attendre que les astres s’alignent. Être patient. C’est après ça, explique Lamarre, qu’est arrivée l’idée de fondre Toxa et Urbania en une seule et même entreprise, ce qui a été complété en 2015. L’objectif : qu’il n’y ait plus d’ambiguïté auprès des clients, mais aussi au sein de l’équipe. « Avant, il y avait un peu deux gangs. Toxa ceux du cash et Urbania les cool du contenu. » Maintenant, tout le monde est dans la même équipe de 35 personnes, rue Roy. Lamarre aimerait pouvoir dire qu’il avait vu venir ce grand virage social et économique « il faut absolument parler aux milléniaux », mais ce n’est pas le cas. Cela dit, il croit à l’importance de « bûcher ». « Faut que tu y croies tellement que tu continues. »

4. Trouver des gens plus fous que soi

« En fait, je dis fous, mais je veux dire meilleurs », explique Philippe Lamarre. « Il faut trouver des gens avec qui travailler que tu es prêt à lancer à l’eau pour les regarder aller. » Bien des gens, poursuit-il, ont un potentiel immense et ne le savent même pas. « J’ai mis des gens en situation de danger et je les ai vus réussir. » Selon lui, tout bon chef d’entreprise ne doit « jamais se sentir challengé par le talent des autres, au contraire ».

5. ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier 

« Pour le dernier “conseil” de la liste, dit Philippe Lamarre, j’ajouterais “ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier”. Je crois que le fait d’avoir structuré l’entreprise sur trois piliers [média, maison de production et agence de contenu, ou diffusion, production et création] a fait en sorte de diversifier nos sources de revenus. De cette manière, on peut naviguer dans toutes sortes d’eaux et on peut traverser la tempête. »

Plus de faits sur Urbania

• Revenus doublés depuis 2014

• A produit plus de 300 heures de télévision depuis 10 ans

• 38 % de l’auditoire a entre 25 et 34 ans et 83 %, entre 18 et 44 ans

• Plus de 7 millions de vues vidéo dans la dernière année

• Partenariats avec des médias d’envergure, comme Radio-Canada (émission multiplateforme URBANIA en 2017), La Presse (magazine interactif mensuel depuis 2016) et RDS (plateforme Balle Courbe depuis 2015). Productions originales en cours avec V, Unis, Télé-Québec, ICI ARTV, ICI Radio-Canada Télé, ICI Tou.tv, ICI Première.

• Lancement d’Urbania Musique le 31 mai

• Soutenu par le Programme d’aide à l’exportation du Fonds Québecor pour l’exportation de la marque Urbania en France et en Europe francophone

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.