Volés au Québec, mis aux enchères en Belgique

Mois après mois, des véhicules dérobés dans la province et ailleurs au Canada sont interceptés par la police au port stratégique d'Anvers, en Belgique, avant d'être revendus au rabais pour la clientèle européenne. Les vols de voitures, qui feront l’objet jeudi d’un sommet national à Ottawa, sont un crime de plus en plus dangereux.

Interceptés lors d’une escale à Anvers

La hausse des exportations de véhicules québécois volés par les réseaux criminels a fait apparaître un nouveau marché dans la ville portuaire d’Anvers, en Belgique : des encans de modèles nord-américains saisis par la police belge lors d’une escale et revendus au rabais pour la clientèle européenne.

Dans sa cour située juste à côté du port d’Anvers, là où le fleuve Escaut rejoint les eaux salées de la mer du Nord, la maison d’encans AuctionPort propose ces jours-ci plusieurs véhicules arrivés du Québec. Les enchères sont ouvertes : des consommateurs ont déjà misé sur un Jeep Gladiator frappé du logo d’un service de traiteur montréalais, un RAV4 portant la marque du concessionnaire Toyota Angers de Saint-Hyacinthe, un autre RAV4 portant celle du Groupe Park Avenue et une Hyundai Elantra 2021 (un modèle non offert en Europe) avec une inscription d’un concessionnaire de Sherbrooke.

« Toutes les voitures sont des véhicules canadiens volés avec des papiers de sortie de la police belge. Aucune taxe européenne à l’importation n’a encore été payée sur les voitures », précise l’annonce sur le site de l’encanteur, qui offre aussi aux acheteurs intéressés de venir inspecter le matériel en personne le 13 février prochain.

« Les voitures peuvent encore contenir des traces cachées de cambriolage, telles que des modules multimédias de navigation supprimés », lit-on en guise d’avertissement.

En transit vers ailleurs

Ce genre d’offres est fréquent chez AuctionPort. Les archives du site web de l’entreprise montrent que, mois après mois, des lots de véhicules du Québec et du reste du Canada sont proposés au plus offrant. Certains sont vendus avec des souvenirs de leur ancien propriétaire, comme une affiche « bébé à bord », un certificat d’immatriculation de la SAAQ ou un lettrage associé à un entrepreneur en construction lavallois. Selon le niveau de délicatesse des voleurs, les vitres sont parfois fracassées ou les fils de l’ordinateur de bord sont arrachés.

« Les véhicules d’ici qui sont retrouvés en Belgique sont principalement des véhicules volés qui étaient en transit vers ailleurs. Ils vont passer par le port d’Anvers avant de se rendre dans d’autres ports, à travers la Méditerranée, pour traverser en Afrique ou au Moyen-Orient, par exemple », explique Jacques Lamontagne, directeur des enquêtes pour le Québec et l’Atlantique chez Équité Association, un organisme de lutte contre les crimes d’assurances qui regroupe les principaux assureurs canadiens.

Dans l’univers du commerce maritime mondial, le port d’Anvers est depuis longtemps un incontournable. C’est le deuxième en importance d’Europe, avec une superficie de 11 000 hectares, ce qui dépasse la taille de la zone métropolitaine parisienne. Une porte d’entrée stratégique pour le continent, grouillante d’activités, où transitent 271 millions de tonnes de cargo chaque année et où sont implantées 1400 entreprises. Pas surprenant que des véhicules expédiés du Canada y fassent escale en route vers d’autres pays.

Mais si beaucoup de ces véhicules volés y sont interceptés avant de poursuivre leur chemin, c’est parce que les forces de l’ordre locales sont efficaces, affirme M. Lamontagne, lui-même un ancien lieutenant-détective du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« Les douaniers là-bas font un excellent travail et réussissent à saisir les véhicules en transit. Ils ont un gros port, ils ont des ressources financières pour le faire. »

— Jacques Lamontagne, directeur des enquêtes pour le Québec et l’Atlantique chez Équité Association

« Il y a beaucoup d’échange d’informations avec eux. Quand on sait que des véhicules ont quitté par bateau, on transmet l’information à nos partenaires, incluant les douaniers de Belgique. Les douaniers canadiens font la même chose, après le départ de certains bateaux, ils avisent les gens là-bas. Les douaniers belges font aussi des analyses de conteneurs, recoupent des informations pour cibler les bons », affirme l’ancien policier montréalais.

Pour 2022-2023, Équité Association estime qu’environ 200 véhicules volés au Canada ont été retrouvés par les autorités à Anvers. Le même manège s’observe dans plusieurs pays. Des histoires de véhicules volés en France, en Suisse, au Luxembourg et en Belgique, qui sont ensuite envoyés au port d’Anvers afin d’être expédiés pour la revente en Afrique ou au Moyen-Orient, font régulièrement les manchettes des médias européens.

Rapatrier ou pas ?

Lorsqu’un camion ou un véhicule utilitaire sport canadien est saisi par les autorités en Belgique, leur ancien propriétaire a habituellement déjà eu le temps d’être dédommagé par son assureur. Le véhicule appartient donc officiellement à la compagnie d’assurances, qui peut décider quoi en faire.

« Lorsqu’on reçoit l’information, on avise les entreprises de l’endroit où le véhicule se trouve et on leur donne plusieurs références de contacts qui peuvent aider. Ça peut être des encanteurs, des gens qui ramènent les conteneurs ici, il y a plusieurs options. Chaque assureur peut décider soit de le vendre à l’étranger ou de le rapatrier au Canada. Ils prennent une décision économique en fonction de la valeur du véhicule, son état et le coût du voyage de retour. Dans certains cas, ça vaut la peine de le ramener, dans d’autres, c’est préférable pour eux de le laisser à l’étranger », affirme Jacques Lamontagne.

« On ne leur dit pas quoi faire. Mais moi, si on me demande mon opinion, j’aime quand on les ramène. Ça peut envoyer un message aux organisations criminelles qui exportent et qui s’étaient donné tant de difficultés pour le faire sortir du pays. »

— Jacques Lamontagne, directeur des enquêtes pour le Québec et l’Atlantique chez Équité Association

Les dirigeants de la maison d’encans AuctionPort n’ont pas répondu aux demandes d’entrevues de La Presse.

Le sujet des trafics illicites qui passent par le port d’Anvers fait couler beaucoup d’encre en Belgique. Malgré plusieurs opérations policières couronnées de succès et des saisies records, le port demeure reconnu par l’alliance policière Europol comme la porte d’entrée d’une grande portion de la cocaïne écoulée en Europe. Les différents réseaux d’importation de stupéfiants qui y ont pied ont été montrés du doigt ces dernières années pour une série d’actes de violence, dont des attaques à la grenade et un projet de kidnapping du ministre de la Justice déjoué par la police.

Le gouvernement belge a annoncé des ressources supplémentaires pour lutter contre la contrebande maritime, notamment de nouveaux scanneurs à conteneurs mobiles, l’embauche de policiers et de douaniers ainsi que des vérifications plus poussées sur les antécédents de milliers d’employés du port.

— Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse

D’autres vols qui ont mal tourné

27 novembre 2023

Un patrouilleur du Service de police de Laval est blessé sérieusement après avoir été heurté par le conducteur d’un véhicule sur l’autoroute 15, lors d’une intervention visant à intercepter un voleur de voiture.

13 septembre 2023

Des patrouilleurs du Service de police de la Ville de Montréal ouvrent le feu après que des voleurs de véhicules s’en seraient pris à eux, et reculent dans une autopatrouille, près du mont Royal.

7 août 2023

Les policiers de la Sûreté du Québec (SQ) arrêtent un jeune voleur de véhicule de 18 ans à l’issue d’une poursuite qui finit en embardée dans la région de Drummondville.

4 août 2023

Les policiers du Service de police de la Ville de Québec tirent sur un suspect qui a foncé sur eux à la suite d’un vol de véhicule dans le secteur Val-Bélair.

22 juillet 2023

Un policier est happé lors d’une tentative de vol de véhicule dans le stationnement des Galeries d’Anjou. Le policier tire un coup de feu lors de l’évènement. Quatre jeunes de 17 et 18 ans sont arrêtés.

26 juin 2023

Un policier du Service de police de l’agglomération de Longueuil est légèrement blessé en tentant d’intercepter un voleur de véhicule dans l’arrondissement de Saint-Hubert.

8 juin 2023

Un patrouilleur de la police de Gatineau est blessé après avoir été intentionnellement percuté alors qu’il interpellait le suspect d’un vol de véhicule.

17 mai 2023

Des patrouilleurs de la SQ de la MRC de Montcalm sont engagés dans une poursuite à l’issue de laquelle ils interceptent un adolescent de 16 ans qui avait volé un VUS dans la cour d’une résidence de Saint-Lin–Laurentides.

— Daniel Renaud, La Presse

« C’est un crime de plus en plus dangereux »

Quatre vols de véhicule ont mal tourné en un peu plus de 12 heures dans la région de Montréal

Lundi, 18 h 20, dans l’arrondissement de Saint-Laurent à Montréal. Une policière est blessée lorsqu’elle est délibérément frappée par un suspect de vol de véhicule. Son collègue ouvre le feu vers l’individu, qui réussit à fuir.

Une heure et demie plus tard, un couple vole une voiture dans le stationnement d’un concessionnaire de Laval, accélère subitement, heurte légèrement un employé et roule sur le pied de celui-ci.

Mardi, 2 h 15. Trois jeunes présumés voleurs de 17 et 19 ans sont poursuivis par les policiers de la Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent et font une embardée sur la route 116. Les suspects tentent de fuir à pied, mais sont arrêtés par les policiers, qui trouvent une arme de poing sur l’un d’eux.

Enfin, vers 8 h mardi matin, un suspect à bord d’un véhicule volé, pourchassé par les policiers de la Sûreté du Québec, emboutit un autre véhicule, blessant légèrement une personne, à Saint-Hugues, près de Saint-Hyacinthe.

Quatre évènements de vol de véhicule qui ont mal tourné en un peu plus de 12 heures dans la région de Montréal.

Payant et pas assez puni

« C’est un crime de plus en plus dangereux pour les policiers et pour la population », lance d’emblée Yves Francœur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal.

La policière du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) heurtée par le suspect en fuite lundi soir a eu un poignet fracturé et devait subir des examens pour une possible commotion cérébrale.

Au moins deux autres évènements de vol de véhicule au cours desquels des policiers du SPVM ont ouvert le feu sont survenus à Montréal depuis l’été dernier.

Sans compter d’autres cas au cours desquels les suspects ont foncé sur les policiers ou ont été impliqués dans des poursuites qui auraient pu avoir de graves conséquences, ou encore des évènements durant lesquels des armes à feu illégales ont été retrouvées.

« C’est dangereux pour les policiers, mais aussi pour la population en général, parce que des gens qui s’enfuient peuvent causer du tort à des citoyens qui circulent tout bonnement », affirme Yves Francœur.

« Auparavant, les véhicules étaient souvent volés pour de simples escapades. Mais maintenant, c’est de plus en plus l’œuvre du crime organisé. »

— Yves Francœur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal

« Alors qu’auparavant, les voleurs ne faisaient à peu près pas d’argent avec ça, maintenant, les prix varient entre 1000 et 2500 $ pour chaque véhicule volé », ajoute M. Francœur, qui croit que les tribunaux devraient être plus sévères.

« Les peines sont encore infimes compte tenu du fait que ce n’était habituellement pas des crimes violents, perpétrés contre la personne. Encore aujourd’hui, on attrape des individus, ils sont sanctionnés pour des peines de quelques mois, en font le sixième et sont libérés très rapidement. On attrape souvent les mêmes individus », déplore le président de la Fraternité.

Les gangs montrés du doigt

L’automne dernier, un policier du Service de police de Laval (SPL) a été sérieusement blessé lors d’une poursuite qui s’est déplacée sur l’autoroute 15.

Pour l’assistant-directeur Jean-François Rousselle, c’est principalement l’entrée en scène des gangs de rue dans ce type de crime qui explique l’évolution de la situation.

« On a des voleurs reliés aux gangs de rue qui sont plus téméraires et prennent des risques. Des individus plus jeunes aussi, qui ont moins de recul lorsqu’ils commettent ces crimes. Effectivement, on voit le phénomène évoluer. On voit des gens utiliser des véhicules comme des armes, pour foncer vers les policiers et essayer de se sauver coûte que coûte », décrit M. Rousselle.

Selon lui, les patrouilleurs du SPL analysent toujours la situation avant d’engager une poursuite, et en annulent régulièrement pour minimiser les impacts pour la population.

« Les policières et policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont mobilisés jour et nuit pour protéger et servir les citoyennes et citoyens. S’en prendre à des policiers et mettre leur vie en danger de façon délibérée est un geste tout simplement inacceptable. Bien que chaque intervention puisse comporter une part de risque, l’évènement de la nuit dernière vient malheureusement nous rappeler une fois de plus les dangers qui viennent avec ce métier », a répondu, par écrit, la direction du SPVM à la demande de La Presse.

« L’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) déplore vivement la recrudescence des vols de véhicules et la montée en puissance de la criminalité organisée qui y est associée. L’ADPQ et ses corps policiers sont déterminés à agir. C’est pourquoi ils seront présents au Sommet [sur les vols de véhicules] de jeudi à Ottawa et qu’ils s’entretiendront avec leurs partenaires et collègues de l’industrie pour trouver des solutions concrètes visant à mettre un terme à cette forme de criminalité et toute la violence associée », a pour sa part répondu Didier Deramond, directeur général de l’ADPQ.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Poilievre veut sécuriser les ports fédéraux

Pour faire face au fléau des vols de véhicules au Canada, le chef conservateur, Pierre Poilievre, s’engage, s’il est élu, à acheter 24 scanneurs « à la fine pointe de la technologie » pour inspecter les conteneurs qui quittent les grands ports du pays, a-t-il annoncé en conférence de presse à Montréal, mardi matin. Un gouvernement conservateur embaucherait aussi 75 agents spéciaux pour l’inspection. Pierre Poilievre avait déjà annoncé lundi la première partie de son plan pour contrer les vols de voitures, dans lequel il prévoit resserrer les peines pour les contrevenants. « La complexité de l’enjeu nécessite la collaboration de tous les gouvernements, des corps policiers et de tous les acteurs de l’industrie », a répliqué par courriel le porte-parole du ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc. Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, a pour sa part qualifié le chef conservateur d’« hypocrite ». « Lorsqu’il était ministre, Pierre Poilievre a coupé de 600 millions de dollars le budget de la GRC et a mis à la porte plus de 1100 agents des Services frontaliers », a rappelé M. Boulerice.

— Lila Dussault, La Presse

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