TRSB

Traduire à l’ère de l’intelligence artificielle

Mener une entreprise, c’est avant tout une affaire de stratégies. Chaque vendredi, des dirigeants révèlent quelques éléments de leur plan d’action et de leur vision.

Entre la traduction assistée par ordinateur, l’intelligence artificielle et Google Translate, le traducteur en chef qui nous reçoit dans son bureau du centre-ville de Montréal pourrait trouver matière à s’inquiéter de l’avenir. Mais il n’est pas du tout inquiet de l’impact de la technologie sur son industrie.

« Moi, je vois l’entreprise comme étant encore au stade de la petite enfance. Il y a encore beaucoup de place à prendre », assure Serge Bélair, président de TRSB, le cabinet de traduction qu’il a fondé il y a 28 ans.

TRSB (Traduction Serge Bélair) est en croissance, malgré tous les augures qui prévoient la disparition des traducteurs avec l’intelligence artificielle et la bilinguisation croissante des milieux de travail.

Au contraire, la demande pour les services de traduction explose dans le monde. « Elle a décuplé dans les 20 dernières années », dit Serge Bélair, qui explique cette poussée par l’apparition d’une classe moyenne qui consomme et veut se faire servir dans sa langue.

Les limites des machines

Au Canada et au Québec, les lois sur les langues officielles protègent l’industrie de la traduction en obligeant les gouvernements et les entreprises nationales à communiquer dans les deux langues. Mais ici comme ailleurs, la technologie se taille une place de plus en plus importante au royaume des traducteurs et des réviseurs.

C’est vrai, dit Serge Bélair, dont l’entreprise s’est dotée d’une équipe de spécialistes en technologies de l’information (TI) pour rester dans le coup. Mais les machines sont encore loin de pouvoir remplacer les traducteurs et elles n’y parviendront probablement jamais, selon lui.

« Les premiers outils d’aide à la traduction datent d’il y a une vingtaine d’années, explique celui qui les a vus à leurs balbutiements. Leur apparition a fait beaucoup craindre aux traducteurs pour leur travail. » 

« On pensait que ça enlèverait 30 ou 40 % du volume d’un seul coup. Ça n’a pas eu cet effet. »

— Serge Bélair, président de TRSB

Les entreprises soucieuses de leur image ne confieront pas leurs documents à des machines, assure Serge Bélair, qui rappelle le classique Made in Turkey devenu Fait en dinde.

IA et Google Translate

Les outils d’aide à la traduction ont évolué et se sont perfectionnés avec le temps. L’intelligence artificielle (IA) et la traduction dite neuronale font encore craindre pour l’avenir de la traduction. Google Translate utilise d’ailleurs la traduction neuronale et le résultat « n’est pas mauvais, selon le spécialiste. On peut avoir une idée de ce qui est dit ».

« L’intelligence artificielle changera des choses, mais les documents devront toujours être révisés par des traducteurs en chair et en os », estime Serge Bélair. Les traducteurs deviendront-ils surtout des réviseurs ? Peut-être. « Il y a déjà un nouveau terme qui circule dans le milieu, le postéditeur. »

Serge Bélair voit la traduction assistée par ordinateur comme une façon d’accroître la cohérence des traductions et de rendre le secteur plus performant. « Avec l’avènement des outils de traduction, un traducteur qui traduisait 1000 mots par jour peut en traduire 1200 ou 1300 », illustre-t-il.

Le résultat, ce sont notamment des économies pour les entreprises qui font traduire leurs communications et qui confient le travail en sous-traitance à des cabinets de traduction. TRSB se décrit comme un spécialiste de l’impartition.

« On dit aux entreprises : “Faites ce que vous faites le mieux, nous, on se charge de la traduction.” »

— Serge Bélair

Cette stratégie s’est avérée rentable pour TRSB, qui compte la plupart des grandes entreprises qui font affaire au Canada parmi ses clients, dont les grandes banques. « C’est notre pain et notre beurre », dit Serge Bélair.

C’est ce qui a permis à son entreprise de croître de 20 % par année depuis cinq ans et de doubler ses effectifs.

Une grappe de la traduction ?

La concurrence peut être féroce pour séduire ces grands clients. Certains des concurrents de TRSB sont de grandes entreprises qui ont beaucoup de moyens. TransPerfect, par exemple, un grand cabinet de traduction établi à New York (5000 traducteurs), propose ses services en 170 langues.

C’est un modèle d’affaires complètement différent, dit Serge Bélair au sujet de ces géants du secteur, qui misent davantage sur le volume et la traduction automatisée. « Ça réussit dans beaucoup de pays, où on se satisfait d’une qualité de traduction qui ne passerait tout simplement pas ici », précise-t-il.

TRSB est le plus important cabinet de traduction au Canada en matière d’employés, mais il offre ses services en deux langues seulement, l’anglais et le français.

« Petit à petit, nos clients nous emmènent ailleurs, vers l’espagnol et le chinois, à mesure qu’ils développent de nouveaux marchés. »

— Serge Bélair

Le Québec est, avec le Japon, un des endroits au monde où la population est très exigeante sur la qualité de la traduction. Ce qui fait de Montréal un haut lieu de la traduction au Canada. Serge Bélair s’en réjouit et se plaît à espérer qu’avec le développement de l’intelligence artificielle à Montréal, la traduction deviendra un vecteur de développement important pour le Québec.

L’optimisme de Serge Bélair est fondé en grande partie sur la position privilégiée du Québec et de Montréal dans le secteur de la traduction en Amérique du Nord. Il ne craint pas la concurrence. « On a atteint une taille crédible et on ne manque pas de moyens financiers », résume-t-il. Ni la technologie. « On fait des choses qu’on ne faisait pas avant. »

Il cite un de ses anciens professeurs, un Soviétique passé à l’Ouest, qui disait : « Le jour où une puissance maîtrisera les langues, elle deviendra le maître du monde. » Ce jour-là n’est pas encore arrivé, selon lui.

TRSB en bref

Siège social : Montréal

Fondée en 1988

200 employés plus 100 pigistes (équivalent à temps plein)

Une centaine de clients, surtout de grandes entreprises

Forces

Expérience de 30 ans

Expertise reconnue

Offre de service diversifiée

Défis

Concurrence des grands cabinets internationaux multilingues, qui ont beaucoup de moyens, dont celui de réduire les prix

Impact incertain de la technologie et de l’intelligence artificielle

Recrutement de plus en plus difficile, surtout en technologies de l’information et en traduction assistée par ordinateur

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