Jean-Sébastien Fallu

Sortir du placard pour combattre la stigmatisation

Finies les cachettes. Il y a quelques années, Jean-Sébastien Fallu, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, a déballé son sac. Il consomme des drogues. Il en a déjà vendu. Il a été travailleur du sexe. Et il est polyamoureux.

« Il faut croire qu’un coming out en amène un autre ! », lance en riant le prof Fallu, qui me reçoit dans la cour intérieure du pavillon Marie-Victorin de l’Université de Montréal, par une belle journée d’automne.

Cet autodévoilement n’a pas pour but de choquer les bien-pensants. Jean-Sébastien Fallu veut plutôt apporter sa contribution pour combattre les préjugés qui entourent encore la drogue et certaines pratiques sexuelles.

En l’écoutant, on comprend que sa démarche est réfléchie. Et longuement mûrie.

Avril 2019. Jean-Sébastien Fallu se trouve à Porto, au Portugal, pour une conférence internationale sur la réduction des méfaits liés à l’utilisation des drogues. Carl Hart, alors directeur du département de psychologie de l’Université Columbia, prononce l’allocution de clôture. M. Hart, en plus d’être une sommité mondiale, s’affiche publiquement comme un consommateur d’héroïne.

« Il a dit à tout le monde : sortez du placard ! Il nous a lancé une injonction. Il nous a dit que tant qu’on ne le ferait pas, ça ne changerait pas. Ça m’a interpellé. Ça a semé quelque chose en moi », raconte M. Fallu.

Mais le professeur d’université, de son propre aveu, n’était « pas prêt ».

Son moment vient quelques mois plus tard, lors du Colloque du réseau en dépendance et usage de substance. Pendant deux jours, le chercheur participe à des ateliers. On y déplore le fait que la crise des surdoses de drogues ne reçoit pas l’attention nécessaire. Que les organismes impliqués sont mal financés. Que les mentalités ne changent pas.

« Tout ce que j’entendais revenait à une chose : on ne s’en occupe pas parce que c’est stigmatisé. Et parmi les causes de cette stigmatisation, il y a les représentations sociales. C’est quoi, un drogué ? C’est un minable. Un faible, un immoral, un gars dans la ruelle qui a fait de mauvais choix. La réalité scientifique et épidémiologique est pourtant très différente. On sait que c’est très répandu dans les milieux professionnels. Mais personne ne le dit. Il y a une hypocrisie là-dedans. »

— Jean-Sébastien Fallu

Jean-Sébastien Fallu est chargé de prononcer la conférence de clôture. Il décide de sauter. Il révèle consommer parfois des drogues et en avoir déjà vendu. Il enchaîne avec son expérience d’ex-travailleur du sexe. Et se déclare non monogame polyamoureux.

Ces révélations sont accueillies par une ovation debout. Un jeune vient lui dire à quel point ses déclarations lui ont fait du bien.

« Je me suis dit : j’ai fait la bonne chose », dit Jean-Sébastien Fallu, qui recommence le lendemain sur les réseaux sociaux.

Une situation privilégiée

« Je ne cherche pas à être un modèle, je ne veux pas glorifier l’usage de la drogue, insiste Jean-Sébastien Fallu. Je veux simplement contribuer à élargir les œillères qu’on a par rapport à certains enjeux. »

« Je le fais parce que je suis un prof d’université blanc, privilégié, qui ne peut pas se faire mettre dehors – en tout cas, je n’ai pas encore eu de problèmes ! continue-t-il. Je suis conscient qu’un policier, un politicien, un juge, un avocat, un journaliste pourrait mettre sa carrière en péril à faire ça. »

De telles révélations suscitent de la curiosité, et Jean-Sébastien Fallu répond aux interrogations avec naturel.

Outre l’alcool, il consomme encore du cannabis, bien qu’en moins grandes quantités qu’auparavant. Il consomme aussi occasionnellement des drogues psychédéliques comme l’ecstasy, le LSD, le 2-CB ou les champignons magiques.

Il a commencé à vendre du pot et du hasch à l’adolescence pour des raisons strictement pratiques.

« Mes amis achetaient du pot à 15 $ le gramme. J’avais des liquidités grâce à un boulot d’été alors j’ai acheté une once pour que ça revienne moins cher », explique-t-il.

« J’ai fait ça pendant trois ou quatre ans jusqu’à ce que je fasse : ouin. Je m’en vais en toxico à l’université, je travaille en maison de jeunes, il faudrait que je trouve une autre façon de faire de l’argent facile », poursuit-il.

La solution qui lui vient en tête : vendre son corps. Ce n’est pas une blague. Comme il est « pas mal plus hétéro qu’autre chose », il songe d’abord à offrir ses services auprès des femmes, mais réalise qu’il n’y a pas de marché pour ça. Il se tourne alors vers les hommes.

Il travaille dans une agence « de luxe » où les règles sont claires – pas de pénétration, notamment. Trouve-t-il l’expérience dégradante ? « Pantoute », répond-il, affirmant ne pas en garder de séquelles.

« J’avais des projets d’études universitaires, je voulais partir le GRIP [Groupe de recherche et d’intervention psychosociale, un organisme qui existe toujours]. Je voulais de l’argent facile pour changer le monde », explique-t-il.

Il est bien conscient que son expérience n’est pas représentative de celle de tous les prostitués.

« Je ne veux pas parler au nom de tout le monde. Et je fais bien attention de ne pas parler au nom des femmes, parce que ce n’est pas la même chose. »

— Jean-Sébastien Fallu

De la même façon, il évite de prendre la parole au nom des personnes qui ont des troubles d’usage avec les drogues, puisque ce n’est pas son cas.

Quant à ses amours, Jean-Sébastien Fallu a une blonde qui a elle-même un mari et des enfants. Tout ce beau monde se connaît et se côtoie. Le prof d’université, lui-même père de deux enfants, a deux amantes en plus.

Voilà, vous savez tout.

« Quand on se dévoile comme ça, les autres ont aussi tendance à s’ouvrir. Et ceux qui n’aiment pas ça s’en vont, alors ça fait une sélection naturelle ! », lance M. Fallu.

« Il y a juste un Jean-Sébastien Fallu, dit-il. Dans tous les sens du terme. Sur la planète, il y en a juste un. Et le prof, le chum, l’ami, c’est le même. Dans ma vie personnelle et dans ma professionnelle, je dis et je pense les mêmes choses. »

Questionnaire sans filtre

Quel est votre rapport au café ? Au début, je trouvais ça dégueulasse. Mais sur un plateau technique, vers 19 ans, il n’y avait que ça à boire. M’inspirant des Beastie Boys, j’ai ajouté plein de sucre et de crème (I like my sugar with coffee and cream !) pour le rendre tolérable. Je bois aujourd’hui du café mi-corsé avec du lait, du café au lait et du noir (évidemment bio et équitable). J’en bois facilement deux ou trois par jour.

Votre fin de semaine idéale ? J’apprécie autant une fin de semaine dans le bois qu’un party en ville ou dans un festival. Ou alors passer un week-end relax à la maison avec des amis, ma blonde ou une amante à bien boire et bien manger, avec de la bonne musique, du bon sexe, des gouttes de LSD ou de la MDMA.

Votre loisir préféré ? Le DJing (comprendre ici qu’il aime faire le DJ).

La dernière fois où vous avez pleuré ? Quand j’ai assisté au Gala collégial de Forces AVENIR au Capitole de Québec, en septembre, quand j’écoutais les interventions et la présentation des projets des étudiants et étudiantes. Eh oui, je suis très sensible (je pleure en écoutant Forrest Gump et Donnez au suivant !).

Ce qui a changé votre vie ? Outre les drogues, les accords toltèques (les curieux peuvent utiliser Google).

Pourquoi ne pas vous satisfaire d’une seule blonde ? Pourquoi avoir un deuxième enfant ? Pourquoi avoir plus d’un ami ?

Qui est Jean-Sébastien Fallu ?

• Né en 1973 à Montréal, baptisé à Saint-Omer (Carleton), en Gaspésie, « cultivé » en banlieue (Fabreville, Laval) de 2 à 19 ans.

• Détient un doctorat en psychologie de l’Université de Montréal et un postdoctorat en recherche sociale et épidémiologique du Centre de toxicomanie en santé mentale, affilié à l’Université de Toronto.

• Professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.

• Chercheur à l’Institut universitaire sur les dépendances (IUD), au groupe Recherche et intervention sur les substances psychoactives du Québec (RISQ) ainsi qu’au Centre de recherche en santé publique (CReSP).

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