À l’université, la parité aide aussi les hommes

On sait que dans les milieux plus masculins, les femmes font face à des préjugés. Une nouvelle étude montre que les hommes, dans certains environnements plus féminins, rencontrent autant d’obstacles. Et que cette discrimination cesse quand la parité s’installe.

Évaluations de profs

Des dizaines d’études le montrent : dans une université, quand un département comporte peu de femmes parmi le corps enseignant, elles sont moins bien vues par les étudiants – y compris les étudiantes. « Mais quand on se tourne vers les milieux plus féminins, les écoles d’infirmières par exemple, les hommes profs sont jugés moins sévèrement », explique Oriana Aragon, de l’Université de Cincinnati, auteure d’une nouvelle étude sur le sujet, publiée en décembre dans la revue PNAS. « C’est comme si les étudiants les trouvaient méritoires de s’intéresser à un monde féminin. »

Pour en avoir le cœur net, Mme Aragon s’est penchée sur un sous-groupe de professeurs, ceux qui donnent les cours avancés. « Ce sont ceux qui normalement ont le plus de prestige professionnel », dit Mme Aragon. Quand on regarde les perceptions des étudiants envers ces professeurs qui sont les meilleurs de leur domaine, surprise : l’effet négatif pour un homme qui enseigne dans un milieu féminin devient égal à celui pour une femme qui enseigne dans un milieu masculin.

Et dans les milieux paritaires ? « C’est la bonne nouvelle : quand il y a à peu près autant d’hommes que de femmes dans le corps professoral, il n’y a pas de préjugés de genre. »

La congruence des rôles

L’étude de Mme Aragon se base sur la théorie de la « congruence des rôles », élaborée il y a une vingtaine d’années par une psychologue de l’Université Northwestern à Chicago, Alice Eagly. « L’idée est que le sexisme n’est pas figé dans le temps », dit Mme Eagly, qui a énoncé cette théorie en 2002 dans Psychological Review.

« On évalue plus durement les gens qui ne se conforment pas à l’idée qu’on se fait d’un rôle. Par exemple, on va juger moins compétente une prof dans une école de mécanique. Mais si la société change, si les rôles deviennent paritaires, alors il n’y a plus de préjugés ou de sexisme. En tout cas, moins. »

— Alice Eagly, psychologue de l’Université Northwestern à Chicago

Pour Vincent Larivière, chercheur en sciences de l’information à l’Université de Montréal, l’étude de Mme Aragon est une excellente démonstration de la théorie de la congruence des genres. « Isoler les cours les plus avancés est vraiment l’idée qui a permis à cette étude de se démarquer », dit M. Larivière.

La théorie de la congruence des rôles a beaucoup été appliquée à l’étude des dirigeants, selon Tanja Hentschel, une psychologue de l’Université d’Amsterdam qui a publié plusieurs études sur les manières d’inciter les femmes à entrer dans des domaines plus masculins. « Les femmes dirigeantes, par exemple en politique, sont dans une position impossible, dit Mme Hentschel. Si elles sont trop « féminines », elles sont considérées comme inadéquates pour un poste traditionnellement masculin. Mais si elles sont trop « masculines », par exemple en étant dominantes, elles violent leur rôle de genre et sont moins appréciées. »

Les préjugés des étudiants

Pourquoi étudier le sexisme par l’entremise des évaluations des étudiants ? « Parce que c’est une évaluation anonyme où les préjugés ressortent facilement », dit Mme Aragon.

D’ailleurs, de plus en plus d’études montrent qu’il est très dangereux de tenir compte des évaluations des étudiants pour le parcours de carrière des professeurs. « Les gars en particulier semblent vraiment laisser libre cours à leurs instincts », explique Yanan Fan, une statisticienne de l’Université de Nouvelle-Galles-du-Sud en Australie qui a publié dans PLoS en 2019 une analyse dévastatrice des évaluations d’étudiants en Australie.

« Leurs profs préférés sont les vieux hommes nés en Australie, qui sont drôles. Mais l’humour est difficile quand l’anglais est votre seconde langue. » Une autre étude de Mme Fan, publiée l’an dernier dans la revue Higher Education, allait carrément jusqu’à proposer de ne pas tenir compte de ces évaluations d’étudiants dans le parcours de carrière des professeurs d’université.

Le problème n’est pas nouveau. « Je publie sur le sexisme inhérent des évaluations d’étudiants depuis les années 1990 », dit Susan Basow, psychologue émérite du collège Lafayette en Pennsylvanie. « Je suis heureuse de voir que la parité améliore les choses, mais je continue de penser que tenir compte de ces évaluations d’étudiants est risqué. Les préjugés ne cesseront pas et on n’atteindra pas la parité demain matin. »

Le danger des compliments

L’indulgence envers les hommes dans les milieux féminins, qu’observaient certaines études antérieures, pourrait d’ailleurs être à double tranchant. L’an dernier, la psychologue Loes Meeussen, de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, a démontré que les gens qui font des compliments à leurs collègues masculins quand ils s’absentent du travail pour s’occuper de leurs enfants ont par la suite une moins bonne opinion de leurs capacités professionnelles. Si c’est une mère qui fait ce compliment à son collègue, elle a en outre un sursaut de culpabilité maternelle, selon l’étude publiée dans le British Journal of Social Psychology.

75 %

Proportion des hommes professeurs d’université qui avaient un poste permanent au Canada en 2019

63 %

Proportion des professeures d’université qui avaient un poste permanent au Canada en 2019

Source : Statistique canada

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