Éditorial

Ne plus manger dans la main de Pékin

Il faut dénoncer vigoureusement les sanctions prises samedi par la Chine à l’égard du Canada et de certains de ses alliés, bien sûr. Mais parallèlement, il faut se réjouir du fait qu’à Ottawa et dans de nombreuses démocraties occidentales, on a décidé de ne plus manger dans la main de Pékin.

C’est parce qu’on a défendu les valeurs qui nous sont chères qu’on vient de subir les foudres du régime chinois. C’est aussi simple que ça.

Les sanctions de Pékin sont une réaction au changement d’attitude au sein des démocraties occidentales, qui s’est manifesté sans ambiguïté au début de la semaine dernière.

La Chine avait alors été sanctionnée par le Canada, les États-Unis, l’Union européenne et la Grande-Bretagne en raison de la répression exercée contre les musulmans ouïghours du Xinjiang. Une poignée de responsables chinois de cette région ont été mis sur une liste noire.

Pékin a donc répliqué avec sa propre liste. Le régime de Xi Jinping y a d’abord inscrit les noms d’une dizaine d’Européens, puis, samedi, a visé le Canada.

L’un des députés canadiens sanctionnés, Michael Chong, est celui qui avait fait adopter une motion par le Parlement canadien le mois dernier pour dénoncer les crimes contre les Ouïghours.

Il a riposté samedi en affirmant que le fait d’être sanctionné par Pékin était un honneur. « Nous, qui vivons librement dans des démocraties et États de droit, devons prendre la parole », a-t-il écrit sur Twitter.

Il a entièrement raison.

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Depuis trop longtemps, les dirigeants occidentaux ont a eu tendance à sacrifier leurs valeurs à l’autel du dieu dollar dans leurs relations avec Pékin.

Tendance, aussi, à céder au chantage et à l’intimidation. De peur d’être réprimandés par une deuxième puissance mondiale décomplexée, qui rêve de voir son modèle triompher.

Ou, comme ç’a été le cas au Canada au début du règne libéral en 2015, tendance à croire que le régime chinois est un gentil géant qui ne vous veut que du bien. Un utopisme hérité de l’époque où nous pensions que le développement économique du pays allait le mettre sur la voie de la démocratisation.

L’historien américain Robert Kagan avait bien raison lorsqu’il écrivait au sujet de l’ascension de la Chine, il y a une douzaine d’années, que le pouvoir change les nations au même titre que les hommes. « Il modifie la perception qu’elles ont d’elles-mêmes, de leurs intérêts, du rang qui leur revient dans le monde, des égards qui leur sont dus. »

La Chine d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui.

Les démocraties commencent, donc, à agir en conséquence.

Les sanctions occidentales contre Pékin – du jamais vu pour le Canada depuis 1989, année du massacre de la place Tiananmen – surviennent après une déclaration internationale sur les détentions arbitraires, pilotée par Ottawa.

De récents propos du nouveau ministre canadien des Affaires étrangères, Marc Garneau, démontrent la nouvelle approche du gouvernement fédéral face au régime chinois. Les brutes « ne changent que si on leur adresse des messages très clairs », a-t-il déclaré.

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Ne nous méprenons pas. Tout le monde n’osera pas tenir tête au régime chinois du jour au lendemain.

Parce que la Chine est puissante et ses dirigeants sont habiles. Ceux-ci savent diviser pour régner en jouant les démocraties occidentales les unes contre les autres. Et par-dessus tout, ils savent manier la peur avec dextérité.

Leurs bonnes vieilles méthodes fonctionnent encore souvent.

Tenez, relisez ce qu’a dit Pierre Lemonde, PDG du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), embarrassé par la tribune qu’il va accorder à l’ambassadeur de Chine au Canada pour la deuxième fois en 18 mois, alors que les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor viennent de subir des procès bidon en Chine.

« Ces prestations ont parfois lieu à la demande de ces diplomates. L’ambassade de Chine a fait savoir au CORIM que son ambassadeur souhaitait s’adresser à notre auditoire. »

Rares sont ceux qui ont été reçus deux fois au CORIM au cours des deux dernières années. Et ce sont des politiciens d’ici. Comme l’ancien ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne.

Cela dit, Marc Garneau n’aura même pas encore présenté sa vision de la politique étrangère canadienne lorsque l’ambassadeur Cong Peiwu défendra de nouveau sa vision des relations entre le Canada et la Chine.

Parions que si l’ambassadeur du Japon au Canada avait réclamé d’être entendu au CORIM deux fois en moins de deux ans, on lui aurait poliment fait comprendre que ce n’était pas possible. Mais la Chine ? Ah, la Chine !

C’est pourtant cette attitude, commune en Occident, qui a donné au régime chinois l’impression qu’il pouvait dicter sa loi au monde entier.

On ne va pas se réjouir du regain de tensions avec la Chine. Il est important d’avoir une relation constructive avec Pékin… mais pas à n’importe quel prix.

Il est plus que temps, pour le régime chinois, de le comprendre. Mais surtout, il est plus que temps, pour les démocraties occidentales, de le lui faire comprendre.

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