covid-19

Les développements du jour dans la crise de la COVID-19

Pénuries de personnel en « zones rouges »

Des primes de 1000 $ par mois pour attirer des travailleurs

Québec et Ottawa — Incapable de combler les pénuries de personnel dans les établissements débordés par la COVID-19, le gouvernement Legault met 70 millions par mois sur la table dans l’espoir d’attirer assez de travailleurs de la santé à temps plein.

« J’annonce donc, aujourd’hui, une nouvelle prime qui va être donnée aux personnes dans les CHSLD, dans les résidences privées, dans les hôpitaux », a déclaré le premier ministre François Legault en point de presse jeudi. Cet incitatif cible particulièrement « les zones rouges – là où il y a des personnes qui sont infectées, donc là où on a des problèmes », a-t-il précisé.

Pour s’en prévaloir, les travailleurs devront pousser à la roue à temps complet. Après quatre semaines de 36,25 heures, ils auront droit à un supplément pouvant atteindre 1000 $.

Le nombre d’employés de la santé absents pour cause d’isolement ou de maladie ne cesse d’augmenter. Le chiffre fourni par le gouvernement Legault en point de presse, qui était de 11 000 lundi, est passé à 11 600 jeudi. Et parmi les employés présents, la moitié travaillent à temps partiel, a souligné le premier ministre.

« Dans le réseau, tous secteurs confondus, c’est près de 50 % des employés qui effectuent du travail à temps partiel. En CHSLD, c’est plus de 60 %. »

— Christian Dubé, président du Conseil du trésor

Les quelque 8000 volontaires recrutés par l’entremise du site Je contribue !, le millier d’enseignants et d’étudiants arrivés en renfort et les militaires dépêchés dans les CHSLD n’ont donc pas suffi à combler le manque criant de main-d’œuvre.

100 000 travailleurs admissibles

Tous les salariés qui travailleront à temps plein dans un CHSLD québécois recevront 100 $ par semaine, a annoncé M. Dubé.

Ceux qui œuvrent dans un CHSLD présentant au moins un cas de COVID-19 auront droit à un montant additionnel, soit 200 $ après deux semaines consécutives, et 400 $ après quatre semaines consécutives. « Donc, des primes, comme on l’a mentionné, qui peuvent atteindre 1000 $ par mois », a résumé le président du Conseil du trésor.

Dans les hôpitaux désignés « zone rouge » de la grande région de Montréal, certaines catégories d’emploi auront droit aux mêmes primes, dont les infirmières (y compris les cliniciennes et les auxiliaires), les inhalothérapeutes, les préposés aux bénéficiaires et les préposés à l’entretien.

« Par équité », Québec versera des subventions aux résidences privées pour aînés (RPA), aux ressources intermédiaires de type familial et aux CHSLD privés « afin que ces milieux d’hébergement soient en mesure d’offrir les mêmes bonifications à leur personnel », a ajouté M. Dubé.

De plus, tous les salariés du réseau de la santé et des services sociaux qui accepteront un transfert temporaire vers une région considérée comme « chaude », par exemple Montréal, Laval ou la Montérégie, recevront un montant supplémentaire de 2000 $ par mois.

Environ 100 000 travailleurs sont admissibles à ces mesures. « C’est près de 70 millions de dollars par mois qui seront consentis », a souligné M. Dubé.

Un incitatif « sérieux »

« On voit qu’on peut avoir bien du bon là-dedans », a reconnu le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley, en entrevue avec La Presse. Le syndicat, qui représente les trois quarts des préposés aux bénéficiaires du secteur public et plusieurs autres catégories de travailleurs de la santé, dont des infirmières et des préposés à l’entretien ménager, déplore cependant qu’il n’ait pas eu les informations nécessaires pour répondre aux interrogations de ses membres. « Il y a beaucoup de questions auxquelles on n’a pas les réponses, et probablement qu’on ne les aura pas avant que ça s’applique. »

Les primes totales de 3000 $ par mois pour les employés de l’extérieur qui viendraient travailler dans un CHSLD de Montréal représentent un incitatif « sérieux », estime M. Begley. 

« Pour un préposé, ce n’est pas loin de tripler son salaire. » 

— Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN)

Ces primes devraient pouvoir convaincre des travailleurs « si les équipements de protection individuelle sont là », a-t-il souligné. « Vous pouvez compter sur nous pour continuer d’y veiller », a promis le président du Conseil du trésor en point de presse.

Ottawa éponge une partie de la facture

Ottawa augmentera ses transferts aux provinces afin de leur permettre de bonifier les salaires de leurs travailleurs essentiels, en particulier ceux des résidences pour aînés comme les CHSLD, a annoncé le premier ministre Justin Trudeau jeudi.

« On compte sur ces travailleurs maintenant plus que jamais – et on va être là pour eux », a  déclaré M. Trudeau durant sa conférence de presse quotidienne à Rideau Cottage.

« Si vous risquez votre santé pour nous permettre de traverser cette crise et que vous êtes payés au salaire minimum, vous méritez de gagner plus. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Le fédéral mettra trois milliards de dollars sur la table, une contribution qui devrait permettre de couvrir 75 % de la facture liée à cette hausse de salaire. Mais ce sont les provinces et les territoires qui détermineront quels travailleurs recevront une augmentation, a indiqué le premier ministre.

Québec utilisera la somme versée par Ottawa pour éponger une partie de la facture liée à la hausse salariale déjà consentie aux travailleurs essentiels, évaluée à 890 millions de dollars, a fait savoir François Legault. « Le fédéral vient nous aider à régler le problème, mais nous, on n’a pas attendu le fédéral, on l’a annoncé rapidement », a déclaré M. Legault en point de presse jeudi.

Les renforts militaires continuent d’arriver

Jusqu’ici, environ 1000 militaires ont été déployés dans les CHSLD du Québec, et plus de 1350 militaires devraient être sur le terrain d’ici la semaine prochaine, a indiqué jeudi le lieutenant politique de Justin Trudeau au Québec, Pablo Rodriguez. Le gouvernement Legault a décidé de faire appel aux Forces armées canadiennes afin de stabiliser la situation dans les CHSLD, mais ces renforts sont arrivés très progressivement. Un millier de militaires devraient être affectés dans 20 CHSLD « d’ici la mi-mai », mais en début de semaine, seulement 450 étaient arrivés dans 13 CHSLD, a confirmé le ministère de la Santé et des Services sociaux mardi.

CHSLD de l’est de Montréal

Des gardiens de la discipline sanitaire en renfort

Trois jeunes, tous formés en soins infirmiers, sont venus de Québec en renfort dans les CHSLD de l’est de Montréal pour se joindre à l’équipe de prévention et contrôle des infections. Leur rôle : gardiens de la discipline sanitaire.

Jour après jour, ils jonglent avec les règles, les normes, les procédures à suivre pour contenir la COVID-19. Ils s’ajustent aux nouvelles connaissances sur la maladie, à l’équipement médical disponible, et surtout ils trouvent des solutions. L’information qu’ils transmettent ne peut être communiquée par courriel. Pour être efficace, ce travail doit être fait de vive voix, explique Marilou Pellerin, qui arrive tout droit de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ). C’est là qu’elle et ses deux collègues ont reçu une formation en prévention et contrôle des infections (PCI) qu’ils mettent maintenant à profit à Montréal.

« On s’assure que les gens revêtent comme il faut les vêtements de protection individuelle comme les gants, les masques et les blouses. Et on tient un registre de toutes les personnes qui entrent dans les chambres pour retrouver les contacts de chacun si jamais il y a une contamination », explique Mme Pellerin, qui, après un court séjour en centre hospitalier, ira dès ce vendredi travailler dans un CHSLD public touché par la COVID-19.

Comme ses deux collègues, elle est venue prêter main-forte sans hésiter compte tenu de l’ampleur qu’a prise la pandémie dans les établissements de personnes âgées à Montréal. Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal les accueille en leur fournissant l’hébergement.

« La PCI, c’est la clé pour contenir la COVID-19 et on avait besoin d’aide pour combler les besoins dans chaque établissement », affirme Isabelle Tremblay, chef du secteur de prévention et contrôle des infections au CIUSSS. Mme Tremblay orchestre tout ce qui se déroule dans les 15 CHSLD publics, 15 CHSLD privés et 52 RPA (résidences pour personnes autonomes) ainsi que dans les RI (résidences intermédiaires) qui se trouvent sur le vaste territoire du CIUSSS.

Elle raconte que dès le début de la pandémie, une pénurie de personnel se profilait. « J’ai rapidement demandé de l’aide. » 

« L’arrivée des trois jeunes, c’est un vent de fraîcheur. Ils ont été accueillis à bras ouverts parce que tout le monde a besoin d’être guidé. »

— Isabelle Tremblay, du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

Ainsi, jeudi matin, Paterne Orakoze a accueilli des soldats de l’armée canadienne qui ont été envoyés au CHSLD Éloria-Lepage. Infirmier clinicien depuis trois ans, c’est lui qui leur a donné une formation sur les mesures de prévention à suivre. « C’est un excellent agent multiplicateur des bonnes mesures à suivre », affirme Mme Tremblay.

Le principal intéressé est heureux de se rendre utile. « Je suis un gars d’action, alors j’ai foncé sur l’occasion parce qu’à l’Institut, à Québec, la COVID-19 est sous contrôle », explique M. Orakoze. 

« Je me dis que si on ne vient pas en aide à Montréal, la COVID-19 va se répandre partout et on va retrouver toute la province dans la même situation. Il vaut mieux concentrer ici les effectifs pour éradiquer le virus. »

— Paterne Orakoze, infirmier clinicien

Sa collègue Marie-Ève Leblanc reconnaît avoir été un peu surprise par le grand nombre de cas de COVID-19. Mais la situation ne diminue en rien sa motivation ; elle travaillait déjà dans les unités chaudes avant son arrivée à Montréal. « J’ai cette volonté d’aider. C’est aussi une expérience personnelle parce qu’on voit ici des choses qu’on n’a pas l’opportunité de voir à Québec », souligne-t-elle.

Comme beaucoup d’autres employés du réseau de la santé, elle a choisi de travailler dans l’épicentre de la pandémie et accepte les inconvénients que cela entraîne. Cette décision n’a pas surpris sa mère, mais a inquiété son père, raconte-t-elle. « Je ne vois plus du tout ma famille depuis le début de la pandémie. Mon père est immunosupprimé et j’ai des frères en bas âge, alors je ne voulais pas les mettre en danger », dit-elle avec la voix un peu cassée. « Mais il y a FaceTime », ajoute-t-elle.

De l’aide des régions 

Marilou, Paterne et Marie-Ève se sont engagés pour trois semaines. Leur lien d’emploi demeure avec l’IUCPQ et leur contrat est renouvelable. Pour aucun d’entre eux il n’est question d’abandonner tant et aussi longtemps que Montréal aura besoin de leurs services. Et ils ne craignent pas d’attraper la maladie.

« Ça ne me fait pas peur. Tu ne l’attrapes pas en entrant dans un CHSLD. Il faut prendre des précautions. D’ailleurs, j’encourage les gens de l’extérieur à venir nous rejoindre pour nous aider », lance Paterne Orakoze.

À l’heure actuelle, ce sont 120 personnes qui ont quitté leur région pour aller travailler dans les établissements sous la responsabilité du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Il reste encore des postes à pourvoir pour freiner la COVID-19.

CIUSSS

De nouveaux salariés continuent d'être liés à des ententes de confidentialité

Québec — Bien que la ministre Danielle McCann ait promis la « fin de l’omerta » dans le réseau de la santé, des CIUSSS continuent de lier leurs nouveaux salariés à des ententes de confidentialité leur interdisant de s’exprimer dans les médias. Une pratique qui doit cesser, surtout en temps de pandémie, estiment un spécialiste en relations de travail et la CSN.

Loin d’encourager « les lanceurs d’alerte », comme souhaiterait le faire Québec, ces ententes sont « l’extrême contraire » et ont plutôt pour effet de les décourager, croit le professeur agrégé au département des relations industrielles de l’Université Laval Alain Barré. « C’est totalement incompatible avec ce que dit la ministre McCann », tranche-t-il.

Dans un document d’embauche du CIUSSS de l’Estrie – CHUS, que La Presse a pu consulter, il est écrit noir sur blanc que le nouvel employé doit s’engager à ne pas « diffuser auprès de médias et dans les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) tout renseignement qui va à l’encontre des intérêts de l’établissement ».

Le non-respect de cet engagement peut « mener à des sanctions pouvant aller jusqu’à la fin [du] lien d’emploi », est-il écrit à la fin du formulaire, où l’on doit signer.

Un formulaire du CIUSSS de la Capitale-Nationale indique plutôt qu’un employé ne peut « transmettre aucun renseignement confidentiel ni transporter aucun document (papier, numérique, audio, vidéo) […] à l’extérieur de l’établissement, sauf lorsque cela est nécessaire dans l’exercice [de ses] fonctions ».

M. Barré note que pour « l’immense majorité des salariés du CIUSSS », il doit être « très rare » de réaliser un document numérique, audio, vidéo, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Les libellés de ces formulaires « sont bien enveloppés », prévient d’ailleurs le professeur spécialiste en droit du travail.

« Il y a des choses, lorsqu’on lit [ces formulaires] rapidement, qui peuvent être parfaitement légitimes, notamment par rapport aux informations nominatives. […] Il n’y a personne qui peut contester ça, mais est-ce qu’on a besoin d’un engagement de confidentialité pour ça ? Je ne pense pas », a-t-il expliqué.

OBSTACLE POUR S’EXPRIMER

« Manifestement, il y a certains de ces engagements-là qui peuvent être raisonnablement interprétés comme faisant nettement obstacle à ce qu’un salarié puisse s’adresser aux médias d’information, et tout ça sous menace de sanctions », souligne le professeur de l’Université Laval.

Le président de la FSSS-CSN n’est pas étonné que l’on fasse toujours signer ce genre de formulaire aux nouveaux employés. « On a même des syndicats [locaux] qui se font dire par l’employeur qu’il y aura des [sanctions] […], qu’ils ne peuvent pas aller sur la place publique avec des critiques. C’est très clair », soutient Jeff Begley.

Au Québec, tout employé est légalement tenu d’être loyal envers son employeur, selon le Code civil. La Loi sur les services de santé et les services sociaux et la Loi sur la protection des renseignements personnels encadrent l’obligation de confidentialité. « Ça rend ces formulaires à mon avis inutiles », précise M. Barré.

Le CIUSSS de la Capitale-Nationale explique d’ailleurs que ce document d’embauche est un « formulaire standard découlant de la Loi sur les services de santé et les services sociaux ». Il doit aussi être rempli par toute personne embauchée, volontaires compris, nous dit-on.

Le CIUSSS de l’Estrie – CHUS n’avait toujours pas répondu à la demande de La Presse, au moment de la publication de ce texte.

« ON VEUT QUE LES GENS PARLENT »

Le CISSS de Laval a envoyé la semaine dernière une note à tous ses employés leur interdisant de s’adresser aux médias sans avoir obtenu l’approbation de la direction. Le lendemain, la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, assurait en commission parlementaire qu’il « n’y a plus d’omerta » dans le réseau de la santé.

« On a besoin de ces gens-là pour nous le dire parce que les organisations sont devenues tellement grosses […]. On veut que les gens parlent », a poursuivi la ministre dans sa réponse au député Sol Zanetti, qui soutenait que les travailleurs de la santé avaient peur « pour leur emploi » s’ils dénonçaient « des situations tragiques ».

« Il faut qu’on sache ce qui se passe sur le terrain », a-t-elle affirmé, rappelant le caractère exceptionnel de la pandémie.

« Je trouve que ce que dit la ministre est plein de bon sens, mais est-ce qu’on peut juste être conséquent ? »

— Jeff Begley, président de la FSSS-CSN

C’est ce que croit aussi M. Barré. « L’objectif ultime n’est pas seulement d’informer les plus hautes autorités du Ministère, c’est aussi que le grand public soit informé. Je crains qu’après la pandémie, on tombe dans une période d’amnésie générale. Il faut que les gens soient alertés par exemple du sort des aînés dans les CHSLD », lance-t-il.

À son avis, Québec devrait ordonner que les établissements cessent de soumettre les employés à ces engagements de confidentialité dès maintenant.

Au ministère de la Santé, on indique que « les employés doivent respecter les obligations de confidentialité prévues par la loi » et que la signature de ces documents constitue « un engagement entre l’employeur et l’employé en plus d’assurer une connaissance des lois et des obligations de confidentialité à respecter ».

Ce sont les établissements qui créent les « différents formulaires et documents pour renseigner, sensibiliser et informer leurs nouveaux employés », alors que le Ministère « n’a aucune directive quant à la gestion des contrats des établissements lors de l’embauche du personnel », indique-t-on.

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