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Un logement supervisé plutôt qu’un refuge, c’est ce qui a permis à une ancienne sans-abri de sortir de la rue. Au moment où l’itinérance gagne du terrain dans de nombreuses villes, les maires estiment de plus que Québec doit délier les cordons de sa bourse.

Logements supervisés

« Ici, des gens se soucient de moi »

Le printemps dernier, Colleen W. a passé plusieurs nuits dehors, au centre-ville de Montréal, parce que les refuges pour sans-abri qu’elle fréquentait depuis quelques mois étaient bondés. Pour se réchauffer, elle a été obligée de dormir collée contre des amies dans la même situation qu’elle, par terre dans un parc.

« On s’est fait réveiller par la police, mais ils ont bien vu qu’on tentait seulement de se tenir au chaud », raconte en riant la femme de 60 ans aux longs cheveux argentés, qui se déplace difficilement à l’aide d’un déambulateur.

L’ancienne infirmière, qui a dû arrêter de travailler en raison d’importants problèmes de santé, s’est retrouvée à la rue à la suite d’une série de problèmes et de malchances. Victime de sévices pendant son enfance dans Pointe-Saint-Charles, initiée au crack par un ex-conjoint, elle a été traumatisée par les circonstances de la mort de sa mère, il y a deux ans. Puis, en voulant louer un appartement, elle a été victime de fraude et s’est retrouvée sans toit. Hébergée par ses deux enfants, successivement, pendant quelques mois, elle s’est querellée avec eux, avant de devoir se tourner vers des refuges pour personnes itinérantes.

Aujourd’hui, Colleen a de la chance : elle a une chambre bien à elle, un salon et une cuisine qu’elle partage avec une autre locataire et, surtout, le soutien d’intervenantes de l’organisme Chez Doris, qui gère une nouvelle maison de 20 chambres ouverte en juin dans le Quartier latin.

« Toujours là pour moi »

« Je souffre d’un trouble de stress post-traumatique et de dépression, alors savoir que des intervenantes sont toujours là pour moi, ça me rassure », confie Colleen, qui a aussi besoin d’aide pour ses rendez-vous médicaux, pour ses passages au tribunal, pour s’inscrire en désintoxication, pour pouvoir prendre le transport adapté et pour une multitude d’autres problèmes qui exigent souvent de pénibles démarches bureaucratiques.

Parce que si Colleen est sortie de la rue, elle n’est pas encore sortie du bois. Elle combat toujours une dépendance au crack et a passé trois jours en prison cette semaine, après une plainte déposée contre elle pour voies de fait.

Mais grâce au soutien que lui offre Chez Doris, elle est convaincue de pouvoir s’en sortir.

De tels logements, avec supervision d’intervenants spécialisés, représentent la meilleure solution pour tenter de mettre fin à l’itinérance, selon les organismes voués à cette mission. Mais il y en a trop peu pour répondre à l’ampleur des besoins.

Un réseau tenu à bout de bras

L’importance de multiplier de telles ressources a notamment fait partie des discussions lors du Sommet municipal sur l’itinérance, qui s’est tenu vendredi à Québec.

Les refuges d’urgence, où les personnes sans abri passent la nuit, mais qu’elles doivent quitter le matin, ne peuvent être considérés comme des solutions à long terme, souligne Marina Boulos-Winton, directrice de Chez Doris, qui administre entre autres un refuge de 24 lits dans l’ouest du centre-ville.

« On doit continuellement refuser des gens, il manque de places. »

— Marina Boulos-Winton, directrice de Chez Doris

Mme Boulos-Winton affirme que le recrutement d’employés est aussi problématique pour l’organisme.

Les refuges et autres ressources pour personnes itinérantes sont sous la gouverne de divers organismes communautaires, qui dépendent de l’aide gouvernementale et de la philanthropie et tiennent à bout de bras un réseau incapable de répondre aux besoins.

Par exemple, la maison de chambres ouverte par Chez Doris a coûté 6,4 millions en rénovations ; 5 millions provenaient du gouvernement fédéral et le reste de donateurs privés, notamment du philanthrope montréalais Bash Shetty, qui a fait un don de 1 million – la nouvelle résidence porte d’ailleurs son nom. Le gouvernement du Québec alloue pour sa part un supplément au loyer, ce qui permet aux résidantes de débourser seulement 25 % de leurs revenus pour se loger, alors que le loyer mensuel de chaque chambre a été fixé à 858 $.

Selon une étude de l’Union des municipalités du Québec, présentée jeudi en prévision du sommet sur l’itinérance, une personne qui bénéficie d’un tel hébergement coûte moins cher à la société que si elle vivait dans la rue, notamment parce qu’elle a besoin de moins de soins de santé et de services sociaux et parce qu’elle encombre moins le système de justice et les services policiers, en plus d’être plus productive.

Parmi les femmes hébergées à la résidence Chez Doris, qui ont été dans la rue pour des périodes variant entre 3 mois et 10 ans, certaines ont des problèmes de santé mentale, comme une dame de 62 ans souffrant de schizophrénie, qui a perdu son appartement au début de la pandémie. D’autres ont été évincées de leur logement ou souffrent de problèmes cognitifs et n’ont pas de famille pour les épauler.

En tout temps, jour et nuit, des intervenantes sont sur place pour les accompagner dans leurs démarches de « réaffiliation sociale » : réapprendre à cuisiner, à bien tenir leur chez-soi, à se débarrasser de leurs dépendances, à respecter les autres, à fonctionner en société.

« Ma mère est morte seule et j’ai découvert son corps seulement après 12 jours, confie Colleen. J’ai vraiment peur de mourir comme ma mère. Mais je sais qu’ici, il y a des gens qui se soucient de moi. Alors je veux y rester jusqu’à ma mort. »

Sommet sur l’itinérance

Les maires se tournent vers le ministre des Finances

Québec — Insatisfaits des mesures annoncées par le ministre Lionel Carmant, les maires s’en remettent à son collègue des Finances, Eric Girard, pour débloquer des fonds importants et s’attaquer à la crise de l’itinérance. Ils réclament par ailleurs l’implication de l’ensemble du Conseil des ministres.

« Je répète souvent que dans les 10 derniers jours, le message que nous avons apprécié le plus est assurément celui du ministre Girard », a lancé d’emblée le président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et maire de Varennes, Martin Damphousse, s’adressant aux médias lors d’une conférence de presse clôturant le Sommet municipal sur l’itinérance, vendredi à Québec.

Lors de sa présentation devant un parterre de maires et mairesses des villes du Québec, M. Damphousse a cité à nouveau le ministre des Finances, évoquant un « ministre influent » du gouvernement Legault.

« Il l’a dit clairement, le gouvernement, dans le cadre de sa mise à jour économique, devra rajouter des sommes en adaptation au changement climatique, en logement et en itinérance. »

— Martin Damphousse, président de l’Union des municipalités du Québec

M. Damphousse reprenait alors les intentions du ministre Eric Girard révélées lors d’une entrevue éditoriale avec La Presse la semaine dernière. Les maires réclament d’ailleurs une rencontre au sommet avec le ministre des Finances avant la présentation de sa mise à jour économique attendue en novembre. Ils demandent aussi la création d’un comité interministériel sur l’itinérance. Ils n’ont pas chiffré leurs demandes globales, vendredi.

Les maires ont salué l’aide spéciale de 15,5 millions débloquée jeudi par le ministre Carmant, mais ils restent sur leur faim. « On a besoin de plus, on est insatiables », a fait valoir le maire de Québec, Bruno Marchand.

Il ne faut pas y voir là un désaveu envers le ministre responsable des Services sociaux, a assuré M. Damphousse. Le ministre Lionel Carmant dit avoir « très bien » reçu les commentaires du président de l’UMQ.

« Probablement que si on voit le besoin d’argent comme étant une chose importante, [M. Girard] est plus influent que moi. Mais si on veut avoir les idées, moi je pense que je suis aussi influent. »

— Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux

Après la confrontation, le ton était davantage à la collaboration vendredi. L’accueil réservé à M. Carmant a été poli, ce qui contrastait avec l’ambiance du Sommet municipal sur la fiscalité, organisé la semaine dernière à Montréal. Le ministre a prononcé une allocution d’ouverture d’une dizaine de minutes. Il a tendu la main aux villes et a reconnu que son gouvernement devait en faire plus.

« Je [vous ai] entendus dire depuis hier que les dernières sommes […] annoncées, ce n’est pas assez, que c’est un bandage. J’en suis bien conscient », a reconnu le ministre Lionel Carmant. « Les sommes annoncées répondent à un besoin urgent seulement [alors] qu’il faut s’attaquer de front aux causes de l’itinérance », a-t-il ajouté. M. Carmant a par ailleurs annoncé que le prochain dénombrement aura lieu en 2024.

Tout le monde à la table

« [Pour l’itinérance], il n’y a pas une solution qui va venir seulement d’un seul homme, d’un ministre », a expliqué la mairesse Valérie Plante. « Dans ce comité-là, oui, on veut M. Carmant, oui, [la ministre de l’Habitation] Mme Duranceau, mais on veut aussi le ministre des Finances, du Trésor, on veut M. Fitzgibbon, on veut le premier ministre », a-t-elle ajouté.

« Ça fait du bien d’être entendu par le ministre Carmant. Mais là, ce qu’on veut, c’est que ça aille encore plus loin, que l’ensemble du gouvernement prenne ça à bras-le-corps pour trouver de vraies solutions. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal

Le ministre Lionel Carmant a expliqué vendredi que ce type de comité existait déjà au sein de son ministère alors qu’il travaille de concert avec la ministre responsable des Aînés, sa collègue à l’Habitation et au besoin avec le ministre de la Sécurité publique, notamment. Il s’est dit disposé à se réunir plus souvent avec ses collègues. « Je suis motivé, extrêmement motivé à améliorer la situation », a-t-il plaidé.

L’absence de la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a par ailleurs été déplorée par le maire Bruno Marchand, qui a été questionné sur le sujet. « Je ne peux pas vous dire si elle a été invitée ou pas. Tous les ministres étaient bienvenus. Je pense que ça fait six mois que ça s’organise, les gens sont au courant. Si elle avait voulu être là, elle aurait pu être là. On aurait déroulé le tapis rouge », a-t-il lancé.

Le pot à Trudeau

Le président de l’UMQ a décoché une flèche au premier ministre Justin Trudeau, qui a lancé la balle dans la cour des villes, mercredi, alors qu’il était invité à justifier la lenteur du déploiement d’un fonds fédéral voué à la construction rapide de logements. « On est en attente. On a les mains liées parce que nous dépendons d’une entente entre Québec et le fédéral », a déploré M. Damphousse.

Ottawa et Québec doivent s’entendre pour toucher les sommes du Fonds fédéral pour l’accélération de la construction de logement. Québec devrait toucher 900 millions.

Le ministre fédéral et député de Québec Jean-Yves Duclos a participé vendredi au sommet. Dans une déclaration transmise par son cabinet, on indique que « les négociations se poursuivent pour débloquer la somme dédiée au logement qui changera des vies, et nous sommes impatients que cela se concrétise ».

Le « droit de s’indigner »

Dans un discours senti à ses vis-à-vis des autres villes, Bruno Marchand a appelé la classe politique à être « en colère » devant la crise de l’itinérance.

Sa sortie faisait écho à la charge frontale menée la semaine dernière par sa collègue de Gatineau, France Bélisle. Vendredi, celle-ci a réitéré que « dans une société saine, on a encore le droit de s’indigner ».

« Je pense que quand on a le privilège d’avoir une tribune publique, ça vient avec une responsabilité de dire, même si parfois ça ne plaît pas. Et l’engouement qu’on voit aujourd’hui confirme qu’on a mis une lumière sur un dossier difficile », a-t-elle exprimé.

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