Abolition de la police des mœurs

La diaspora du Québec sceptique

L’abolition annoncée par le gouvernement iranien de sa police des mœurs laisse dubitatifs des membres de la diaspora au Québec, persuadés qu’il s’agit d’une ruse de Téhéran pour calmer les ardeurs des protestataires à l’approche de trois jours de mobilisation.

Il s’agit d’une « manœuvre cosmétique » du régime de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi afin de calmer le jeu, estime la chercheuse montréalaise d’origine iranienne Nimâ Machouf.

Cette annonce, considérée comme un geste envers les manifestants, est intervenue après la décision samedi des autorités de réviser une loi de 1983 sur le port du voile obligatoire en Iran, imposé quatre ans après la Révolution islamique de 1979.

C’est la police des mœurs qui avait arrêté le 13 septembre Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, à Téhéran, en l’accusant de ne pas respecter le code vestimentaire de la République islamique, qui impose aux femmes le port du voile en public.

Sa mort a été annoncée trois jours plus tard. Selon des militants et sa famille, Mahsa Amini est morte après avoir été battue, mais les autorités ont lié son décès à des problèmes de santé, démentis par ses parents.

Une annonce mise en doute

« La police des mœurs […] a été abolie par ceux qui l’ont créée », a annoncé samedi soir le procureur général Mohammad Jafar Montazeri, cité par l’agence de presse Isna dimanche. À noter, le ministère de l’Intérieur n’a toujours pas confirmé la nouvelle.

Cette affirmation a rapidement été mise en doute par de nombreux Iraniens sur les réseaux sociaux, qui soulignent qu’un autre organe de répression pourrait facilement prendre la place de la police des mœurs.

Parmi eux, Sahar Mofidi, doctorant au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM) et membre de la diaspora iranienne à Montréal. La police des mœurs est « l’échine » du régime, dit-il.

« Ce n’est pas si facile de mettre fin à ça. De voir des médias occidentaux dire que c’est aboli, que c’est une victoire, ce n’est pas encore vrai. »

— Sahar Mofidi, doctorant au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

« Il faut aussi dire que dans les rues de Téhéran, aujourd’hui, beaucoup de femmes bafouent les règles des polices des mœurs qui ont beaucoup de difficultés à appliquer leurs contrôles dans les rues », ajoute Sahar Mofidi.

La mobilisation continue

Tous les membres de la diaspora iranienne consultés dimanche s’entendent pour dire que la mobilisation pour faire tomber le régime iranien doit se poursuivre, malgré les promesses de la fin de semaine.

« On pense que cette idée [d’abolir] la police des mœurs, ça fait partie de leur stratégie, probablement suggérée par les réformistes, pour détourner l’attention des gens, faire croire au peuple qu’on a entendu leur voix », suggère Sherazad Adib.

« Je considère que c’est une belle victoire et ça montre que le soulèvement des Iraniennes a valu la peine. Mais je ne crois pas que c’est le signe pour le peuple de rentrer à la maison. Les gens répètent qu’ils ne croient plus aux réformes, et il faut que ce régime qui a trop de sang sur les mains tombe », a déclaré pour sa part la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal.

Cette dernière est à l’origine d’une motion appuyée unanimement par tous les députés de l’Assemblée nationale cette semaine pour condamner « la répression des femmes en Iran sous un régime théocratique oppressif ».

Trois jours de manifestations

Les Iraniens vont entamer ce lundi trois jours de protestations d’une ampleur qui s’annonce sans précédent afin de faire plier le gouvernement, explique Nimâ Machouf. « Ce qu’on veut, c’est […] qu’il y ait un blocage, que la sphère économique en Iran devienne désorganisée. En 1979, c’est ça qui avait fait tomber le régime », rappelle-t-elle.

À l’approche de ces « manifestations massives », les forces de l’ordre manqueraient de personnel afin d’appliquer l’ordre, d’où cette sortie pour tenter de calmer la grogne, ajoute pour sa part Sahar Mofidi.

À Montréal, une veillée se tiendra en soutien au peuple iranien ce lundi.

— Avec l’Agence France-Presse

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