La Cité des enfants consultés

Dans La Cité des enfants perdus, film à l’ambiance punk vaporeuse sorti en 1995, Krank, un antihéros issu d’expériences génétiques, est incapable de rêver. Afin de ne pas vieillir prématurément, ce dernier met au point un savant (et terrible) dispositif pour accaparer les rêves des enfants de la ville…

Et si nous étions, nous aussi, devenus incapables de rêver et devions nous en remettre à celles et ceux qui le peuvent encore : nos enfants et nos jeunes ?

L’analogie (un peu sombre, mais tout de même poétique – n’oublions pas qu’il s’agit d’un conte) avec le film de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro nous rappelle toutefois ô combien il est essentiel de s’inspirer des visions, des espoirs, des craintes et des solutions d’une génération qui devra vivre avec les choix que nous faisons aujourd’hui.

L’actualité ne manque pas de nous rappeler quotidiennement que les enfants et les jeunes sont des acteurs incontournables des grands défis de notre Cité. Sécurité publique, aménagement du territoire, vivre ensemble, santé mentale, etc. : ils sont au cœur des questions qu’on se pose et des solutions qu’on cherche collectivement.

Une enfant de 7 ans est happée à mort par un véhicule aux abords de son école en décembre 2022 à Montréal. Des parents se mobilisent dans la foulée pour la sécurisation des zones scolaires. En octobre 2022, un jeune de 15 ans est rabroué lors d’un conseil d’arrondissement à Anjou pour avoir posé une question concernant l’interdiction de pratiquer le soccer libre dans le quartier. Quelques mois plus tôt, pour répondre aux violences commises et subies chez les jeunes, un forum était organisé par la Ville de Montréal.

Un peu moins de deux ans après la publication du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse1, à laquelle l’Institut du Nouveau Monde (INM) a contribué en animant 42 forums de consultation sur le territoire de la province, le contexte n’a jamais été aussi pressant de s’en remettre aux vécus et aux expériences de nos jeunes pour mieux adapter nos politiques, nos services et nos villes à leur réalité.

Au Québec, 18,5 % de la population a moins de 18 ans.

Si cette part importante de la population ne vote pas encore, elle peut faire vivre la démocratie à son échelle et par d’autres moyens. Il n’en tient qu’à nous de l’écouter, de lui offrir des espaces pour s’exprimer et de l’associer à nos mécanismes consultatifs, délibératifs et décisionnels pour permettre aux jeunes de devenir de véritables citoyens de la Cité.

Leur participation est d’ailleurs protégée par la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies qui leur reconnaît « le droit d’exprimer librement [leur] opinion sur toute question [les] intéressant », ainsi que les droits à la liberté d’expression, à la liberté de pensée et de conscience, à la liberté d’association ou encore à la liberté de réunion pacifique.

Malgré un vent favorable au développement d’une culture de participation publique au Québec depuis quelques années, les initiatives pour associer des enfants et des jeunes à la prise de décision collective sont encore rares.

Pourtant, il existe des exemples inspirants : des conseils municipaux jeunesse voient le jour à Drummondville, Trois-Rivières, Montréal, Québec, Sainte-Julie, Laval ou encore Blainville. Des évènements rassembleurs comme les écoles de citoyenneté de l’INM, les consultations « Raconte-moi ta ville »2 organisées à l’été 2022 auprès d’enfants de 4 à 12 ans dans le cadre de l’élaboration du Plan d’urbanisme et de mobilité de la Ville de Montréal et la démarche « Rêver pour créer »3, pilotée par l’INM en 2020 et soutenue par la Fondation Lucie et André Chagnon, méritent toute notre attention en termes de méthodes et d’apprentissages.

Les bénéfices de ces dispositifs sont immenses. Car en plus de permettre le développement de services adaptés à leurs besoins, ils sont vecteurs de confiance, d’appropriation et de responsabilisation envers la société tout entière. En outre, ils contribuent à éduquer nos enfants et nos jeunes à la citoyenneté et permettent de rejoindre et de mobiliser leurs parents, leurs professeurs et leurs communautés.

Il va sans dire que ces démarches s’accompagnent aussi d’un bon nombre de défis. On ne consulte pas des enfants et des jeunes comme on consulte le reste de la population.

Pour consulter les enfants, il faut des approches distinctes selon les âges, les genres et les contextes. Par exemple, on ne rejoint pas les jeunes plus privilégiés de la même façon que ceux qui vivent diverses formes d’exclusion. La mobilisation et la communication adéquates, comme toujours en participation publique, s’avèrent des clés, mais elles peuvent se heurter à des cultures organisationnelles qui n’ont pas la flexibilité requise.

À l’INM, nous mobilisons depuis 2004 des dizaines de milliers de citoyennes et de citoyens de tous âges, dont des jeunes provenant des quatre coins de la province, pour réfléchir, débattre et proposer des façons de rêver le Québec et le monde dans lequel nous souhaitons vivre.

La preuve est faite que la jeunesse souhaite s’engager à bâtir une société inclusive et à protéger l’environnement pour évoluer dans un monde juste, durable et à son image.

Prenons conscience que les rêves de nos enfants et de nos jeunes ne sont pas perdus et que nous avons tout en main pour bâtir une véritable Cité des enfants consultés.

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