Opinion : Pénurie de main-d’œuvre

L’urgence d’ouvrir nos horizons

Alors que s’amorce la dernière étape de notre lutte contre la pandémie, et que le déconfinement et la réouverture graduelle de notre économie sont à portée de main, les prochains mois apporteront leur lot de défis.

Le plus important de ceux-ci réside dans la rareté de la main-d’œuvre, tant en quantité qu’en travailleurs spécialisés. On le sait, cette pénurie frappe toutes les régions et tous les secteurs d’activité, et touche les plus petites comme les plus grandes entreprises. Elle oblige environ la moitié de celles-ci à refuser des contrats et force 40 % d’entre elles à freiner leurs projets d’investissement, voire à les annuler. Il s’agit là d’autant de possibilités de croissance, d’innovation et de développement de notre savoir-faire québécois qui s’évaporent chaque jour.

Depuis 2014, la population québécoise en âge de travailler (15 à 64 ans) est en diminution. Les données d’Emploi-Québec sont éloquentes : d’ici 2026, seulement pour combler les départs à la retraite des baby-boomers, il faudra trouver 1,4 million de nouveaux travailleurs.

Si l’on additionne tous les étudiants et qu’on augmente la contribution des travailleurs éloignés du marché du travail, il restera néanmoins un trou béant de 300 000 postes à pourvoir d’ici cinq ans.

On ne peut pas espérer que les besoins s’estomperont dans les prochaines années ; ce sera plutôt l’inverse. Les services publics comme le système de santé, déjà sous pression, devront offrir davantage de services en raison du vieillissement de la population, alors qu’ils ont déjà un manque criant de personnel.

Il faut se rendre à l’évidence : les besoins sont trop grands et nécessitent absolument l’apport de nouveaux travailleurs. Ces derniers contribueront à notre essor, en particulier dans les régions.

Oui, il faudra bien automatiser, robotiser, numériser, mais ces innovations exigent une main-d’œuvre de plus en plus spécialisée.

De plus, l’automatisation a ses limites. Le vaste secteur touristique, grandement ébranlé par la pandémie, envisage enfin de rouvrir ses portes. Mais à elle seule, cette industrie compte présentement 40 000 postes à pourvoir, autant en restauration, en hébergement, en lieux de loisirs qu’en tourisme d’affaires. Or, on ne peut pas robotiser ce qui demande un contact humain.

Le salaire médian : ne pas s’arrêter à un chiffre

Lors de notre assemblée générale annuelle, à la fin d’avril, le premier ministre François Legault a fait état de sa vision de la relance économique, et s’est montré compréhensif face aux enjeux pouvant propulser ou freiner cette dernière. En exprimant son souhait d’augmenter les salaires, il a indiqué que l’actuel revenu médian de 56 000 $ devait nous servir de guide, notamment dans l’attraction de travailleurs issus de l’immigration économique.

Le CPQ souscrit à cet objectif. Créer de la richesse contribuera, à terme, à améliorer les finances et à accroître les services publics. Il est tout à fait louable que le premier ministre ait la multiplication de postes à haut salaire dans sa ligne de mire, mais cette cible salariale doit demeurer un objectif, et non pas une barrière.

Sur les 124 métiers et professions pour lesquels Emploi-Québec reconnaît un grand besoin de travailleurs, 99 offrent un salaire médian supérieur à 56 000 $. Or, il s’agit rarement du salaire d’entrée.

De plus, plusieurs postes dits « à bas salaire » sont vitaux pour notre économie : pensons à ceux du secteur agroalimentaire, qui contribue à réduire notre dépendance à l’égard des importations, et à ceux du tourisme, qui est le moteur économique de plusieurs régions et la vitrine de notre société pour les visiteurs locaux et étrangers. Il ne faut surtout pas les sous-estimer.

Nous avons pleinement conscience qu’il existe encore d’importants défis d’intégration, de régionalisation et de reconnaissance des compétences. Toutefois, des mythes sur l’emploi des immigrants économiques méritent d’être déboulonnés :

– leur taux d’emploi est supérieur à celui des personnes nées ici ;

– le salaire des immigrants arrivés depuis au moins 10 ans est équivalent à celui des natifs ;

– 75 % des immigrants économiques parlent français à leur arrivée au Québec ;

– 90 % des immigrants qui demandent leur résidence permanente sont déjà au Québec, parce qu’ils occupent un emploi ou qu’ils viennent de terminer leurs études collégiales ou universitaires.

Nos deux gouvernements ont l’obligation de mieux collaborer et de reconnaître la rareté de la main-d’œuvre comme étant l’enjeu numéro un pour les employeurs.

Il n’est pas envisageable de penser à une relance économique sans capital humain.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.