Immobilier

Le plex montréalais pour sauver la planète ?

La ville de demain sera verte ou ne sera pas, préviennent les scientifiques. Pour arriver à la carboneutralité et limiter le réchauffement, les experts suggèrent des milieux de vie plus denses, où tout peut se faire à pied. Et si la clé se trouvait dans un modèle plus que centenaire : le plex montréalais ? Certains y croient dur comme le fer forgé d’un vieux balcon…

La cloche du Collège français vient de sonner et les élèves se dispersent, à pied ou à vélo, dans les rues du Mile End en ce joli lundi de mai. Caché dans les arbres de la rue Waverly, près de Fairmount, un cardinal fait entendre son chant clair. Tout près de là, ruelle Groll, un homme gratte sa guitare, une ado attend une amie, une voisine lit dans sa cour. Plus loin, un chien jappe, un bébé pleure, deux enfants jouent au ballon. D’autres encore accompagnent leurs parents qui font des courses rue Saint-Viateur…

Même s’il n’a rien de révolutionnaire, le quotidien de ce quartier central de Montréal, aux rues bordées de duplex et de triplex collés les uns sur les autres, est pour de nombreux experts le modèle à suivre pour l’avenir des villes et des banlieues : un milieu de vie agréable et animé toute la journée, où la voiture est facultative. Pour le bonheur de ceux qui l’habitent… et celui de la planète.

Les villes ont un rôle à jouer pour éviter des catastrophes provoquées par le réchauffement climatique, insiste le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). L’heure est venue de freiner l’étalement urbain, clame de son côté le Comité consultatif sur les changements climatiques du Québec, qui appelle notamment à la densification des zones habitées. Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, partage ce point de vue, n’en déplaise à certains élus à Québec, où la question a récemment suscité de vifs échanges.

« Aujourd’hui, sauf exception, s’opposer à la densification revient à se placer dans le camp de la destruction de la nature. C’est être pour les changements climatiques. »

— Christian Savard, directeur général de Vivre en ville

L’organisme qui travaille au développement de collectivités viables plaide pour une densification à « échelle humaine », plus acceptable socialement. « Ma préférence irait à autoriser de plein droit, partout, des bâtiments de trois étages, a écrit Christian Savard dans un récent billet. C’est le choix qu’a fait Minneapolis dans un objectif de justice sociale et de protection de l’environnement : duplex ou triplex autorisés partout. » Une stratégie aussi adoptée par d’autres villes, et qui rallie républicains et démocrates, chose rare aux États-Unis, fait remarquer M. Savard.

Les quartiers bâtis à cette échelle permettent de rentabiliser les infrastructures et sont « connus comme les plus sécuritaires et réconfortants en termes d’habitat humain », avance David Hanna, professeur en urbanisme retraité de l’UQAM. « Les gens s’y connaissent, s’y côtoient sur les balcons, contrairement aux quartiers d’unifamiliales détachées ou aux tours d’habitation en hauteur, où ils ont tendance à s’éviter », poursuit-il.

Les mauvaises années du plex

Les plex n’ont pourtant pas toujours eu bonne presse à Montréal. Apparus au milieu du XIXsiècle, ils ont surtout façonné la métropole dans le premier tiers du XXsiècle en poussant comme des champignons du Plateau Mont-Royal à Villeray, mais aussi à Rosemont, Verdun et Hochelaga-Maisonneuve, alors des quartiers de périphérie. Or, à partir des années 1940, ce type d’habitation conçu pour loger ceux qui quittaient les campagnes par milliers est tombé en désuétude. « Jusqu’aux années 1980, c’est une période de forts préjugés contre les plex, raconte David Hanna. En urbanisme, en économie, en sociologie, les spécialistes les voyaient comme un mauvais genre de bâtiment, rétrograde, pas moderne. »

« L’automobile, la maison familiale, l’accès à la propriété, c’étaient les grands dadas de l’époque. Une ville à plex, c’était vu comme l’horreur. »

— David Hanna, professeur en urbanisme retraité

À mesure que l’étalement urbain a allongé les déplacements, les « vieux quartiers » ont toutefois recommencé à attirer de jeunes adultes et des familles, séduits par leur vitalité. Dans la foulée, avec leurs escaliers extérieurs et leurs couronnements ouvragés, les plex sont même devenus un emblème de Montréal, jusqu’à décorer des cartes postales…

Le secret se cache dans la ruelle

Pour Francisco Toro, qui a quitté son Venezuela natal pour s’installer dans Rosemont il y a 11 ans, le secret du modèle montréalais se soustrait toutefois aux regards ; il se trouve dans la ruelle, l’espace de socialisation qui donne vie aux quartiers, selon lui. « On ne fait pas voir la ruelle à la visite, mais il faut la valoriser, c’est un élément constitutif de ce qui fait que Montréal marche », lance-t-il en saluant des voisins qui passent par là.

Surpris par tout ce qui s’y passait quand son fils passionné de cartes Pokémon a commencé à fréquenter ses voisins, le journaliste pigiste a fondé l’an dernier Vive la ruelle, un organisme qui propose aux Montréalais d’investir ce lieu précieux, mais parfois négligé, grâce à des interventions artistiques. Dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir, M. Toro a donc invité les décideurs à adopter non seulement le modèle du plex partout dans la Communauté métropolitaine de Montréal, mais aussi celui des ruelles.

« Sans la ruelle, ce modèle de quartier, où tes enfants sont en liberté et en sécurité, où tu es en public et en privé en même temps, n’existe pas. Si tu perds la ruelle, tu perds tout. »

— Francisco Toro, de Vive la ruelle

Un modèle inspirant

L’architecte Jean Verville, reconnu pour son audace, accorde aussi beaucoup d’importance au rôle de la ruelle, « l’élément qui stimule la collectivité, la rencontre des gens ». Il reconnaît aussi les nombreuses qualités des quartiers traditionnels montréalais, mais ce serait une erreur pour lui de les reproduire à l’identique par nostalgie. Dans les vieux plex, dit-il, « les dimensions d’espaces à vivre ne sont pas compatibles avec les désirs et les réalités des gens et des jeunes familles, qui préfèrent des espaces plus ouverts ».

Jean Verville a d’ailleurs réfléchi son projet NMBHD, dans Rosemont, « pour revisiter en partie certaines faiblesses du triplex actuel ». Dans l’unité principale qu’occupent aujourd’hui Nancy Marie Bélanger et Hugo Didier, avec leur fils, la taille des chambres a ainsi été réduite et les espaces de rangement réunis en une seule pièce pour agrandir les lieux de vie. Les trois unités de l’immeuble, toutes sur plus d’un niveau (pour casser l’horizontalité des constructions d’époque), profitent chacune d’un espace extérieur privé, mais en relation avec le voisinage, et de fenêtres qui laissent entrer beaucoup de lumière.

La réflexion sur l’avenir du plex doit se poursuivre, ajoute celui qui enseigne l’architecture à l’Université Laval, pour convaincre ceux qui ont une préférence pour les maisons unifamiliales de l’adopter. « Que vont-ils chercher en banlieue ? Un terrain vert, de l’espace pour les enfants… C’est à ça qu’il faut être sensible. »

« Il suffit de bien penser des espaces à vivre collectivement, et les gens en auront envie. »

— Jean Verville, architecte

En ville, les terrains sont aujourd’hui trop chers pour y construire des duplex ou des triplex en grand nombre, observe Jean Verville. Les promoteurs optent donc pour des densités plus fortes. Or, même dans ce contexte, les leçons du passé sont utiles, pense-t-il, en particulier en ce qui a trait au rôle des espaces semi-privés. La ruelle peut ainsi se transformer en cour centrale où les riverains partagent parfois des terrasses, des pavillons… En tout cas, il faut éviter d’entourer les immeubles de simples stationnements inhospitaliers.

En banlieue comme en ville

En banlieue, où les pressions spéculatives sont moins grandes, les quartiers de plex ont toutefois de beaux jours devant eux, croit Christian Savard, de Vivre en ville. « L’avenir du triplex, il est là », dit-il. L’adapter au goût du jour, puis l’implanter massivement, aux côtés de maisons de ville et de quelques tours pour ceux qui cherchent de plus petits logements, pourrait y transformer des cités-dortoirs en quartiers vivants. « C’est probablement la densité la mieux adaptée aux grands terrains de banlieue qui restent à développer. On peut recréer quelque chose qui ressemble à de la ville, où les gens sont moins dépendants de leur voiture, avec des épiceries, des CPE et des transports en commun assez efficaces », explique M. Savard.

Les démographes prévoient que 500 000 personnes de plus habiteront le Grand Montréal d’ici 20 ans. Multiplier en périphérie des secteurs de densité moyenne inspirés des quartiers centenaires de la ville (qui ont eux-mêmes poussé dans d’anciens champs à une autre époque) décuplerait l’offre de logements attractifs dans toute la région, tout en stoppant l’étalement urbain pour préserver les derniers milieux naturels et en réduisant les gaz à effet de serre liés au transport. « Ça diminue la pression sur l’environnement, mais aussi sur le logement », conclut M. Savard.

Le bon vieux plex montréalais ferait donc partie de la solution à la crise climatique comme à celle du logement. Pas mal pour un concept du XIXsiècle…

Plex, duplex, triplex, alouette !

Le plex est un immeuble d’habitation qui comporte quelques logements, généralement de deux à cinq, qui sont pourvus d’entrées distinctes. Au Québec, les immeubles à deux logements sont appelés duplex ; à trois logements, triplex ; à quatre logements, quadruplex, etc.

Source : Grand dictionnaire terminologique

243 000

Nombre de nouveaux ménages que devrait accueillir le Grand Montréal d’ici 20 ans, selon les projections de croissance démographique de l’Institut de la statistique du Québec.

Source : Portrait de l’habitation dans le Grand Montréal

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