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Fragments d’ailleurs,
50 récits pour s’échapper d’ici

Fragments d’ailleurs – 50 récits pour voyager par procuration
Gary Lawrence
Somme toute
320 pages
29,95 $

Journaliste baroudeur toujours par monts et par mots, Gary Lawrence regroupe ses récits de voyages les plus marquants dans Fragments d’ailleurs, une lecture d’évasion idéale en ces temps de paralysie touristique.

Après 25 ans de pérégrinations et dérives au gré des sept continents, celui qui a disséminé des centaines d’articles et photographies de voyage dans la presse québécoise (dont Le Devoir, L’actualité et divers magazines de plein air, entre autres) a sélectionné 50 de ses meilleurs comptes rendus, rassemblés dans un recueil à rendre folle toute boussole. Dans ces Fragments, l’adverbe « ailleurs » n’a jamais autant mérité son s, chaque paire de pages tournée équivalant au franchissement d’une frontière : navigation au fil des spiritualités indiennes, descente dans les mines boliviennes, babillages avec les Basques, repas reptilien en terre africaine, etc. ; le tout étant ponctué par des photographies de l’auteur.

C'est l’occasion pour cet explorateur, également rédacteur en chef du magazine Espaces, de jeter un œil dans le rétroviseur – et de constater que la caravane s’est bien garnie depuis 1994, année où il s'est lancé dans un premier périple de huit mois sur des sentiers étrangers dont il ne s’écartera plus. Peu convaincu par ses études de droit, recalé trois fois à l’alléchante Course destination monde, il avait fini par organiser lui-même cette odyssée en Europe et en Afrique du Nord, se découvrant bien plus à l’aise avec les cliquetis du clavier que face aux claquettes des caméras. Depuis lors, sa propre Course s’est mutée en marathon, dont les tribulations échevelées se reflètent dans les pages de ce premier ouvrage, où l’on saute d’un bond de l’Éthiopie au Japon, de la France à l’Argentine, mais aussi d’une époque à l’autre, revenant sur les pas du temps. Aventures, mésaventures, coups de cœur, coups de gueule : un vrai bar à tapas.

« Après 25 ans, c’était l’occasion de réunir des écrits qui étaient pour la plupart oubliés. J’ai toujours voyagé comme ça : en partant du jour au lendemain ou à court avis, pour repartir deux mois plus tard pour un autre séjour qui n’avait aucun lien avec le précédent », indique le journaliste indépendant. Il n’a pas pour autant confié au hasard le soin d’agencer le livre. « On a cherché un équilibre entre les histoires sombres et légères, longues et courtes, pour que le lecteur ne s’épuise pas à lire d’affilée trois textes un peu chargés », explique-t-il.

Déplaisante complaisance

Car il faut savoir que les aficionados des réseaux sociaux affamés du « tout est gentil, tout est beau » n’y trouveront pas systématiquement leur compte (Instagram). Gary Lawrence a beau être habitué à boucler ses bagages, il oublie systématiquement sur le quai un objet, pourtant prisé par bien des communicateurs du voyage : les lunettes roses. Et s’il restitue avec finesse la magie de certains lieux et peuples (les charmes du Mékong, les envoûtantes concrétions du désert blanc d’Égypte…), il n’hésite pas à nous plonger dans les bas-fonds de l’histoire humaine, sur les traces sanglantes des Khmers rouges et des génocidaires rwandais, ni à fustiger l’attitude déplorable de certains touristes, béotiens à défaut d’être bohèmes.

« J’ai toujours voulu donner l’heure juste. En journalisme de voyage, c’est souvent trop beau, trop complaisant. Dès que quelque chose dépasse ou n’est pas agréable, j’aime en parler. »

— Gary Lawrence

Il se fend d’ailleurs d’une diatribe introductive où le surtourisme en prend pour son rhume. Composée avant la parenthèse pandémique, celle-ci offre un triste portrait de la situation pour certaines destinations. « Je ne l’ai pas retouchée parce qu’on était rendus à un point critique, il ne faudrait pas l’oublier et éviter de reproduire les mêmes erreurs », lance celui qui cherche, même s’il se trouve parfois confronté à des dilemmes, à prêcher par l’exemple – en évoquant des lieux moins prisés ou des saisons délaissées, et en privilégiant des modes de voyage à échelle humaine, moins dommageables : petits groupes, randonnées par sentiers de muletiers...

Au moment de notre entrevue, il aurait d’ailleurs dû se trouver dans une cour autrement plus vaste que celle de son domicile montréalais, mais son rando-reportage sur les sentiers d’Ouzbékistan avait été enrayé pour les raisons que l’on connaît.

Des tripes littéraires

Bien que parfois amené à arpenter des destinations galvaudées, Gary Lawrence parvient toujours à dénicher des chemins de traverse, en les investissant par le terrain littéraire. Parce que ce passionné de bandes dessinées (ses héros : Tintin, bien sûr, mais surtout Corto Maltese) s’avère aussi féru de la langue de Molière, ciselant ses textes avec élégance et humour – ses titres en témoignent : il n’est jamais avare de calembours ! Sa plume apportant une saveur et des éclairages tout particuliers à ses récits, il s’en sert parfois pour s’envoler dans des « trips littéraires ».

Dans l’un de ses Fragments d’ailleurs, il propose ainsi une visite du Père-Lachaise sous forme de clins d’œil aux célèbres inhumés : « Le Père-Lachaise est aussi honoré de Balzac, parti à la recherche de l’absolu, et de Marcel Proust, toujours à la recherche du temps perdu », lit-on dans cet article de 1995. « J’adore écrire, jouer avec les mots, et les voyages sont une source d’inspiration, avec des anecdotes, des imprévus, des traumatismes... », confesse celui qui a glané en 2016 le prix Jules-Fournier, décerné aux journalistes pour la qualité de leur langue.

Au risque de faire mentir la Bible, le premier ne sera probablement pas le dernier : en attendant l’essoufflement de la pandémie, le journaliste bouillonne de projets, rêvant d'une visite des volcans à Vanuatu, ou d’un embarquement à bord du Marion Dufresne, navire ravitaillant les Terres australes françaises. Autant de futures lectures qui s’agrégeront éventuellement dans un second recueil. Pour l’instant, on ne peut que se régaler de ce premier opus qui offre aux lecteurs fraîchement déconfinés le bonheur de voyager par procuration.

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