Sortie de l'album 1969

Connor Seidel discret et partout à la fois

De Matt Holubowski à Charlotte Cardin, d’Elliot Maginot aux sœurs Boulay en passant par Alicia Moffet, Claudia Bouvette et Soran : tous travaillent depuis des années avec le réalisateur, auteur et multi-instrumentiste Connor Seidel. Son rôle est immense, pourtant, son nom est peu connu du grand public. Mais alors qu’il a mis sur pied le Collectif 1969, dont l’album est paru mardi, Seidel se fait voir un peu plus. Portrait d’un homme à tout faire, aussi discret qu’omniprésent.

C’est lui qui a imaginé l’album 1969, un hommage aux seventies, mais surtout à la musique qui a vu le jour cette année-là. Lui aussi qui a réuni les 12 artistes qui forment le Collectif 1969 : Half Moon Run, Ariane Moffatt, Safia Nolin, Matt Holubowski, Elliot Maginot, Louis-Jean Cormier, Philippe Brault, Les sœurs Boulay, Jason Bajada, Joseph Mihalcean, Claudia Bouvette et Elisapie. C’est également lui qui a réalisé et coécrit la grande majorité des pièces de l’album, en plus de jouer de plusieurs instruments et de coordonner le volet administratif du projet. Bref, 1969 commence et se termine avec Connor Seidel.

Pourtant, le Montréalais s’est toujours fait volontairement discret. « Je n’ai jamais vraiment eu l’intérêt d’avoir mon projet musical », dit-il, assis dans le studio où il passe le plus clair de son temps.

« [L’album 1969] est la chose la plus proche d’être mon propre projet, mais même là, je me cache un peu derrière le concept du collectif ! »

– Connor Seidel

Casquette noire vissée sur la tête, veston à carreaux sur le dos, Connor Seidel a le regard qui sourit lorsqu’il parle de cette passion née au début de l’adolescence. Une passion qui l’a poussé à se construire un studio maison, dans son quartier de l’Ouest-de-l’Île, et à enregistrer « tous les petits bands punk du voisinage ». De là, de façon autodidacte, il a tracé son chemin jusqu’à cette carrière de réalisateur-auteur-musicien-mixeur-ingénieur.

Créer la magie

La Presse a profité de la sortie de l’album 1969 pour s’entretenir avec lui au Treehouse, son studio aménagé dans un chalet cerné par la forêt, à Sainte-Adèle. Quelques minutes passées là-bas suffisent à comprendre pourquoi Seidel l’a adopté comme espace de création et pourquoi les artistes qui y sont passés le décrivent comme « magique ». L’endroit a été aménagé dans les années 2010 par le musicien et réalisateur David Laflèche, qui s’est ensuite associé à Connor pour garder le lieu actif.

Le Treehouse est loin du brouhaha du quotidien. Mais l’espace ne fait que canaliser cette « magie » qui opère quand une chanson est créée. Le vrai magicien, c’est Connor Seidel. Ceux qui collaborent avec lui le disent tous. À commencer par son allié de toujours, celui avec qui tout a débuté, Matt Holubowski.

« Mon cheminement musical a commencé avec Connor. C’était quelque chose d’instinctif de vouloir travailler avec lui. On était deux anglophones qui ont découvert ensemble l’industrie musicale francophone au Québec et on a plongé là-dedans ensemble. »

– Matt Holubowski

Après une rencontre fortuite il y a 10 ans dans une soirée folk, alors qu’aucun des deux n’avait vraiment d’expérience, Connor a réalisé (dans le sous-sol de ses parents) le premier album de Matt Holubowski, Ogen, Old Man (2014). Puis, les deux suivants, parus en 2016 et en 2020. Pour le disque du Collectif 1969, le duo a collaboré sur la chanson Vers la beauté.

Lorsque la carrière de Matt Holubowski a pris de l’élan, son ami l’accompagnait sur scène comme guitariste. Quand il a fallu que Matt s’accompagne de musiciens plus expérimentés, sous les conseils de sa maison de disques, il a fallu remplacer Connor. « J’avais une crainte, mais je lui ai dit et il a répondu : “Of course. Je ne suis pas un guitariste, je veux être un réalisateur” », raconte Matt Holubowski. Ce moment m’a fait comprendre à quel point c’est quelqu’un qui comprend la pureté de l’art. »

Réalisateur et plus encore

« Connor, il coche toutes les cases. Le gars est vraiment un génie dans tous les sens du terme, lance Elliot Maginot, qui interprète la pièce Provincetown sur l’album 1969 et que nous rencontrons au lendemain de notre visite au Treehouse. Il connaît tout ce qu’il y a à savoir, et s’il ne s’y connaît pas, le lendemain, il va être un expert. »

Elliot Maginot fait aussi partie de ce groupe d’amis-collaborateurs de Connor Seidel qui, après une première rencontre, n’a plus cessé de travailler avec lui.

« Je pense que c’est quelqu’un qui sait exactement ce qu’est l’essence de son travail, soit de comprendre l’artiste avec qui il collabore. Pour lui, il est d’abord toujours question de la toune, des émotions. »

–  Elliot Maginot

« Il est tout à fait capable de se faire dire quand quelque chose ne te tente pas, mais s’il propose une idée, c’est vraiment parce qu’il pense qu’il y a quelque chose à ajouter. Sinon il laisse les choses aller et il donne juste la poussée dont tu as besoin. Et à la fin, tu te dis que tu ne savais même pas que tu étais capable de faire ça. »

1969

« Je cherche toujours une excuse pour travailler avec de nouvelles personnes et pour continuer à travailler avec mes amis, dit Connor Seidel. Et en tant qu’anglo qui travaille avec des artistes francophones, je découvre toujours de nouvelles choses. Les sœurs Boulay m’ont montré de la musique que je ne connaissais pas, comme Jean-Pierre Ferland ou Charlebois. Je me suis demandé pourquoi on ne faisait plus des arrangements comme à l’époque. »

Vers la fin de 2019, l’idée de se lancer dans un projet rassembleur autour des années 1970 a germé. Quelques appels plus tard, le concept s’est concrétisé. « Pendant le processus, chaque artiste me faisait découvrir des projets de cette époque. Et chaque fois que je regardais les dates de création, c’était 1969. Ce concept des seventies est devenu 1969. »

« Quand j’ai besoin de me mettre au neutre, que j’ai besoin de méditer, je rentre direct dans cet univers des seventies, affirme Elisapie, jointe par téléphone. J’adore Buffy Sainte-Marie ou Nico ou Mélanie. Cet album, c’est une conversation sur quelque chose qui me passionne déjà. »

De façon très assumée, 1969 s’est dessiné comme un projet en marge, pas vraiment destiné à la radio. L’ambiance est folk et discrète. Le tempo incite à la détente. La bossa-nova s’invite parfois, les cordes et les flûtes sont souvent de la partie. Le Treehouse a permis d’enregistrer certaines parties à l’extérieur, laissant les parfaites imperfections des sons de la nature s’immiscer dans l’arrière-plan. Le tout a un air « floral », comme le décrit le réalisateur.

Chaque artiste a pu mener cette idée de base là où il a voulu. Elliot Maginot explique s’être inspiré de la ville de Provincetown pour raconter l’histoire d’amour d’un autre. Elisapie, sur Ullutamaat, chante la connexion au territoire, la solitude et la recherche de douceur.

« Connor avait une grande ouverture, dit Elisapie. On plonge dans un univers très précis, qui parle un peu du désarroi de tout ce que l’on vit [chez les peuples autochtones]. Mais il y avait quelque chose de très naturel, il y avait une belle grande adaptation de sa part, une grande écoute. »

Tisser l’histoire

Toutes les pièces ont été enregistrées au Treehouse. Mais aucun artiste n’a consulté les autres ou travaillé en collaboration. Connor était le point commun entre toutes les parties de ce projet. « J’avais à tisser une histoire avec ces 13 chansons, trouver comment toutes les faire fonctionner ensemble dans le bon rythme pour former cet album. »

Connor Seidel n’imagine pas de suite à 1969. Pas de funky 1974 ou de concept new wave qui s’intitulerait 1986. L’idée du collectif l’accroche toutefois encore et pourrait emprunter d’autres formes, dit celui qui travaille sur plusieurs projets d’artistes à Montréal et à Toronto.

Une chose est sûre, il tient encore et toujours à collaborer, à s’allier à d’autres pour créer de la musique. « Je pense que ce qui m’inspire le plus, c’est quand les autres sont inspirés. »


folk

1969

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Simone Records


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