Science

Une Québécoise perce le mystère des concombres de mer

Les pêcheurs de concombres de mer dans les provinces atlantiques font des affaires d’or avec l’Asie. Mais parfois, les endroits où ils sont très abondants se tarissent soudainement. Une Québécoise de l’Université Memorial de Terre-Neuve vient d’élucider cette énigme.

Une drôle de créature

La Dre Annie Mercier, professeure à l’Université Memorial, est l’auteure principale d’une étude publiée au cours de l’hiver dans la revue Animal Ecology. Elle étudie les concombres de mer depuis plus de 20 ans. 

« Le concombre de mer est une drôle de créature laissée pour compte, alors que le marché en Asie, surtout en Chine, est immense, dit-elle. Nous avons été dans plusieurs pays de l’Indo-Pacifique pour aider avec l’aquaculture du concombre de mer. Elle n’est possible que dans les eaux chaudes, parce qu’en eau froide, la croissance est très lente et la reproduction tardive. »

« Dans certains cas, les concombres disparaissent des enclos d’aquaculture. C’était mis sur le dos des prédateurs, des crabes ou des étoiles de mer. Mais nous montrons que le concombre de mer peut, quand il y a surpopulation, flotter et s’échapper par-dessus l’enclos. Nous avons des vidéos qui montrent ça à Madagascar. Il faudra donc avoir des enclos qui dépassent la surface de l’eau. » 

Le concombre de mer est une espèce intéressante pour l’aquaculture parce qu’elle peut consommer les déchets d’autres espèces, comme le saumon ou les mollusques. « On appelle ça l’aquaculture multitrophique », dit Mme Mercier, qui travaille à Memorial depuis 2005.

Une industrie importante

2 millions

valeur des concombres de mer pêchés en Nouvelle-Écosse en 2017

4,1 millions

valeur des concombres de mer pêchés à Terre-Neuve-et-Labrador : en 2017

Source : Pêches et Océans Canada

Mécanisme expliqué

« Les pêcheurs nous disaient que parfois, dans des zones où il y avait des dizaines de concombres de mer par mètre carré, soudainement la capture était moins grande », dit Annie Mercier. 

« Un ou deux jours après, les prises redevenaient normales. Alors ils se demandaient : est-ce que ça se peut qu’ils bougent ? Nous montrons que oui. Les traits de chalut mettent les sédiments en suspension et la turbidité de l’eau déclenche un phénomène de flottabilité. Le concombre de mer se remplit d’eau et bouge avec les courants et les marées. Il est aussi plus difficile à capturer par le chalut, car il peut rebondir sur l’engin. On pensait que ces animaux-là ne se déplaçaient que durant la période larvaire, mais finalement ils peuvent se déplacer sur des dizaines ou des centaines de kilomètres à l’âge adulte. Comme ils peuvent vivre des décennies, jusqu’à un siècle, leur potentiel de mouvement est important. » 

À la lumière de cette découverte, faut-il changer les méthodes de pêche ? « On a été contactés par Pêches et Océans, ils vont réviser leurs techniques d’évaluation des stocks, qui finalement sont moins permanents dans un lieu donné que prévu. Il faudrait aussi réviser la façon de les pêcher pour faire moins de turbidité. »

Une pêche en progression

201

tonnes de concombres de mer pêchés au Québec en 2008, première année où les prises ont été recensées

1153

tonnes de concombres de mer pêchés au Québec en 2013, dernière année où les prises ont été recensées

Source : Pêches et Océans Canada

De l’anecdote à la preuve formelle

Le mécanisme découvert par Mme Mercier pourra probablement être appliqué à d’autres espèces qui disparaissent soudainement, comme les oursins ou les étoiles de mer. « Pour les gens du milieu des pêches, cette étude rejoint plusieurs observations anecdotiques, on voyait des étoiles de mer rouler avec les bras repliés. Ça doit aussi être lié à un phénomène de flottabilité. On a vu aussi des anémones de mer dans les récifs de corail bouger comme ça, les gens pensaient qu’elles avaient été arrachées par une tempête, mais finalement, c’est une réaction de l’animal. »

Tonnes de concombres de mer pêchés par province, par année

2006

Nouvelle-Écosse : 788 

Terre-Neuve-et-Labrador : 582

2008

Nouvelle-Écosse : 1066

Terre-Neuve-et-Labrador : 698

2017

Nouvelle-Écosse : 2274

Terre-Neuve-et-Labrador : 3707

Source : Pêches et Océans Canada

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