Les 20 ans du 11-Septembre

Comment le 11-Septembre a changé le Québec

Accommodements raisonnables. Charte des valeurs. Loi sur la laïcité de l’État. Ces débats qui ont polarisé les Québécois ont été influencés par les attaques terroristes du 11-Septembre survenues aux États-Unis il y a 20 ans, notent des observateurs.

Comme tous ceux qui sont assez vieux pour avoir vécu l’évènement, Dalila Awada se souvient de ce qu’elle faisait le 11 septembre 2001 : elle était en classe dans le quartier Saint-Michel, à Montréal.

« Je me souviens surtout du lendemain, dit-elle. Nous avions observé une minute de silence. Après, un gars en classe s’était retourné. “Est-ce que c’est vrai que tu es musulmane ?”, m’avait-il demandé. J’ai répondu oui. Il a été dégoûté, et m’a traitée de terroriste. C’était la première fois que cela m’arrivait. J’étais en cinquième année. »

Avant ce jour-là, Dalila, dont la famille est d’origine libanaise, et qui est née et a passé toute sa vie au Québec, avait « vaguement » conscience d’être musulmane. Trop jeune pour porter le hidjab, elle ne se démarquait pas des autres enfants de l’école.

Après le 11-Septembre, les enfants ont continué à jouer ensemble à la récréation, dit-elle. « Mais j’ai senti que je n’étais plus la même dans le regard des autres. »

Les attaques du 11 septembre 2001, lors desquelles près de 3000 personnes ont été tuées par 19 djihadistes d’Al-Qaïda à New York, en Virginie et en Pennsylvanie, sont considérées comme l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire.

Les images de l’effondrement des tours du World Trade Center, de même que celles plus tard des attentats du groupe terroriste État islamique en Espagne, en France, au Royaume-Uni et au Canada, ont créé une vague d’inquiétude autour du monde, explique Michel Seymour, essayiste, professeur de philosophie à la retraite de l’Université de Montréal et auteur du nouveau livre Raison, déraison et religion – Plaidoyer pour une laïcité ouverte (écosociété).

« Tout à coup, il y a cette peur d’une religion soumise à des intérêts politiques qui semble vouloir s’élargir à l’échelle mondiale. Il y a eu une montée internationale de l’islamophobie. »

— Michel Seymour, essayiste, professeur de philosophie à la retraite de l’Université de Montréal et auteur

Au Québec, l’impact des attaques s’est surtout fait sentir chez la communauté arabo-musulmane. Dans les semaines qui ont suivi le 11 septembre 2001, Dalila Awada a vu pour la première fois sa mère être victime de racisme.

« On venait de faire des petites emplettes à la pharmacie, et un homme s’est mis à insulter ma mère. “Terroriste, retourne dans ton pays, vous détruisez le monde.” C’est troublant pour un enfant d’être témoin de ça. Tu ne peux pas l’oublier », dit Mme Awada, aujourd’hui chroniqueuse à Radio-Canada et au journal Métro.

Intérêt de comprendre

Pour Lamine Foura, journaliste et cofondateur du Congrès maghrébin au Québec, les attaques du 11 septembre 2001 ont créé un « avant » et un « après » pour les musulmans dans le monde. Ce changement a aussi permis à des éléments positifs d’émerger, dit-il.

« On est passé d’une indifférence vis-à-vis du monde arabo-musulman à un intérêt de comprendre ce monde complexe et hétérogène, en Occident et au Québec en particulier. »

— Lamine Foura, journaliste et cofondateur du Congrès maghrébin au Québec

M. Foura note que le début des années 2000 a coïncidé avec le moment où la communauté musulmane a atteint 100 000 personnes et a dépassé la communauté juive pour devenir la deuxième en importance au Québec, après la communauté chrétienne. « À mon avis, ça aussi, c’est un tournant qui a eu un impact sur les relations entre la communauté et les Québécois en général. »

Il y a 50 ou 60 ans, certains Québécois pouvaient ressentir un « malaise » en présence d’une personne noire. Aujourd’hui, un « malaise » semblable est perceptible chez certains Québécois lorsqu’ils sont en présence d’une musulmane dont les cheveux sont recouverts du hidjab, explique Michel Seymour.

« On se sent menacés de l’extérieur, on pense que notre identité est en danger. Chez certains intellectuels français et québécois, on a commencé à sentir une sorte de psychose de l’envahissement de l’islam politique, qui curieusement n’arrive pas. »

C’est dans ce contexte que sont apparus au Québec le projet de loi sur la Charte des valeurs québécoises du Parti québécois, puis celui de la loi 21 sur la laïcité de l’État, porté par la Coalition avenir Québec.

« Depuis septembre 2001, la laïcité est curieusement devenue un enjeu majeur et l’islam, par la même occasion, est curieusement aussi devenu une religion que [beaucoup] aiment détester. »

— Michel Seymour, essayiste, professeur de philosophie à la retraite de l’Université de Montréal et auteur

Les projets de loi sur la laïcité ne sont pas islamophobes, précise-t-il. Cela dit, les argumentaires développés pendant des années au Québec pour les appuyer avaient une teneur islamophobe, estime le professeur.

« Vous aviez Bernard Drainville, le ministre qui faisait la promotion du projet de Charte des valeurs, qui affirmait : “Ou bien c’est le projet de loi 60, ou bien c’est l’intégrisme.” Vous aviez aussi Djemila Benhabib qui nous disait que l’islam politique allait s’installer au Québec, Fatima Houda-Pepin qui soutenait que toutes les mosquées au Québec étaient subventionnées par l’Arabie saoudite et qu’on y enseignait le salafisme, Jean-François Lisée nous prévenait du danger des AK-47 sous les burqas… »

Cette peur de l’islam « a provoqué des débats acrimonieux, entraîné l’apparition de groupuscules d’extrême droite au Québec, une hausse des crimes haineux perpétrés contre la minorité arabo-musulmane et a engendré l’horreur à la mosquée de Québec, où six personnes ont été tuées alors qu’elles priaient », dit M. Seymour.

Daniel Baril, président du Mouvement laïque québécois, trouve quant à lui « ridicule » de faire un lien entre le 11-Septembre et la Loi sur la laïcité de l’État.

« La laïcité n’a rien à voir avec le sentiment antireligieux », dit-il.

Le Mouvement laïc québécois, rappelle-t-il, a été fondé en 1981. « Au début, on réclamait une école laïque, mais on a ensuite réclamé un État laïque. Tout ça, 20 ans avant le 11-Septembre, alors qu’il n’y avait pas un seul voile musulman dans la rue ! Nous n’avons pas changé notre conception de la laïcité depuis ce temps-là, c’est la même chose qu’on met de l’avant. »

Il arrive que des religions « soient plus expressives que d’autres sur leur appartenance, dit-il. Ce n’est pas un argument pour nous faire changer d’idée. »

Un contexte qui a nourri les débats

Lamine Foura remarque qu’au-delà des débats politiques, les immigrants maghrébins et musulmans en général s’intègrent bien à la société québécoise. « Et ces attaques terroristes n’y ont rien changé », dit-il.

En 2001, M. Foura, qui détient une formation d’ingénieur, travaillait comme consultant chez Bombardier Aéronautique lorsque la nouvelle que des avions avaient percuté le World Trade Center a commencé à faire le tour du bureau le matin du 11 septembre.

Dans les semaines qui ont suivi, le monde de l’aviation était en déroute, et son service a dû remercier des gens.

« Sur 20 ou 30 consultants chez Bombardier, ils en ont gardé 5 qui sont devenus des employés permanents. Je faisais partie des 5, et je suis de confession musulmane. »

M. Foura donne souvent cet exemple lorsqu’il s’adresse à des groupes de nouveaux arrivants au Québec.

« Comme dans toutes les sociétés, il y a de la discrimination, mais ce n’est pas tout le temps le cas. S’ils ont l’occasion de voir votre compétence, les gens vont vous recruter, sans pour autant voir votre origine ou votre religion. »

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