Éditorial Alexandre Sirois

Dieu ne vous protège pas contre ce virus

Ça semble absurde de devoir le préciser en 2020, mais c’est apparemment essentiel à l’approche de la fête de Pâques : votre Dieu ne vous protégera pas contre le virus.

Vous aurez beau prier et fréquenter votre lieu de culte préféré avec zèle, le coronavirus ne va pas faire demi-tour s’il vous trouve sur son chemin.

Certains ne l’ont pas compris. Ça saute tout particulièrement aux yeux lorsqu’on regarde ce qui se passe aux États-Unis.

Les exemples sont aussi nombreux qu’ils sont ahurissants. Vous avez peut-être vu ce récent reportage du réseau CNN où une croyante, interviewée après s’être rassemblée avec d’autres fidèles dans une église de l’Ohio, dit ne pas craindre la contagion. « Je suis couverte du sang de Jésus », répète-t-elle au journaliste.

A-t-elle seulement pensé qu’elle pourrait avoir du sang sur les mains si elle contribue à accélérer la transmission du virus ?

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Alors qu’au Québec, les communautés chrétiennes ont innové en prenant un virage numérique, aux États-Unis, des pasteurs rejettent les mesures de distanciation sociale. L’un de ces illuminés, Tony Spell, a été arrêté pour avoir réuni des centaines de fidèles dans son église de Baton Rouge en Louisiane. Défiant, il s’est empressé de récidiver.

Encore plus loufoque, le télévangéliste texan Kenneth Copeland (multimillionnaire, précisons-le) est pour sa part persuadé qu’il a contribué à éliminer le virus en « soufflant le vent de Dieu » dessus ! Rien de moins !

Des croyants plus intégristes qui font du déni ou ont du mal à assumer la menace représentée par le virus, ce n’est hélas pas un phénomène strictement américain.

Des chrétiens évangéliques ailleurs dans le monde les imitent, à l’instar de certains bouddhistes, musulmans et juifs ultra-orthodoxes.

Il y a aussi eu des dérives au Québec. Le porte-parole du Conseil musulman de Montréal, Salam Elmenyawi, a ainsi dénoncé à la mi-mars la fermeture des mosquées exigée par Québec. Par ailleurs, comment ne pas juger irresponsables certains gestes faits par des juifs hassidiques à Boisbriand, notamment ce rassemblement de 200 personnes lundi pour protester contre le confinement !

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Comment expliquer le comportement de ces croyants ? « En temps de crise, ils vont se tourner vers la chose qui leur est la plus familière. Cette chose, c’est leur livre sacré. lls vont chercher des réponses à travers ce livre sacré », explique André Gagné, du département d’études théologiques de l’Université Concordia.

Le problème, c’est qu’ils vont souvent interpréter ces textes sacrés de façon littérale.

Expert de la droite religieuse américaine, André Gagné n’est pas surpris le moins du monde des réactions de certains pasteurs et de leurs fidèles. On est ici au cœur de l’héritage des courants fondamentalistes qui ont émergé à la fin du XIXe siècle « en réaction à la modernité », explique-t-il.

Non seulement ils prennent la Bible au pied de la lettre, mais leur interprétation est parfois à géométrie variable. « On en fait une espèce de lecture pêle-mêle. On prend à droite et à gauche des passages qui citent des promesses de protection divine de victoire sur la maladie et on les applique directement à sa vie », résume l’expert.

Généralement, on se contente de balayer les lubies de ces intégristes d’un revers de main. La situation actuelle demande une plus grande vigilance. Leur attitude n’est pas sans conséquence. Elle va à l’encontre non seulement de leurs intérêts, mais aussi de ceux de leurs concitoyens.

La crise actuelle agit comme un révélateur. Les dérives de l’obscurantisme religieux sautent aux yeux.

Interpréter des textes sacrés sans tenir compte de l’évolution de nos sociétés et des découvertes de la science n’est pas inoffensif. En pleine pandémie, c’est l’équivalent de se voiler les yeux avec un masque au lieu de l’utiliser pour se couvrir la bouche.

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