Mort de George Floyd

« Ce n’est plus le temps de fermer les yeux »

À Montréal aussi, des milliers de personnes se sont réunies, dimanche, pour dénoncer la brutalité policière et le profilage racial dans la foulée de la mort de George Floyd, cet Américain noir tué lundi dernier à Minneapolis pendant son arrestation brutale par un policier blanc. La fin de la manifestation, qui s’était déroulée dans le calme, a été troublée par des casseurs, ce qui a entraîné l’intervention de la police antiémeute.

Les manifestants s’étaient donné rendez-vous devant le quartier général du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), rue Saint-Urbain, à 17 h. Des milliers de personnes ont répondu à l’appel à la solidarité pour dénoncer la brutalité policière et le profilage racial.

« On a besoin de tout le monde. On a besoin des alliés. Cette lutte-là, on ne peut pas la faire tout seuls. Ce n’est plus le temps de fermer les yeux », a dit l’animatrice de la marche, Stéphanie Germain, avant le départ.

« C’est émouvant de voir autant de personnes à une manifestation organisée en deux jours. Je pense qu’il y a une solidarité en ce moment, ça nous dit que les gens se réveillent. Ça nous montre que le problème de racisme, ce n’est pas juste le problème des Noirs, des personnes racisées ; c’est le problème de tout le monde. C’est le message qu’on envoie quand on se rassemble tous ensemble », a-t-elle ajouté devant la foule plus nombreuse qu’on l’avait espéré.

Poings en l’air, scandant « Black lives matter », la foule a manifesté pacifiquement, se déplaçant sur le boulevard René-Lévesque jusqu’au square Dorchester, entre les rues Peel et Metcalfe, où on a tenu quelques discours et observé une minute de silence. Deux heures après son début, la fin de l’événement a été annoncée et le groupe a commencé à se disperser calmement.

Perturbations

Or, vers 19 h 40, faisant fi du froid et de la pluie, quelques centaines de manifestants ont rebroussé chemin sur le boulevard René-Lévesque, perturbant la circulation. Des automobilistes coincés dans la foule démontraient leur appui en klaxonnant bruyamment.

Un trouble-fête, qui a commencé à balancer des pancartes de travaux routiers au milieu de la chaussée, s’est rapidement fait rabrouer, encercler et huer par les manifestants, qui le sommaient d’arrêter.

« Arrête ! Ne fais pas ça ! Après, c’est nous qu’on va blâmer ! » criait à l’homme blanc un manifestant noir.

Le groupe est retourné devant le quartier général du SPVM, où des barrières humaines de policiers antiémeutes bloquaient l’accès au bâtiment.

Des affronts verbaux ont par la suite dégénéré et la police a entrepris de disperser les manifestants avec des gaz irritants. Rue Sainte-Catherine, le magasin Steve’s Music a été la cible de vandales, qui ont non seulement cassé ses vitrines, mais aussi volé des guitares.

Rue Saint-Urbain, au coin de l’avenue du Président-Kennedy, des casseurs ont monté une barricade avec tout ce qui se trouvait sous leurs mains – cônes, clôtures, même une toilette chimique –, bloquant le chemin à un camion de pompiers.

Des manifestants ont démonté la barricade pour laisser passer le camion, sous les applaudissements de leurs camarades. Puis, les casseurs ont recommencé leur manège, fracassant des vitrines et lançant des pierres aux policiers qui tentaient de les disperser. Toujours, des manifestants tentaient de les raisonner et leur demandaient d’arrêter, arguant qu’ils n’aidaient pas leur cause. Les policiers ont fini par disperser les récalcitrants vers 21 h 30.

« Malheureusement, ce qui est arrivé deux heures après notre manifestation n’est pas dans notre contrôle », a réagi l’une des organisatrices de la manifestation, Marie-Livia Beaugé.

Rassemblement calme, mais dangereux

Plus tôt dans la soirée, les milliers de personnes réunies au parterre du Quartier des spectacles attendaient le coup d’envoi de cette marche visant à dénoncer le racisme et la brutalité policière. Le rassemblement, en ces temps de pandémie, était à haut risque.

L’organisation distribuait des masques et du gel désinfectant à ceux qui n’en avaient pas. À de nombreuses reprises, on rappelait au microphone de garder une distance sécuritaire. Si la distanciation physique était difficile par moments, les manifestants ont massivement respecté la consigne du port du masque.

« On est là en paix, pour protester, pour canaliser notre colère. Et on va le faire comme il se doit, ici », ont demandé les organisatrices aux manifestants de toutes origines, rassemblés pour la cause.

« Je suis Américain et je suis tellement fâché. Je travaillais avec des communautés noires au New Jersey et j’ai trop souvent vu des événements révoltants. Je suis fâché et je les comprends. C’est beaucoup plus que de la violence policière, c’est du racisme systémique », a expliqué le manifestant Wade Tomlinson, satisfait d’avoir l’occasion de pouvoir dénoncer, ici, des événements inacceptables survenus chez lui.

« C’est incroyable qu’il y ait encore de l’injustice par rapport à la couleur de peau. C’est important de supporter cette cause-là. Ce qui est dommage, c’est que ce sont souvent des gens qui profitent de l’occasion juste pour faire du grabuge. »

— Danaëlle Carvalho, manifestante

Le SPVM avait par ailleurs assuré son soutien aux manifestants sur les réseaux sociaux.

« Le #SPVM souhaite exprimer son désarroi devant la situation qui fait écho partout dans le monde suivant le décès de George Floyd. Autant le geste posé que l’inaction des témoins présents vont à l’encontre des valeurs de notre organisation. […] Nous respectons les droits et le besoin de chacun de dénoncer haut et fort cette violence et serons à vos côtés pour assurer votre sécurité », avait indiqué le SPVM sur son compte Twitter.

Dans un communiqué envoyé dimanche, les organisateurs disaient réclamer justice pour George Floyd, mais aussi pour « TOUTES » les victimes de l’impunité policière, énumérant Regis Korchinski-Paquet (Toronto), Tony McDade (Tallahassee) et Breonna Taylor (Louisville).

« La mort de George Floyd n’est pas un cas isolé. Ce n’est pas la première fois qu’une personne meurt aux mains de la police sans raison. […] Citons seulement Fredy Villanueva, Nicholas Gibbs, Pierre Coriolan, Nicholas Thorne-Belance, Alain Magloire. C’est maintenant que l’on doit agir ensemble pour que ça s’arrête ! », dénonçait l’une des organisatrices de la manifestation, Marie-Livia Beaugé, dans le communiqué.

« On ne s’attendait pas à avoir autant de monde qui a pris des risques pour faire comprendre aux autorités qu’assez, c’est assez par rapport aux meurtres, au profilage racial et au racisme systémique ! Ça a vraiment été un succès », a-t-elle réagi au terme de l’événement.

« Ça n’arrive pas qu’aux autres », prévient Félix Auger-Aliassime

Le joueur de tennis québécois Félix Auger-Aliassime a pris la parole, dimanche, pour donner son point de vue sur la crise raciale qui déchire les États-Unis depuis une semaine. Dans une vidéo publiée sur son compte Instagram et visionnée plus de 35 000 fois, le jeune homme de 19 ans qui a grandi à Québec se dit conscient que « tout le monde n’a pas la même liberté et les mêmes chances » que lui-même a eues. Il raconte que son père Sam, né au Togo mais établi au Québec depuis le milieu des années 90, a déjà été suivi puis interpellé par une policière de la Vieille-Capitale qui lui a souligné qu’il était rare qu’un homme de couleur conduise une voiture de luxe dans le quartier où il se trouvait. Cette histoire, « sans violence et conclue sans heurt », illustre, selon lui, ce qui « crée la frustration que l’on a vue récemment ». « Les gens doivent en prendre conscience : ça n’arrive pas qu’aux autres. Ce pourrait être vos amis, votre professeur, votre coach. Ça arrive à tout le monde », ajoute Félix Auger-Aliassime, qui déplore par ailleurs à quel point « c’est dur quand [cette discrimination] vient de personnes qui devraient nous protéger ». « Je souhaite que les choses s’améliorent au sud de la frontière et que ça se termine dans la paix », conclut-il.

— La Presse

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