OPINION

SYSTÈME DE SANTÉ Handicapée, mais pas assez 

La première fois que j’ai donné des médicaments au moyen d’un tube d’alimentation gastro-entérale, c’est une maman qui m’a gentiment montré la technique en voyant mes mains tremblantes s’approcher de sa fille, trahissant mon insécurité d’infirmière débutante.

La première fois que j’ai participé à une routine de soins pulmonaires, c’est un papa qui m’a patiemment montré les bons gestes pour que sa fille ne soit pas trop inconfortable à cause du traitement. Sous la pneumonie qui l’avait conduite à l’hôpital pédiatrique, Sarah [nom fictif] dissimulait une longue liste de déficits physiques, moteurs et intellectuels caractéristiques d’un syndrome génétique nécessitant une prise en charge totale de ses soins depuis sa naissance. 

Les parents de Sarah avaient pris le temps de m’expliquer comment prendre soin de leur fille polyhandicapée alors que c’était moi qui avais une « formation » dans le domaine médical. De fiers parents d’une petite fille tricotée avec amour qui avait perdu au tirage de la loterie du chromosome. Malgré eux, ils étaient devenus les experts. Des parents d’abord, maintenant infirmiers par défaut. 

Des histoires comme la leur, j’en ai entendu plusieurs depuis que j’occupe le poste d’infirmière clinicienne aux soins intensifs pédiatriques. Des parents dont la résilience, le courage, la détermination et l’engagement leur vaudraient une médaille olympique, mais qui sont soumis à un stress constant. 

L’environnement des soins intensifs pédiatriques est bien connu pour le bruit agressant des machines et des moniteurs, et pourtant, mon rôle d’infirmière m’orientait sur les cris d’alarme silencieux de ces parents épuisés, à bout. Ces parents ont lancé leur petite bouée de sauvetage dans notre système de santé hospitalier parce que malgré toute la volonté et l’amour du monde, ils n’y arrivent plus, financièrement, psychologiquement, émotionnellement, et doivent songer à « placer » leur enfant. 

Familles naturelles, familles d’accueil

Selon le plus récent relevé statistique de Retraite Québec (2017), la province comptait 36 419 enfants handicapés. Une étude commandée par les organismes L’Étoile de Pacho (réseau d’entraide pour parents d’enfants handicapés) et Parents jusqu’au bout ! réalisée par la firme Raymond Chabot Grant Thornton (2017) concluait que les familles dites « naturelles » (qui assument la garde et les soins de leur enfant handicapé) ont droit à 25 632 $ par année à titre de soutien étatique (en moyenne). Or, une famille d’accueil à qui on confierait la charge du même enfant obtiendrait 44 254 $ annuellement (en moyenne) : un écart de plus de 18 000 $, soit 70 % de plus que les familles naturelles. 70 % plus de revenus, mais 100 % moins de noyau familial. 

L’écart réel est encore plus important pour les familles qui n’ont pas droit au SEHNSE, ce supplément pour enfant handicapé nécessitant des soins exceptionnels. Cependant, le SEHNSE ne prévoit pas de niveaux de soins intermédiaires, ce qui a engendré un refus de plus de 50 % des familles ayant présenté une demande, le gouvernement jugeant que le handicap de ces enfants « n’était pas assez sévère ». 

Sarah faisait partie du 50 % d’enfants refusés. Elle avait aussi perdu à la loterie de la subvention. 

Et c’est en échangeant avec des parents comme ceux de Sarah que mon rôle d’infirmière devient un paradoxe. Prendre soin d’un enfant, c’est aussi prendre soin de toute la cellule familiale qui l’entoure. Mais quand les parents de Sarah se tournent vers moi et me disent qu’ils ne savent plus à quelle porte cogner pour se faire entendre et recevoir plus d’aide, je me retrouve, moi aussi, dépourvue de solutions.

Dépourvue devant un système de santé qui soi-disant prône le principe de primauté familiale, et néanmoins qui contraint des parents à « placer » leur enfant, faute de soutien financier.

Courage et dévouement

Pour répondre à cette injustice, le nouveau gouvernement de la Coalition avenir Québec avait promis que 22 millions seraient investis pour mieux soutenir les familles, en plus de revoir le supplément SEHNSE afin de le rendre plus flexible et plus inclusif. Mais malgré les promesses porteuses d’espoir, les parents de Sarah continuent d’avancer à petits pas vers le précipice financier. 

Les soins infirmiers sont une discipline de pratique, mais aussi un acte politique. 

Les parents ne devraient pas avoir à faire front seuls devant ces inégalités sociales ; les professionnels de la santé ont aussi une responsabilité éthique et se doivent de défendre l’intérêt des familles dont ils prennent soin.

Nous le devons à ces parents et à ces enfants qui traversent nos établissements hospitaliers de façon transitoire, de s’arrêter et de comprendre leur réalité au-delà du diagnostic médical. 

Avant de quitter l’hôpital, j’observe les parents de Sarah et je ne peux qu’être admirative devant leur courage et leur dévouement à s’occuper de leur fille, jusqu’au bout. 

Sarah n’a pas eu beaucoup de chance à la loterie de la vie, mais elle a gagné le gros lot au tirage des parents.

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