Série 4 de 6 Trump, le Brexit et le populisme de droite

Populisme, le can-gatto de la politique italienne

Quatrième d’une série de six textes sur la politique américaine à la veille des élections présidentielles, la bataille du Brexit au Royaume-Uni et la montée du populisme en Italie, en France et en Allemagne

Le populisme est si souvent invoqué que son sens en est dénaturé au-delà de toute compréhension. Suivant Giovanni Sartori, politicologue italien, le phénomène est comparable au can-gatto (chat-chien) : une créature qui n’existe pas dans la nature, mais qui résulte de l’amalgame de deux espèces dont certaines caractéristiques sont similaires. En Italie comme ailleurs, le même sort est réservé à la notion de populisme, souvent galvaudée pour inclure des phénomènes politiques pourtant bien distincts.

Même Benito Mussolini et Silvio Berlusconi sont de plus en plus qualifiés de populistes, mais surtout en raison de leur style de leadership.

Le populisme de la droite et de la gauche politiques suscite de nombreux débats en Italie. Même si le concept est principalement associé à la droite, on peut avancer que la gauche également a fait ses choux gras de l’idée bien ancrée d’un peuple vertueux et travaillant qui lutte contre une élite exploiteuse.

Le populisme d’aujourd’hui est étroitement lié à la Ligue et au Mouvement 5 étoiles (M5S). Fondée dans les années 1980, la Ligue était au départ un parti sécessionniste représentant la population travaillante et prospère du Nord. Au fil du temps, elle est toutefois devenue un parti nationaliste anti-immigration, guidé par le charismatique Matteo Salvini.

Le parti M5S, beaucoup plus récent, a été fondé par l’humoriste Beppe Grillo, dont les demandes environnementales et égalitaristes ont séduit de nombreux anciens électeurs de gauche.

Les deux partis ont triomphé aux élections de 2018 en recueillant plus de 50 % des voix. La Ligue a été élue dans le Nord, et le M5S, dans le Sud. Ils ont gouverné ensemble durant plus d’un an, jusqu’à ce que leur alliance soit rompue. Le parti M5S partage maintenant le pouvoir avec le Parti démocrate de centre gauche, mais sa popularité dégringole. La Ligue et Les frères d’Italie, un parti nationaliste, xénophobe et néofasciste, profitent de la situation.

La Ligue et Les frères d’Italie bénéficient d’un soutien considérable au sein de la classe ouvrière et de la population sans emploi ou en situation précaire, et récolteront sans doute d’autres appuis dans la classe moyenne inférieure. Il y a dix ans, j’ai interviewé avec un collègue des membres et des représentants de la Confédération générale italienne du travail de la Vénétie, principal syndicat national de gauche de la région de Venise, deuxième pôle industriel du pays.

À l’époque, la plupart des militants syndicaux de la région affirmaient voter pour la Ligue sans noter de contradiction politique. À leur sens, le syndicat défendait leurs intérêts au travail, mais seule la Ligue répondait à leurs préoccupations grandissantes à l’égard de l’immigration, des déménagements d’usines, de la hausse des inégalités sociales et de la fin présumée de la mobilité sociale. Le Parti démocrate était perçu comme un regroupement de professionnels, de fonctionnaires et d’intellectuels. Aux yeux des militants syndicaux que nous avons rencontrés, il ignorait tout de la culture de la classe ouvrière, et l’abhorrait même.

La Ligue est bien ancrée dans les villes industrielles de petite et moyenne taille. Issues du modèle « d’industrialisation diffuse » de l’Italie, celles-ci étaient, jusqu’à la Grande Récession de 2008, à la base de l’économie du pays. Les petites et moyennes entreprises y étaient florissantes. Le discours sur « l’Italie d’abord » de la Ligue a résonné chez les « laissés-pour-compte » de la mondialisation. Le territoire est donc divisé entre la Ligue, populaire dans les villes de petite et moyenne taille et en milieu rural, et le M5S, qui se démarque dans la banlieue des grandes villes. Les partis de centre gauche et de la gauche radicale sont largement confinés aux centres urbains et à la tranche la plus instruite de la population. Certains affirment que la gauche devra verser dans le populisme si elle souhaite redorer son blason.

La montée des idéologies populistes en Italie est le symptôme d’une démocratie malade, ou d’une « démopathie », selon la terminologie du politicologue Luigi Di Gregorio. Mais elle témoigne aussi de la défaite de la gauche politique en Italie, ainsi que de la chute du mouvement syndical. Comme l’anthropologue Fabio Dei l’a écrit, le populisme est alimenté par « la perte du sentiment communautaire ».

Comme dans tous les pays, la force du lien unissant le populisme italien à la désindustrialisation de certaines régions n’est pas encore claire. Nous savons toutefois que les anciennes villes industrielles qui ont été les premières à se désindustrialiser, comme Turin, Milan, Gênes et Venise, ont particulièrement bien résisté au populisme. L’ancienne solidarité ouvrière y est toujours présente, et est même transmise à la nouvelle génération. Mais les choses changent lentement. Dernièrement, les villes de Sesto San Giovanni, épicentre ouvrier industriel de la région de Milan, et de Turin, la « ville des moteurs » de l’Italie, ont respectivement voté pour élire des maires de la Ligue et du M5S.

Le populisme est particulièrement marqué là où le travail se fait rare et où les conditions de vie se détériorent, et c’est là que le « sentiment communautaire » doit être rétabli.

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