Nuire à la cause

L’effroyable attentat islamophobe à la mosquée de Québec le rappelle : le Québec et le Canada ont le devoir de combattre le racisme, la xénophobie et la haine sous toutes leurs formes.

Les bonnes intentions ne suffisent pas. Il faut aussi un mélange de fermeté et de tact. Une force morale pour dénoncer ce qui doit l’être et une habileté pour trouver les bons mots. Car le but n’est pas d’avoir raison, c’est de convaincre. D’unir les gens dans une lutte commune.

Le ministre fédéral de la Diversité et de l’Inclusion, Ahmed Hussen, n’aide pas la cause en nommant Amira Elghawaby représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie au Canada.

Même si ses propos passés sur l’islamophobie sont sans doute partagés par certains Québécois, ils manquent de nuances et caricaturent le débat sur la laïcité.

En juillet 2019, elle écrivait dans l’Ottawa Citizen que « la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman ». Elle s’appuyait sur un sondage Léger montrant que « 88 % des Québécois qui avaient une perception négative de l’islam appuyaient la loi 21 ».

Il est vrai qu’au Québec, l’islam suscite plus de méfiance que les autres religions. Une enquête menée par Léger et l’Association d’études canadiennes montre que les religions ne sont pas toutes vues de la même façon.

Chez les partisans de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21), 75 % ont une opinion négative de l’islam. Le taux est de 66 % pour le sikhisme, 49 % pour le judaïsme et 36,5 % pour le christianisme.

À l’inverse, on ne peut pas soutenir que c’est l’athéisme ou l’agnosticisme qui motive l’appui à la Loi. En effet, les incroyants n’appuient pas davantage la loi que la reste de la population.

Mme Elghawaby peut déplorer que la peur de l’islam motive une partie des partisans de la loi et que cet interminable débat ait libéré une parole intolérante. Mais son analyse devrait aller plus loin pour vérifier si les Québécois diffèrent des autres Canadiens, et si des citoyens peuvent appuyer la loi 21 au nom d’autres principes.

En 2021, Angus Reid a sondé les Canadiens sur la « diversité raciale ». Les réponses au Québec ne différaient pas de celles des autres provinces.

Le sondeur mesurait aussi la perception du discours antiraciste. Quel est le principal problème actuel : ceux qui ignorent la discrimination réelle ou ceux qui dénoncent une discrimination inexistante ? Là encore, le Québec était dans la moyenne.

Les croyances racistes ne sont pas plus grandes chez le Bloc – le seul parti fédéral pro-loi 21 – que chez les libéraux.

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Des humanistes comme le sociologue Guy Rocher défendent la loi. Leur génération a été marquée par le rapport particulier entre le Québec et la religion. La conception de la laïcité qui en découle ne remet pas en cause la primauté du droit. Elle s’appuie plutôt sur une lecture plus européenne de l’équilibre entre les libertés. Leur méfiance face aux dogmes religieux s’appuie sur un discours rationnel.

Certes, on ne s’attend pas à ce que Mme Elghawaby relaye cet argumentaire avec conviction.

Elle peut juger que cet universalisme laïque est trop abstrait et déconnecté du Québec pluriculturel d’aujourd’hui.

Elle peut trouver que la laïcité de l’État ne devrait pas s’appliquer à une enseignante et que le port d’un signe religieux ne constitue pas de l’endoctrinement.

Elle peut craindre les effets pervers de la loi – si on empêche une personne d’exprimer son appartenance religieuse, cette identité ne fera que se renforcer.

Ces critiques se défendent tout à fait. Mais Mme Elghawaby convaincrait davantage si elle donnait l’impression de mieux comprendre ceux qu’elle critique.

Ses propos sur le Québec permettent d’en douter.

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Le débat sur la laïcité porte désormais aussi sur le droit du Québec de faire ses propres choix. L’évolution de François Legault le prouve. Il y a une décennie, la laïcité l’intéressait peu.

C’est devenu émotif pour lui quand le Québec a été attaqué. Plus le Canada veut empêcher ce modèle de laïcité, plus il tiendra à la défendre.

Ce phénomène, Mme Elghawaby risque de l’aggraver.

Sa réaction à une chronique de Joseph Heath laisse pantois. Dans le Globe & Mail, le philosophe torontois recommandait en 2021 que le Canada développe son propre discours antiraciste au lieu de copier celui des Américains. Il proposait d’inclure les griefs des Canadiens français, qui ont été les plus nombreux à avoir été intégrés à la confédération de force.

« J’ai envie de vomir », a réagi Mme Elghawaby sur Twitter. Elle a par la suite effacé le gazouillis.

Le Québec semble particulièrement l’inquiéter. Elle a fait un lien indirect entre la loi 21 et l’attentat islamophobe à London, en Ontario. Une conclusion plus logique aurait été : les préjugés existent ailleurs aussi au pays.

Bien sûr, ce cas n’a rien à voir avec la gravité de celui de Laith Marouf.

L’année dernière, le ministre Hussen a subventionné un organisme antiracisme pour lequel il donne des conférences. M. Marouf a déjà écrit que les « suprémacistes blancs juifs » devraient recevoir « une balle dans la tête » et que les « Frogs ont un quotient intellectuel de moins de 77 ».

Une question difficile se pose : pourquoi le discours antiraciste libère-t-il parfois lui aussi une parole intolérante ?

Les luttes sociales ne se gagnent pas en étant gentils. Mais même si les dérapages sont inévitables, le fédéral n’a pas besoin de les cautionner.

Car Mme Elghawaby n’est plus qu’une simple militante, elle est maintenant une émissaire du Canada. On aurait pu trouver une meilleure rassembleuse.

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