Séries télé

Les exigences de la télé québécoise

Les auteurs de télévision sont soumis aux règles de leur industrie, plus compétitive que jamais. Si la pression est aussi forte et les conditions, pas toujours idéales, c’est que la télévision québécoise tente de prospérer.

Le financement des productions québécoises ne rivalise pas avec celui du Canada anglais, encore moins avec l’enveloppe des séries américaines. Selon les données du Fonds des médias du Canada (FMC), les deux tiers des fonds publics au pays servent à financer les productions anglophones, même si le Québec produit bien plus de contenu.

Mais moins d’argent veut dire plus de contraintes. Tous ceux qui travaillent sur des productions télévisuelles en savent quelque chose. Selon Marie-Hélène Taschereau, directrice du développement, productrice au contenu, mais aussi auteure chez KOTV (Plan B, Conseil de famille, La Maison-Bleue), cela provoque une « tension entre ce qu’on veut offrir au public et les coûts qui augmentent, tandis que l’argent ne suit pas toujours ».

« On veut donner le meilleur. Le public ne dira pas : “Ah, je comprends, lui n’a pas eu tant de millions pour faire ça, je vais être plus indulgent !” »

Est-ce que la multiplication des chaînes et des plateformes fait qu’on se retrouve avec « trop » de productions télévisuelles ? Normand Daneau estime que la « guerre commerciale » entre les diffuseurs, qui veulent tous une plus grande part de l’enveloppe de subventions qui leur est destinée, vient plomber le potentiel de chaque production. Plus de productions, c’est moins d’argent pour chacune d’entre elles.

Frédéric Ouellet se demande quant à lui si on ne devrait pas « canaliser un peu, faire un peu moins de projets, mais les faire mieux ». « En même temps, ça permet à plein de monde de travailler, reconnaît-il. Sauf que c’est dans des conditions un peu tristes. On fait de très bons shows pareil, mais ce serait le fun qu’on ait plus de rayonnement. On ne s’en donne juste pas les moyens. »

Protéger l’auteur

Marie-Hélène Taschereau porte le chapeau de productrice et celui d’auteure. Elle ne connaît que trop bien le dilemme que pose parfois une offre d’un diffuseur de porter une série à l’écran. Elle assure qu’il arrive à KOTV de refuser des demandes de diffuseurs (après l’évaluation des délais ou du nombre d’épisodes, par exemple), pour le bien du projet et de l’auteur. Mais « des fois, le projet vaut la peine qu’on mette les bouchées doubles pour rentrer dans certains délais ou paramètres, ajoute-t-elle. Je ne veux pas déresponsabiliser l’industrie, mais chacun doit se demander s’il est capable ».

L’équipe de production de Sphère Média (Trop, Les honorables, Transplant, Mémoires vives) dit miser beaucoup sur l’étape du développement pour que le processus soit moins frénétique une fois la production enclenchée. « Il faut être vigilant, comme producteur, ne jamais négliger le développement, affirme Josée Vallée. La demande est croissante, donc on peut être tenté de réduire ce temps d’incubation, mais nous, on le trouve important. » Parce que ce n’est pas le producteur « qui pousse le crayon », Sphère tient à impliquer ses auteurs tant pour l’élaboration des échéanciers que, plus tard, dans le choix des réalisateurs, tout en les « gardant au courant » des décisions créatives prises une fois la production commencée.

« On essaie le plus possible de protéger autant les demandes du diffuseur que le temps dont les scénaristes ont besoin. Est-ce qu’on réussit chaque fois ? Je ne peux pas dire que oui.  »

— Josée Vallée, productrice

La méthode américaine

L’industrie est en essor. La demande n’est pas sur le point de se tarir. Comment alors s’adapter pour que les conditions de travail ne se détériorent pas ? Chez KOTV, on amène une solution encore rare au Québec : c’est avec la méthode « à l’américaine » des writers’ rooms que l’on met au monde plusieurs productions. Une façon de faire que plusieurs scénaristes interviewés par La Presse ont évoquée comme une bonne façon de pallier leurs problèmes d’échéanciers.

« On est peu nombreux à travailler de cette façon, dit Marie-Hélène Taschereau. Ce qu’on fait, par exemple avec la série Le pacte, c’est que j’écris un synopsis très long et j’attribue un épisode par équipe, où il y a au moins un auteur d’expérience et au moins un autre qui a moins d’expérience, qui va apprendre beaucoup dans le processus. C’est un incubateur de talent aussi. »

Tous les projets ne s’y prêtent pas, mais lorsque c’est le cas, il est très favorable de réunir des auteurs autour d’une table et autour d’une même série, affirme la productrice de KOTV. « Avec cette façon de travailler, même si on a des délais assez courts, on a des textes de grande qualité. »

Dur à baliser

« C’est seulement à 40 ans que j’ai pu vivre entièrement de mon métier », raconte Geneviève Simard, qui a débuté comme scénariste en 2003, après un parcours de comédienne. C’est lorsqu’elle a coécrit la série diffusée au Canada anglais The Disappearance, avec Normand Daneau, que les choses ont pris leur envol pour de bon. Mais tous n’ont pas la chance de proposer un projet qui se rendra à ce stade, et ils doivent alors parfois multiplier les séries ou d’autres projets professionnels pour gagner leur vie.

La Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) a toutefois convenu pour ses membres d’une rémunération minimum. Dès qu’elle le peut, elle s’érige en chien de garde. Mais alors se pose aussi le problème des « contrats maison », qui ne sont régis par aucune balise. Dans ces cas, la SARTEC peut agir comme conseillère pour les auteurs, avant la signature, rien de bien plus.

Pour les contrats types, « on reçoit la très grande majorité du volume et on les vérifie, pour être sûr que c’est conforme aux ententes collectives », explique la directrice générale Stéphanie Hénault. « La plupart du temps, les auteurs seront payés plus que le minimum par les producteurs. La rémunération minimum, c’est souvent plus pour les jeunes auteurs. »

La télévision jeunesse n’a d’ailleurs pas vu grand changement dans le budget qu’on lui accorde, fait remarquer Stéphanie Hénault.

« Les auteurs jeunesse se surmènent notamment parce qu’ils sont forcés de se consacrer à plusieurs projets à la fois, alors que la rémunération n’est pas à la hauteur. Il faut qu’on leur donne les conditions pour grandir, créer et être rémunérés adéquatement. Sinon, ils vont faire autre chose ou ils vont faire des burnouts.  »

— Stéphanie Hénault, directrice générale de la SARTEC

« Pour que le créateur soit en mesure d’écrire et de livrer des textes sans y laisser sa santé, il ne faut pas des conditions minimales, ajoute Chantal Cadieux. Il faut des conditions non pas idéales, mais presque. » C’est vers cette conclusion que tendent tous les artistes et artisans interrogés. Ce métier qui les passionne vient avec des défis incontournables (et souvent stimulants), mais les conditions qui peuvent être améliorées méritent de l’être, disent-ils d’une voix. Pour la santé des créateurs et celle de notre télévision.

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