Recrutement

L’esprit d’équipe avant le maniement d’outils

Pandémie et crise de main-d’œuvre obligent, les listes de compétences exigées par les employeurs à la recherche de candidats raccourcissent au profit de nouveaux critères, comme l’attitude et la capacité de travailler en équipe. Le « savoir-être » prend de plus en plus de place dans les processus d’embauche.

Les entreprises en TI (technologies de l’information) ont le vent dans les voiles depuis le début de la pandémie. Parlez-en à Victrix, qui a embauché 50 employés en un an. « Nos équipes grossissent énormément », affirme Christine Leblanc, conseillère en acquisition de talents et mobilité internationale de la firme qui a des bureaux à Québec et à Montréal. « Nous sommes des spécialistes TI et ça prend des TI pour travailler à distance. Donc on est hyper sollicités. »

Pour pourvoir plusieurs postes rapidement, l’entreprise a misé sur des gens « qui avaient le goût d’apprendre », sans qu’ils aient nécessairement le profil parfait, toutes les exigences techniques et scolaires ou les compétences spécifiques aux postes affichés. « Ça nous a permis de garder la tête hors de l’eau, admet Christine Leblanc. Ça prend une base, mais ce n’est pas grave si tu n’as pas telle exigence. On a embauché des gens qui avaient le couteau dans les dents. On leur a fait un parcours de formation. »

En d’autres mots, Victrix a misé sur le savoir-être au cours des processus d’embauche. L’entreprise de 150 employés s’enquiert notamment de l’ouverture d’esprit des candidats, de leur sens des responsabilités, de leur faculté à collaborer et de leur désir du travail bien fait. « La façon d’embaucher a changé, il y a quelques années », explique Noellie Dias, consultante en ressources humaines d’Iceberg Management.

« Tranquillement, on a commencé à embaucher pour un potentiel et une attitude plutôt qu’une expérience ou des compétences parfaites dans un domaine d’affaires. »

— Noellie Dias, consultante en ressources humaines d’Iceberg Management

« On parle de professionnalisme, d’honnêteté, d’autonomie, d’initiative, de capacité d’adaptation, d’esprit d’équipe, énumère Sophie Maignan, directrice principale, recrutement, de Radar HeadHunters. Bref, des soft skills. Qui on est ? Comment on collabore ? »

Chez Victrix, on accorde 75 % des critères d’embauche au savoir-être et 25 % aux connaissances. « Il faut de 12 à 18 mois pour développer des compétences, alors qu’une personnalité est difficile à changer », résume Marianne Lemay, présidente et spécialiste expérience employé de Kolegz.

Marché procandidats

Le marché favorable aux candidats n’est évidemment pas étranger à cette façon de les aborder. « Embaucher pour le savoir-être a toujours été présent, mais ce n’était pas nommé comme ça, précise Marianne Lemay. Aujourd’hui, la différence, c’est que les candidats sont rois. Comme on a accès à moins de gens, on baisse ses critères sur le plan des compétences. »

Selon Sophie Maignan, la plupart des entreprises sur le marché actuel font désormais part de leur désir de recruter sur la foi du savoir-être d’un candidat. « C’est priorisé, car on est dans une situation de surenchère pour les offres d’emploi, confirme-t-elle. Le marché est en faveur des candidats qui, eux-mêmes, s’attardent au savoir-être de l’employeur, en entrevue. En effet, ils cherchent généralement à travailler pour une entreprise qui possède des valeurs similaires aux leurs et la culture d’entreprise est importante pour eux. »

« Montréal est une plaque tournante en TI, note Noellie Dias, à titre d’exemple. On a compris très vite que pour cibler les plus jeunes, il fallait miser sur le potentiel et l’attitude. »

Processus accéléré

Le fait que les processus d’embauche s’en trouvent accélérés n’est pas négligeable. « Il faut être très rapide à cause du marché actuel, dit Sophie Maignan. Parfois, il faut combiner plusieurs étapes en une. Or, miser sur le savoir-être permet de prendre des décisions plus rapidement. »

« Dans le milieu manufacturier, ce peut être un appel de 15 minutes et on embauche sur-le-champ ! illustre Marianne Lemay. On mise sur l’impression au téléphone. On est en crise de main-d’œuvre, donc on n’a pas le choix de raccourcir ou de rendre attractif un processus. »

Mais comment ne pas se tromper et comment croire un candidat qui affirme avoir l’attitude souhaitée ? « Je me fie aux motivations de la personne en entrevue, répond Christine Leblanc. On peut trouver ce qui allume la personne. Est-ce infaillible ? Non. Ce n’est pas du zéro faute. »

« Il faut adapter nos questions, bien comprendre le non-verbal. Parle-moi de toi... La façon de rencontrer les gens a changé. »

— Sophie Maignan, directrice principale, recrutement, de Radar Chasseur de talents

« Cela dit, la base reste : questionnaire, analyse de marché, profils recherchés », ajoute-t-elle.

Dans les faits, partout dans le monde, le processus de recrutement est le même, note Noellie Dias. « Qu’on soit au Canada ou au Sénégal, j’essaie d’attirer des candidats par de l’affichage, dans des salons d’emploi, je sélectionne, j’embauche et j’intègre. Ce qui va être différent, c’est la posture dans laquelle je le fais. Google a une posture plus amicale qu’une minière au Sénégal, par exemple. Cette posture est différente selon la culture de l’entreprise. »

Ces dernières années, on a aussi dû convaincre des organisations de changer de posture, remarque Noellie Dias. « Cela dit, le savoir-être ne s’applique pas à tous les métiers, mais quand on rencontre un nœud, prévient-elle. Chaque dossier est différent. Chez certains clients, ils auront à pourvoir les postes selon les méthodes d’il y a 20 ans. Pour d’autres, on va s’asseoir pour savoir ce qui ne fonctionne pas. Faut-il changer de plateformes d’affichage ? Alléger le côté technique qui peut effrayer les candidats ? »

Toutefois, pour miser sur le savoir-être suivi d’une formation, il faut s’assurer qu’on a les ressources à l’interne. La recrue doit être officiellement soutenue. « On inclut la formation au contrat d’emploi, affirme Christine Leblanc. Et on dit à l’employé qu’il doit s’engager à la faire. »

« Il faut éviter de se dénaturer, dit Noellie Dias. Il faut être réaliste. Ce sont des discussions à avoir en plan stratégique. Tout type de changement doit être analysé. Il faut éviter de vendre du rêve et de fausses promesses. »

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