VIE PRIVÉE

Un étudiant s’attaque à Facebook en Europe

PARIS — C’était une visite banale comme il y en a tant dans les facultés de droit. Sauf que deux ans et demi plus tard, les avocats de Facebook regrettent probablement d’avoir donné cette conférence dans un cours de droit à l’Université Santa Clara, en Californie.

Parmi les étudiants dans la salle, Max Schrems, un Autrichien en échange à la faculté de droit de Santa Clara. « Ils parlaient du droit européen de la vie privée, mais l’état du droit n’était pas ce qu’ils disaient », dit-il en entrevue à La Presse.

En classe, Max Schrems n’a pas fait de vague, épargnant à ses collègues une envolée oratoire. Mais depuis deux ans, il est devenu l’un des plus puissants critiques de Facebook en matière de vie privée dans le monde. Il a créé un organisme, Europe–v–Facebook, qui a documenté les présumées atteintes à la vie privée en Europe et a fait des plaintes aux organismes réglementaires concernés.

Le 1er août, il a déposé un recours collectif en Autriche contre Facebook pour atteinte à la vie privée. En quelques jours, plus de 20 000 personnes d’une centaine de pays s’y sont inscrites, si bien que l’objectif de 25 000 personnes sera visiblement atteint sous peu. 

« On entend beaucoup de critiques pour des atteintes au droit à la vie privée, mais on ne fait rien pour y remédier. »

— Max Schrems

L’étudiant autrichien de 26 ans reproche essentiellement à Facebook de ne pas respecter les lois européennes sur la vie privée, généralement plus sévères que les lois américaines. « Le problème, c’est qu’ils ont pris les lois californiennes sur la vie privée et qu’ils les ont traduites en allemand, en espagnol, en italien sans se soucier véritablement des lois nationales, dit-il. Le droit européen a des règles strictes, mais beaucoup de grandes entreprises comme Facebook ignorent ces lois nationales et font ce qu’elles veulent. Et ça fonctionne, car personne ne dit rien. »

Plus précisément, Max Schrems estime que Facebook viole les lois européennes notamment en n’obtenant pas de consentement pour certains types d’utilisation des données personnelles, en participant au programme Prisme de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA), en analysant les données des utilisateurs sur des sites extérieurs à Facebook et en donnant accès à certaines données à des tiers. Facebook, qui doit recevoir officiellement le recours collectif sous peu, aura alors huit semaines pour répondre aux allégations de Max Schrems. Pour l’instant, l’entreprise n’a pas commenté la procédure lancée par l’Autrichien.

CHANGER LES PRATIQUES

Le recours, intenté en Autriche, mais qui vise la filiale de Facebook en Irlande, demande une compensation de 500 euros par utilisateur pour atteinte à la vie privée. Une somme plutôt modeste, convient Max Schrems, mais l’objectif premier du recours collectif est plutôt de changer les pratiques de Facebook en matière de vie privée. Une responsabilité qui devrait relever davantage des organismes de protection de la vie privée que d’un étudiant de 26 ans ? « Il n’y a pas d’organisme européen pour faire appliquer les lois, seulement des organismes nationaux et des associations de défense des consommateurs qui ont aussi d’autres priorités », dit Max Schrems, qui consulte son compte Facebook deux ou trois fois par semaine et écrit sur son mur environ une fois par mois.

S’il est l’un des plus grands critiques de Facebook, Max Schrems estime que l’enjeu de la vie privée dépasse le réseau social américain. « L’enjeu plus grand, c’est l’ensemble des multinationales [en technologie et en informatique] comme Facebook et Google et leur respect des droits nationaux », dit l’étudiant, qui commence son doctorat en droit. Pas besoin de chercher très loin pour deviner que sa thèse portera sur la protection de la vie privée…

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