Prôner la « cohésion nationale » sans attiser la division

À un an des élections provinciales, François Legault lance un appel à la « cohésion nationale ». Selon le premier ministre, le cours de Culture et citoyenneté annoncé le week-end dernier servira notamment cet objectif.

En cette ère de radicalisation des débats, M. Legault a raison de se préoccuper de cohésion sociale. Et malgré les craintes, il est possible que le nouveau cours favorise effectivement cette unité en donnant aux jeunes une meilleure compréhension de la pensée d’autrui.

Mais en cette année préélectorale, on a envie de lancer un message aux politiciens, et en particulier au premier ministre : le Québec vous regarde.

La cohésion nationale, c’est aussi (et même surtout) votre responsabilité. Or, il arrive trop souvent que la joute politique amène les politiciens à attiser la division au lieu de rassembler.

Au cours des derniers mois, on a vu plusieurs exemples de ce malheureux réflexe. On pense au premier ministre François Legault qui traite Gabriel Nadeau-Dubois de « woke » (après que ce dernier l’eut comparé à Maurice Duplessis). Ou de la déplorable bisbille sur le racisme systémique qui a enflammé l’Assemblée nationale le jour même où l’on soulignait l’anniversaire de la mort de Joyce Echaquan (un épisode gênant pour lequel François Legault a finalement présenté des excuses).

La politisation qui a entouré le dévoilement du nouveau cours de Culture et citoyenneté québécoise relève de la même logique partisane. Des personnalités connues, une publicité vidéo au montage léché… Depuis quand un cours scolaire est-il devenu un produit de consommation qu’il faut vendre à la population ?

Des experts chargés de créer le programme du cours ont aussi affirmé au Devoir s’être sentis « instrumentalisés » à des fins partisanes par le gouvernement, au point de démissionner. S’il y a un domaine qu’on ne devrait pas politiser, c’est pourtant bien l’éducation. Et pour un cours qui vise la cohésion, disons que c’est mal parti.

Exploiter le clivage identitaire

On sait qu’il règne au Québec un important clivage sur des sujets comme l’intégration des nouveaux arrivants et la forme que doit prendre la laïcité de l’État. Selon les professeurs de politique Éric Bélanger (McGill) et Jean-François Godbout (Université de Montréal), cette division est même en train de s’imposer comme l’un des trois clivages idéologiques majeurs de la société québécoise, au même titre que les clivages gauche/droite et souverainiste/fédéraliste.

Dans des travaux préliminaires récemment présentés dans un séminaire, les chercheurs affirment que la présence de ces trois clivages explique le fait qu’on retrouve maintenant quatre partis politiques majeurs au Québec, au sein d’un système politique pourtant connu pour favoriser l’émergence de deux formations dominantes.

Que des divisions existent dans une société n’est pas un problème en soi. La cohésion nationale, ça ne veut surtout pas dire que tout le monde doit penser la même chose. Il est aussi normal que les partis politiques se positionnent par rapport aux courants qui circulent au sein de la société.

Là où ça devient problématique, c’est lorsque les politiciens exploitent ces divisions à des fins politiques. Qu’ils les exacerbent, les cristallisent.

Or, il est clair qu’au cours des dernières années, la question identitaire a été instrumentalisée comme enjeu clivant (ce que les Anglais appellent un wedge issue). Si on n’y prend garde, l’année électorale qui s’en vient pourrait conduire à des dérapages.

Notons finalement qu’il ne peut y avoir de véritable cohésion nationale sans une vraie réconciliation avec les peuples autochtones. Or, pour l’instant, la CAQ n’envoie pas les signaux attendus par ces communautés. Et elle tarde à mettre en pratique les actions concrètes qui feraient une différence.

Avec la pandémie, le gouvernement Legault a montré qu’il peut rallier une grande partie de la population québécoise en période difficile. Souhaitons maintenant que le message de cohésion nationale du premier ministre soit entendu par tous les politiciens – y compris par ceux de son propre parti.

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