Liaison Gaspésie–Côte-Nord

Une longue série d’insuccès

2015

Assurant la liaison entre les deux rives du Saint-Laurent depuis 1974, le Camille-Marcoux est retiré de la circulation pour être envoyé au recyclage. Il laisse sa place au F.-A.-Gauthier, navire flambant neuf payé 175 millions de dollars. Les problèmes ne se font pas attendre : au cours de sa première année d’exploitation, on dénombre quelque 200 bris.

2018

Le 17 décembre, un problème de propulseurs, dont la cause est toujours inconnue à ce jour, est repéré sur le F.-A.-Gauthier. Il est remorqué au chantier Davie de Lévis.

2019

Après plus de trois semaines d’arrêt complet du service, deux navires de croisière, le CTMA Voyageur et le CTMA Vacancier, se succèdent pour assurer la reprise de la navette. Le 16 janvier, la Société des traversiers du Québec (STQ) fait l’acquisition, au coût de 2,1 millions, de l’Apollo, construit en 1970.

28 janvier

L’Apollo fait son arrivée à Matane, où il doit subir des travaux préparatoires avant sa mise en service.

31 janvier

Stupéfait de constater que la STQ n’avait aucun bateau de relève, le ministre des Transports François Bonnardel annonce que son président et directeur général François Bertrand est relevé de ses fonctions. Le sous-ministre aux Transports Stéphane Lafaut le remplace.

14 février

L’Apollo entre en service.

25 février

L’Apollo heurte le quai de Godbout. Le choc laisse un trou béant à l’avant de la coque du navire. Le CTMA Voyageur prend une nouvelle fois la relève.

8 mars

L’Apollo reprend du service.

16 mars

L’Apollo heurte le quai de Matane. De nouveaux dommages sont visibles sur la coque.

19 mars

Le PDG de la STQ, Stéphane Lafaut, annonce que l’Apollo est retiré pour de bon de la circulation maritime. Jusqu’à nouvel ordre, le CTMA Voyageur assurera le service, en attendant un autre bateau de relève.

— Simon-Olivier Lorange, La Presse

Liaison Gaspésie–Côte-Nord

Un rafiot acheté sans inspection ni garantie

En trop mauvais état, le traversier Apollo est remisé pour de bon.

« Sous pression » et devant l’« urgence » de dénicher un bateau pour assurer la traverse entre la Gaspésie et la Côte-Nord, la Société des traversiers du Québec (STQ) a acquis un bateau âgé de presque 50 ans sans l’inspecter au préalable et sans obtenir de garantie.

C’est ce qu’a révélé hier le président-directeur général de la STQ, Stéphane Lafaut, quelques instants après avoir annoncé que l’Apollo, acheté il y a moins de deux mois au coût de 2,1 millions de dollars, ne naviguerait plus jamais sur le fleuve Saint-Laurent. Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a pour sa part affirmé que le rafiot se trouvait dans un état lamentable et que les dommages n’étaient pas récents.

L’Apollo avait été acquis en catastrophe au début de l’année 2019, afin de prendre pendant quelques mois la relève du F.-A.-Gauthier, dont la mise hors service avait paralysé la liaison maritime entre Matane, Godbout et Baie-Comeau.

Le 16 janvier dernier, la STQ a donc annoncé avoir acheté l’Apollo, jusque-là propriété de la société Labrador Marine. Construit en 1970, le navire, habitué aux conditions hivernales difficiles, assurait la liaison entre Blanc-Sablon et Terre-Neuve.

des employés « Surpris » de l’état du bateau

L’actuel PDG de la STQ, Stéphane Lafaut, n’a pas été impliqué dans le processus d’achat. Il a été appelé à remplacer François Bertrand, limogé par le ministre des Transports François Bonnardel trois jours après l’arrivée de l’Apollo à Matane.

En entrevue téléphonique, hier, M. Lafaut a révélé que les employés de la STQ avaient été « surpris » en découvrant l’état du bateau qui leur avait été livré.

« Non, je n’aurais pas fait cet achat en sachant ce que je sais aujourd’hui », nous a-t-il dit, avant de reconnaître que « c’est toujours plus facile à dire après les faits ».

La STQ n’avait pas inspecté le navire avant de l’acheter, se fiant à la certification de Bureau Veritas, société de classification privée mandatée par Transports Canada. Cette certification datait de mars 2018 et était valide pour un an – elle était donc encore en vigueur au moment de l’achat et devait arriver à échéance ces jours-ci. « Le navire était opéré par une entreprise canadienne, soumis à la même réglementation que la STQ », a justifié M. Lafaut.

Cela n’empêche pas qu’une firme spécialisée ait dû passer « plusieurs jours » à nettoyer le bâtiment à Matane en raison de son « insalubrité ». 

En outre, aucun manuel d’emploi ou registre d’entretien n’avait été fourni au moment de la transaction : les employés de la STQ ont donc dû se familiariser par eux-mêmes avec le traversier.

« Dans l’industrie maritime, si vous achetez un navire usagé, il n’y a pas de garantie », a souligné M. Lafaut.

Bureau Veritas et Transports Canada ont également dressé une liste de réparations urgentes à effectuer avant de remettre le bateau à l’eau. Une fois qu’elles ont été faites, le traversier a obtenu le feu vert des autorités réglementaires au cours des jours suivants.

Accidents

L’Apollo s’est finalement élancé pour la première fois sur le fleuve le 14 février dernier. À son 12e jour de navigation, il a heurté le quai de Godbout, sur la Côte-Nord. L’avant du navire a alors été endommagé. Il s’est remis en marche le 8 mars, avant d’enfoncer un autre quai samedi dernier, cette fois à Matane.

Au total, il n’aura transporté des véhicules et des passagers que 21 journées, pendant lesquelles les employés de la STQ ont dû effectuer des opérations de maintenance à un rythme « beaucoup plus élevé que la normale », travaillant notamment la nuit pour éviter les interruptions de service, selon M. Lafaut.

En entrevue avec La Presse canadienne, un inspecteur du Bureau de la sécurité des transports, François Dumont, a expliqué que les dommages qu’il a découverts en inspectant le navire cette semaine témoignaient d’une « détérioration sur le long terme », ce qui laisse présumer qu’ils datent de l’époque où l’Apollo naviguait à Terre-Neuve.

L’inspecteur dresse une longue liste de problèmes : étanchéité des ponts et de la coque, protection contre les incendies, équipements de sauvetage du navire, propulsions principale et auxiliaire, distribution électrique, commande des divers instruments…

Le BST avait pourtant inspecté ce même bateau il y a trois semaines, après la collision à Godbout, mais s’était concentré sur les dommages causés par l’accident. Cette fois, « lorsqu’on a inspecté les dommages à la coque, on a eu la puce à l’oreille avec d’autres indices de corrosion qu’on a vus autour des dommages. On a trouvé des dommages qui n’avaient pas été causés par la collision en tant que telle », a expliqué l’inspecteur.

Au bureau du ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, on nous a assuré que tous les éléments pouvant avoir un impact sur la sécurité des passagers avaient été corrigés à Matane avant les mises en marche du navire en février et en mars. Par contre, on nous a rappelé que le bateau « était loin d’être neuf » et que, conséquemment, des réparations non urgentes étaient encore nécessaires.

« Risque élevé »

Stéphane Lafaut a tout de même décidé que c’en était assez. Hier matin, il a avisé le ministre Bonnardel de sa décision de retirer le navire définitivement « en raison du risque élevé de bris potentiel [et] de l’ampleur des travaux nécessaires » pour le remettre en état de marche.

Au total, l’aventure de l’Apollo aura coûté quelque 3,5 millions au Trésor québécois.

La STQ et le ministre des Transports ont tout de même martelé que le navire déchu avait été acheté « de bonne foi », dans un « contexte d’urgence ».

À Québec, le ministre François Bonnardel a répété que Transports Canada avait donné son aval à l’Apollo, ce qu’il considère comme « un gage de certification extrêmement important ».

« Si ce processus doit être revu, je pense qu’il faut poser la question au fédéral », a-t-il ajouté, rappelant par ailleurs que l’Apollo était « le seul bateau disponible qui pouvait nous dépanner à court terme ».

L’achat de l’Apollo a été rendu nécessaire après que le F.-A.-Gauthier eut été retiré de la circulation à la fin de l’année 2018. Ce traversier acquis en 2015 au coût de 175 millions a connu des dizaines de bris mécaniques depuis son entrée en fonction. La STQ ne disposait d’aucun navire de relève.

Ce sont des problèmes de propulseurs qui ont causé l’arrêt de service du F.-A.-Gauthier jusqu’à nouvel ordre ; la cause de ces problèmes n’a toujours pas été trouvée. Aucune date de remise en service n’est encore avancée.

— Avec La Presse canadienne

« On avait perdu confiance »

Il a beau taper du pied dans l’attente impatiente d’un nouveau navire, le maire de Baie-Comeau ne s’ennuiera pas de l’Apollo pour autant.

« On voyait le bateau tanguer sur le côté, les gens m’en parlaient bien avant les conclusions du [Bureau de la sécurité des transports], a expliqué Yves Montigny hier. Je ne suis pas sûr que je serais moi-même embarqué. On avait perdu confiance. »

L’élu ne désavoue pas pour autant la Société des traversiers du Québec (STQ) et dit comprendre qu’elle ne veuille plus rien brusquer dans sa recherche d’un (autre) navire de remplacement. M. Montigny fait toutefois remarquer que le temps presse : après avoir subi de lourdes pertes dans sa saison hivernale, l’industrie touristique de la Côte-Nord ne peut se permettre de « se passer d’une seule semaine » dans sa courte saison estivale.

Le PDG de la STQ a quant à lui affirmé que c’était « une question de jours » avant que l’acquisition d’un nouveau navire de relève ne soit annoncée.

« On est environ à 98 % », a dit M. Lafaut, qui a assuré qu’une batterie de tests avait été effectuée sur ce bateau.

« On ne peut pas échouer », a-t-il laissé tomber.

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