Tramway de Québec

La saga qui n’aurait jamais dû en être une

La réalisation du projet de tramway s’avère ces jours-ci un véritable calvaire pour la Ville de Québec. Accusant le maire Bruno Marchand de vouloir nuire aux automobilistes, la CAQ souhaite imposer de nouvelles conditions au financement du tramway qui mettent en péril sa construction dans les échéanciers donnés, ainsi que son efficacité globale. Avec tout ce qu’on sait de l’importance de l’aménagement urbain dans la lutte contre les changements climatiques, la saga du tramway apparaît de plus en plus futile et exaspérante.

Ce projet de tramway porté par la Ville de Québec présente pourtant une occasion exceptionnelle d’améliorer la mobilité dans une perspective d’urgence climatique. Qu’on le veuille ou non, le parc automobile de l’ensemble du Québec est en croissance. Les problèmes de congestion vont donc s’intensifier dans les années à venir, et nous avons besoin de solutions durables qui, contrairement aux élargissements d’autoroutes, n’aggraveront pas la situation à long terme.

La solution à la congestion et à la crise climatique passe en bonne partie par le développement des transports en commun.

Les villes qui disposent d’infrastructures de transports en commun modernes et efficaces bénéficient d’ailleurs de retombées à de multiples égards : développement économique et touristique, réduction des temps de déplacement, qualité de vie et santé globale de la population et réduction de la pollution atmosphérique. L’électrification du parc automobile, bien qu’elle soit souhaitable, n’aide en rien à réduire le nombre de personnes prises dans les embouteillages et ne limite pas l’empiètement sur les milieux naturels et agricoles.

Si nous souhaitons maximiser les bénéfices du tramway de Québec, un meilleur partage de l’espace entre les différents modes de transport est nécessaire. Cela se traduit de différentes manières, notamment par l’implantation de rues partagées, par la réduction de la largeur des voies ou des limites de vitesse et par la création d’aménagements cyclables et piétons, pour ne nommer que quelques exemples.

Les automobilistes, aussi gagnants

C’est grâce à ce type d’aménagements urbains que le tramway, combiné aux autres modes, pourra réellement devenir une solution de rechange crédible à l’auto-solo et générer un transfert modal des usagers et usagères de la voiture vers les transports en commun. Ce faisant, nous limiterons le nombre de véhicules en transit sur les autres artères, comme la Grande Allée, le chemin Sainte-Foy ou les rues locales. Cet apaisement de la circulation, ultimement, bénéficiera également aux personnes qui n’ont pas le choix de se déplacer au centre-ville en voiture.

Si certains interprètent ce rééquilibrage de la mobilité comme une « guerre à l’automobile », force est de constater que la place de cette dernière est en réalité loin d’être réellement menacée. Dans les faits, le nombre de véhicules, leur poids, la taille de ceux-ci et les voies autoroutières sont considérablement en croissance.

Au lieu de s’indigner sur le concept de rue partagée, il faut plutôt saisir cette occasion de construire des milieux de vie durables. Cela permettra de faciliter la circulation aux heures de pointe sur les principales artères en déplaçant un plus grand nombre de personnes avec le même espace, tout en œuvrant à la convivialité pour tous les usagers de la route.

Les personnes résidant en banlieue bénéficieront elles aussi directement du projet de tramway. D’abord grâce à l’offre généreuse de stationnements incitatifs, mais aussi parce que les autobus qui refoulent présentement même dans les voies réservées au centre-ville pourront être redistribués pour une fréquence plus grande du service au sein même des secteurs Cap-Rouge, Saint-Émile, Beauport, Val-Bélair, Charlesbourg et Lévis.

Comme l’a souligné avec justesse le maire Bruno Marchand, les changements climatiques sont bien tangibles et l’étalement urbain est un problème dans lequel il faut cesser de s’enfoncer. Les villes, par le rôle qu’elles jouent dans la planification urbaine, ont des leviers pour assumer une part de responsabilité pour la mise en place de solutions dans cette lutte.

Pour ce faire, le gouvernement du Québec doit leur en donner les moyens, en particulier s’il espère respecter ses propres objectifs de réduction de gaz à effet de serre qu’il est en voie de complètement rater.

La CAQ ne peut pas aspirer à une crédibilité en matière d’environnement en continuant dans cette voie. Le gouvernement doit mettre en application sa propre Politique de mobilité durable 2030 et cesser de promouvoir des modèles de développement qui nous emprisonnent dans notre dépendance à l’automobile. Les citoyens et citoyennes ont le droit d’aspirer à de meilleurs projets et à une vision plus ambitieuse pour nos villes et pour les générations futures.

Ça n’aurait jamais dû être aussi compliqué de développer un tel projet au XXIe siècle.

*Cosignataires : Etienne Grandmont, directeur général d’Accès transports viables ; Alexandre Turgeon, directeur général du Conseil régional de l’environnement Capitale-Nationale ; Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada ; Cyril Frazao, directeur exécutif de Nature Québec ; Sandrine Cabana-Degani, directrice de Piétons Québec ; Jean-François Rheault, président-directeur général de Vélo Québec ; Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville

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