Campagne de vaccination au Québec

Long intervalle, excellente protection

La décision prise par la Santé publique au début de l’année d’allonger l’intervalle entre les deux doses de vaccin s’est avérée payante sur plus d’un plan. Non seulement cette stratégie a-t-elle permis de protéger plus de personnes rapidement, mais en plus, ce long intervalle aurait donné une protection immunitaire exceptionnelle aux vaccinés, viennent de confirmer des chercheurs montréalais.

Une étude pilotée par des chercheurs du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) montre que les personnes qui ont reçu leurs deux doses de vaccin à 16 semaines d’écart ont atteint un niveau de protection vaccinale exceptionnel, probablement même meilleur que celui atteint par les personnes qui reçoivent leur deuxième dose après 21 jours, soit l’intervalle recommandé par la société pharmaceutique. Un long intervalle a même permis à ces vaccinés, contrairement à ceux qui ont respecté l’intervalle de 21 jours, de développer des anticorps efficaces contre d’autres coronavirus, comme le SRAS.

« Nos résultats montrent qu’un long intervalle entre les deux doses de vaccin contre la COVID-19 n’est pas mauvais pour le système immunitaire, comme certains l’ont craint lorsque la Santé publique a décidé d’allonger l’intervalle », souligne l’auteur principal de l’étude publiée mardi soir sur la plateforme medRxiv, le chercheur en immunologie Andrés Finzi, du CHUM.

Les chercheurs ont étudié les échantillons sanguins de 22 personnes qui n’avaient jamais été infectées par la COVID-19 et de 21 autres qui ont attrapé le coronavirus SARS-CoV-2 avant de recevoir leur première dose de vaccin. Les deux groupes ont attendu 16 semaines entre les deux doses de vaccin Pfizer/BioNTech qu’on leur a administrées au printemps.

Dans toutes les études, les meilleurs niveaux de réponse immunitaire contre le SARS-CoV-2 ont été atteints chez des personnes qui avaient été infectées une première fois avant de recevoir une dose de vaccin. « Rien ne peut battre ça », dit Andrés Finzi. L’injection de la première dose a donc engendré les résultats attendus : la réponse immunitaire de ces individus était plus forte que celle observée chez les autres participants.

Trois mois après la première dose, la présence de certains anticorps avait légèrement décru. La seconde dose a été administrée 16 semaines après la première, conformément à l’intervalle appliqué au Québec entre janvier et juin.

Tel qu’attendu, la nouvelle offensive a déclenché une remontée en flèche du niveau d’anticorps, surtout chez ceux qui n’ont jamais été infectés. Au point où la force de leur réponse immunitaire a atteint le même niveau que celui des « guéris ».

« Dans toutes les autres études, qui ont été faites aux États-Unis ou dans des endroits où on a appliqué un court intervalle, on n’a jamais atteint ce niveau d’activité neutralisante », dit Andrés Finzi.

« On est les premiers à montrer qu’avec un long intervalle entre les doses, des personnes dites “naïves” atteignent la même activité neutralisante que les personnes qui ont eu le virus », dit M. Finzi.

Comment affûter ses couteaux

Mais en quoi l’intervalle entre les doses fait-il une différence ? Il permet au système immunitaire de gagner en maturité, dit le chercheur.

« C’est comme si, pendant ce temps, le système immunitaire affûtait ses couteaux. La réponse immunitaire sera donc plus forte lorsque la deuxième dose sera administrée. »

– Andrés Finzi, chercheur en immunologie au CHUM

Pour le démontrer, les chercheurs ont étudié les échantillons sanguins prélevés chez des individus qui ont reçu deux doses de vaccin dans un intervalle de 21 jours.

Résultat : la capacité de leurs anticorps à reconnaître la spicule du SARS-CoV-2 et de ses variants était « significativement moins efficace » que chez les individus « guéris » et vaccinés. Autrement dit : avec deux doses, les individus vaccinés à un intervalle de trois semaines atteignent un très bon niveau de protection (environ 86 % d’efficacité, selon les plus récentes études), mais tout de même inférieur à celui atteint par les « guéris ».

Peut-on conclure que ce long intervalle a bénéficié à tous les vaccinés, quel que soit leur âge ou leur état de santé ? Pas nécessairement, dit Andrés Finzi, qui souligne que les participants de son étude (des travailleurs de la santé du CHUM) ont un profil homogène. « Nous avons besoin de plus d’échantillons pour pouvoir comparer les deux régiments de vaccination. »

D’autres études seront aussi nécessaires pour savoir si un long intervalle permet d’obtenir une protection qui dure plus longtemps.

Certains pays, comme les États-Unis, qui ont appliqué un court intervalle comptent distribuer des troisièmes doses de vaccin cet automne. Se pourrait-il que la mémoire immunologique soit meilleure pour les vaccinés québécois qui ont attendu plus longtemps entre les deux doses ? « C’est probable, dit Andrés Finzi. Mais il faut du temps pour pouvoir l’établir. Nous sommes très intéressés par cette possibilité et nous allons l’étudier en profondeur. »

Une stratégie gagnante… à ne pas suivre cet automne !

Dès le début de la campagne de vaccination, en janvier 2021, la Santé publique a choisi de ne pas respecter la durée de l’intervalle recommandé par les fabricants de vaccins, soit 21 jours dans le cas de Pfizer ou 28 jours pour Moderna et AstraZeneca/CoviShield. Compte tenu de la rareté des doses, il valait mieux, avaient conclu les scientifiques, donner une première dose au plus grand nombre de personnes possible avant d’administrer les secondes doses.

L’intervalle a donc été établi à 16 semaines, avant d’être abaissé à huit semaines à partir du 3 juin. À ce moment-là, 73 % des Québécois âgés de plus de 12 ans avaient reçu au moins une dose, et seulement 7,5 % de la population avait reçu ses deux doses, essentiellement des travailleurs de la santé et des personnes âgées de plus de 80 ans.

L’intervalle a été encore réduit à quatre semaines en juillet, en raison de la disponibilité des vaccins… et de l’arrivée du variant Delta.

« Au printemps, rappelle Andrés Finzi, il n’y avait pas le variant Delta. On ne pourrait pas avoir un long intervalle aujourd’hui parce que ce variant est très contagieux. »

« Nos résultats ne disent pas qu’un court intervalle est mauvais pour la réponse immunitaire, insiste-t-il. Ils montrent surtout que le long intervalle fonctionne très bien. Il faut seulement trouver un équilibre pour obtenir un intervalle optimal, pour maximiser l’efficacité du vaccin, tout en évitant une infection entre les deux doses. »

Le SRAS en bonus

Les échantillons étudiés par l’équipe du CHUM ont réservé une autre surprise aux chercheurs : les anticorps développés par les vaccinés à long intervalle sont en mesure d’assommer un autre coronavirus qui a fait trembler la planète en 2003, celui qui cause le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). « Le SRAS vient d’un betacoronavirus, comme le SARS-CoV-2, mais il est différent, dit Andrés Finzi. Et dans notre étude, on voit que les personnes qui ont bénéficié d’un long intervalle entre les deux doses ont aussi des anticorps qui reconnaissent et qui neutralisent le SRAS. » Ce qui n’est pas le cas chez les personnes qui ont eu un intervalle de 21 jours entre les deux doses. « Ça ne veut pas dire qu’on est totalement protégé du SRAS », dit le chercheur, rappelant que les vaccins ne sont pas efficaces à 100 %. « Et je n’invite personne à tenter l’expérience de s’exposer au SRAS, juste pour voir… »

– Judith Lachapelle, La Presse

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