Laval

Une ex-anesthésiste accusée d’homicide involontaire

La Dre Isabelle Desormeau, cette anesthésiste impliquée dans une enquête pour « euthanasie » à la Cité-de-la-Santé de Laval, a été arrêtée au cours des derniers jours par la police. Elle devra maintenant faire face à une accusation d’homicide involontaire, une situation plutôt rare dans le réseau de la santé.

C’est ce qu’a confirmé mardi le Service de police de Laval (SPL), dans un bref communiqué, en indiquant que ses enquêteurs de l’escouade des Crimes contre la personne ont procédé à l’arrestation de Mme Desormeau jeudi dernier.

La principale intéressée est au cœur d’une affaire, révélée par La Presse en juillet 2021, à la Cité-de-la-Santé de Laval, où plusieurs membres du personnel bouleversés ont qualifié d’« euthanasie » la mort d’un homme de 84 ans dans un bloc opératoire où régnait la discorde, en 2019. Le choc avait été tel qu’un dirigeant de l’établissement avait alerté la police, qui a ouvert une enquête pour meurtre.

Un mandat d’arrestation a été autorisé par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Âgée de 52 ans, l’anesthésiste Isabelle Desormeau a été accusée d’homicide involontaire peu après son arrestation. Les autorités précisent toutefois que l’accusée a été libérée « avec des conditions à respecter ». Elle devrait être de retour devant le tribunal le 21 avril.

Dans la nuit du 1er novembre 2019

Le 31 octobre 2019, un octogénaire se rend d’abord à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval, pour des maux de ventre. On lui diagnostique une « occlusion intestinale nécessitant une opération chirurgicale ».

L’homme consent au niveau de soins « Objectif B », soit de « prolonger la vie par des soins limités ». Il dit ne pas souhaiter « qu’il y ait de réanimation cardiorespiratoire ni d’intubation d’urgence ». L’opération commence aux alentours de 2 h, dans la nuit du 1er novembre.

Pendant l’opération, qui dure environ deux heures, le chirurgien découvre « de la nécrose sur d’importants segments de son intestin grêle ». « Considérant l’étendue des trouvailles opératoires et les volontés exprimées par le patient », il joint la famille de celui-ci. Au téléphone, le médecin explique à la nièce du patient que « poursuivre l’opération entraînerait la nécessité que le patient ait un sac » et qu’il soit hospitalisé de façon prolongée. Il est alors décidé de « conclure l’opération et d’offrir un traitement palliatif ».

Une fois de retour en salle d’opération, le chirurgien « referme la paroi abdominale du patient » et confirme à sa collègue anesthésiste, la Dre Desormeau, « qu’il n’y a pas de survie attendue du patient ».

C’est alors qu’un débat survient entre Mme Desormeau et des infirmières. La première remet en question « l’utilité de trouver une chambre au patient alors que celui-ci pourrait être amené directement à la morgue », en répétant que l’homme « n’a personne pour l’accompagner » en soins palliatifs.

Une infirmière rétorque toutefois que le patient a une fille, et qu’il est « faux de prétendre qu’il n’a pas de famille ». Malgré tout, l’anesthésiste choisit de faire une injection au patient et de le débrancher du respirateur vers 4 h 45.

Au moment de l’injection, l’infirmière affirme avoir « dit à quelques reprises que ce n’est pas la procédure à suivre et que le patient doit être retourné à l’étage pour y mourir dans la dignité ». L’asystolie de l’homme, soit l’arrêt de ses battements cardiaques, est constatée vers 5 h 04.

Une situation très rare

Il est très rare de voir des accusations criminelles déposées contre un professionnel de la santé, rappelle Emmanuelle Marceau, professeure en éthique médicale à l’Université de Montréal. « En règle générale, ce sont davantage des cas de responsabilité civile. Une accusation au criminel, dans le réseau de la santé, c’est sûr que ça frappe l’imaginaire. On a confiance en nos médecins pour nous soigner », observe-t-elle.

« C’est en quelque sorte un rappel que peu importe ce qu’on fait comme profession, personne n’est au-dessus du droit.  »

– Emmanuelle Marceau, professeure en éthique médicale

Pour l’avocate criminaliste Marie-Hélène Giroux, ce « rare cas » devrait aussi servir de « mise en garde ». « Tous les intervenants en santé ont le pouvoir d’injecter des médicaments potentiellement mortels à certaines doses. C’est nécessaire de rappeler qu’on ne fait pas ce qu’on veut, surtout pour les médecins, dont le but premier est de sauver des vies, pas de les enlever », soutient la juriste.

Les défis seraient grands, tant pour la poursuite que la défense, s’il y avait un procès, souligne également MGiroux. « La Couronne, d’un côté, devra démontrer que l’anesthésiste avait l’intention de tuer. Du côté de la défense, on plaidera probablement qu’elle n’avait pas l’intention de tuer, mais plutôt d’apaiser des souffrances », explique-t-elle.

Une enquête paralysée

L’enquête dans ce dossier a été paralysée en raison d’un bras de fer judiciaire. Dans les dernières années, Mme Desormeau, qui ne pratique plus depuis les évènements, a en effet multiplié les requêtes judiciaires pour que son identité soit protégée, en se disant inquiète du « préjudice » que l’inverse pourrait lui causer.

En décembre 2021, elle s’était rendue jusqu’en Cour suprême, où sa demande d’en appeler d’un jugement de la Cour supérieure a été rejetée. Quelques jours après, la juge Hélène Di Salvo de la Cour supérieure a finalement levé les ordonnances de non-publication à l’endroit de la Dre Desormeau. Les deux médecins considérés comme des « témoins », le DHubert Veilleux et le DJoseph Dahine, ont aussi été identifiés.

Un privilège avait également été revendiqué par l’anesthésiste afin que la police ne puisse consulter le dossier disciplinaire, même si celle-ci a obtenu un mandat de perquisition. Au moment des faits, le Bureau du syndic du Collège des médecins avait d’ailleurs déposé une plainte disciplinaire devant le conseil de discipline contre l’anesthésiste, mais celle-ci n’a pas encore procédé en raison des procédures judiciaires.

Appelé à réagir mardi, le Collège a indiqué qu’il ne fera pas de commentaires en raison du processus judiciaire. Sa porte-parole, Leslie Labranche, a toutefois rappelé que Mme Desormeau « a démissionné du tableau de l’Ordre depuis 2019 ». Le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le DVincent Oliva, n’a pas non plus souhaité réagir.

Toute personne qui détiendrait des informations pertinentes en lien avec la Dre Desormeau ou cet évènement est invitée à contacter la Ligne Info-Police du SPL, en composant le 450 662-INFO (4636), ou encore le 911 en mentionnant le numéro de dossier LVL-191 109-024.

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