Société

L’essentiel ? Être aimé

Se sentir aimé, soutenu, apprécié, valorisé, c’est fondamental. C’est la clé pour le bonheur en amour, mais c’est aussi important dans nos relations amicales. Qu’en est-il de l’amour en 2023 ? Moins idéalisé qu’autrefois, exigences plus grandes, on reste tout de même encore attaché à cette idée de vouloir rencontrer une personne avec qui partager sa vie.

On a tout dit sur l’amour, ou presque. Est-ce qu’on y croit encore ? Sommes-nous désenchantés ?

« Pour la majorité des adultes, il y a cet espoir de trouver l’amour, de rencontrer une personne qui va être importante pour nous et pour qui on sera important », souligne le psychologue François St Père.

« Il y a cette volonté de tomber amoureux et de partager sa vie avec quelqu’un, mais a-t-on besoin de la passion et du sentiment amoureux pour être bien dans la vie ? Non, je ne pense pas. On a besoin, d’un point de vue psychologique, d’être apprécié, aimé, soutenu, mais si on a des amis avec qui on s’entraide, avec qui on partage des intérêts, des sensibilités, on vit très bien », constate le psychologue François St Père.

Il rappelle que l’amour, c’est aider l’autre. « Ce n’est pas simplement le sentiment amoureux. Il y a des gens qui ont des relations amicales très investies, enrichissantes et épanouissantes et s’estiment très heureux ainsi. »

« Il y a certains célibataires qui ne sont pas à la recherche de l’amour et qui vivent bien leur célibat, ajoute-t-il. Ils ont une vie sociale très satisfaisante, faite de partage et de bienveillance, et ça leur va très bien. »

Chiara Piazzesi, professeure au département de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime que l’idée de l’amour perdure, mais qu’il est moins idéalisé qu’autrefois. « On croit en l’amour comme une source de bonheur. On continue à se mettre en couple, à se marier, à se séparer, à divorcer, à se remarier. »

« Il y a toujours eu cette crainte que les gens soient complètement désenchantés et ne se mettent plus en couple. Cette peur a été entretenue pendant tout le XXe siècle, mais on continue à se marier et à croire en l’amour ! Ce n’est plus l’amour pour toujours, mais on y croit et on peut désormais le concevoir différemment avec des modèles de couples qui sont multiples. »

— Chiara Piazzesi, professeure au département de sociologie de l’UQAM

Un avis que partage Katherine Péloquin, psychologue et professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal. Elle estime que les adultes en majorité ont comme objectif de réussir leur vie de couple. « Ça reste un idéal, une fondation, une structure de base, d’être en couple, mais il y a des changements dans les modèles. Il y a des partenaires qui n’habitent pas ensemble, il y a aussi des relations plus ouvertes. Il y a plus d’équité entre hommes et femmes. Il y a aussi une conscience plus grande envers le bien-être individuel. Il y a moins de sacrifices pour la famille ou le conjoint et le sentiment qu’il faut prendre soin de soi pour être équilibré », estime-t-elle.

Repenser le couple

François St Père, psychologue spécialisé en thérapie de couple, constate dans son cabinet qu’il y a une plus grande ouverture chez les couples. « Ce que j’observe, c’est qu’on se donne plus de libertés personnelles. Certains vont partir par exemple en voyage avec des amis sans le conjoint, ou encore d’autres ont le courage de discuter de la non-exclusivité sexuelle ou amoureuse. »

Le psychologue constate aussi que les exigences sont plus élevées. « Aujourd’hui, on entre en relation non pas pour contribuer à la société comme autrefois, mais pour notre épanouissement personnel, notre bien-être, alors les exigences sont plus grandes. On veut que notre amoureux soit notre meilleur ami, soit quelqu’un de stimulant avec qui on partage plusieurs intérêts communs et on a moins de tolérance face à l’autre », dit-il.

« On demande beaucoup de choses à l’autre, mais c’est aussi la beauté et la richesse des relations contemporaines au XXIe siècle comparé à un mariage des années 1930 ou 1950 ! », lance Chiara Piazzesi. « C’est normal ! Tout est plus complexe aujourd’hui et tout se négocie, mais ça n’empêche pas que les relations se constituent et s’épanouissent », estime la chercheuse.

Penser à soi

Il ne suffit plus de mettre l’accent sur l’idéalisation romantique. « Dire qu’il suffit de s’aimer et que tout ira bien, ce discours ne marche plus ! Il y a d’autres facteurs qui doivent fonctionner pour que deux personnes puissent réaliser un projet de vie en commun. Il y a l’écoute, la bienveillance, la bonne communication entre les partenaires, la capacité à se mettre à la place de l’autre. Ce sont des changements dans la culture intime, ça complexifie les relations, mais pour le mieux », pense Chiara Piazzesi.

En ces temps de Saint-Valentin, faut-il rappeler qu’il est important de consacrer du temps à son couple ? « Le défi est de ne pas le reléguer au second plan, surtout quand il y a des enfants. Il faut prévoir du temps pour son partenaire et maintenir ce lien privilégié qu’on a avec son amoureux », indique Katherine Péloquin.

Le fait de vivre une relation amoureuse heureuse et épanouie comporte des bienfaits psychologiques. « On a une plus grande satisfaction de vie, un plus grand bien-être, une meilleure sexualité, moins de difficultés psychologiques, moins de problèmes d’abus de consommation de drogues ou d’alcool. Mais attention, il est préférable d’être seul qu’avec un partenaire amoureux qui ne nous soutient pas et ne nous valorise pas. »

Société

L’évolution de l’exclusivité sexuelle

D’après vous, quelle est la relation intime idéale ? C’est la question qui a été posée à près de 4000 Canadiens et Canadiennes dans le cadre du projet de recherche MACLIC codirigé par deux professeurs de l’UQAM, Chiara Piazzesi et Martin Blais.

Résultat : 81 % des personnes en couple ont indiqué l’exclusivité romantique comme leur idéal, alors que 70 % des personnes en couple ont indiqué l’exclusivité sexuelle comme leur idéal.

Le romantisme

« Ce qui est intéressant dans ce résultat, c’est que l’exclusivité romantique et affective semble être plus importante que l’exclusivité sexuelle », explique Chiara Piazzesi, professeure au département de sociologie de l’UQAM. Elle a lancé l’année dernière avec une équipe de chercheurs le projet MACLIC (pour Mapping Contemporary Love and Intimacy Ideals in Canada – Cartographier les idéaux amoureux et intimes au Canada). Près de 4000 adultes, Canadiens et Canadiennes, ont répondu à un questionnaire sur la conception de l’amour et de l’intime. Ce projet de recherche d’une durée de cinq ans a pour objectif de documenter les relations amoureuses et intimes au sein de la population canadienne, et les premiers résultats portent sur le thème de l’exclusivité.

Chiara Piazzesi n’est pas surprise de ces résultats. « Quand on voit que 70 % des personnes indiquent l’exclusivité sexuelle comme leur idéal, c’est une donnée significative qui veut dire qu’on commence à réfléchir à la monogamie comme étant moins centrale ou en tout cas pas aussi infranchissable que dans le passé, observe-t-elle. Il y a des différences dans les réponses selon l’orientation sexuelle, le genre, le statut relationnel et l’âge. »

En effet, c’est pour la tranche d’âge 25-39 ans que l’exclusivité sexuelle comme idéal est la plus basse, à 61 %, et elle est plus élevée chez les plus âgés – à 87 % chez les personnes de 65 ans et plus, 78 % chez les 50-64 ans et 65 % chez les 40-49 ans. Les femmes hétérosexuelles sont plus nombreuses que les hommes hétérosexuels à indiquer l’exclusivité romantique comme idéal (95 % comparativement à 85 %) ainsi que l’exclusivité sexuelle (87 % comparativement à 76 %). Chez les personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles, pansexuelles ou queer qui sont en couple, 55 % ont indiqué l’exclusivité romantique comme leur idéal, alors que 36 % estiment l’exclusivité sexuelle comme leur idéal.

Pour ce qui est des personnes célibataires qui ne fréquentaient personne, 89 % estiment l’exclusivité romantique comme leur idéal et 79 %, l’exclusivité sexuelle, tandis que chez les célibataires qui fréquentaient ou une plusieurs personnes, 66 % considéraient l’exclusivité romantique comme leur idéal, et seulement 51 % ont indiqué l’exclusivité sexuelle comme leur idéal.

Chiara Piazzesi pense qu’il y a une vraie évolution et une réflexion sur cette question d’exclusivité. « On peut se demander si une seule personne est capable de combler tous nos désirs. Le fait d’être en couple avec une personne implique-t-il de renoncer à toute autre relation sexuelle ? »

« C’est ce qui est remis en question ici, peu importe si on est en couple ou pas. Jusqu’à récemment les recherches montraient, surtout pour les hétérosexuels, que l’exclusivité sexuelle était synonyme d’engagement, et je pense qu’il y a un changement à cet égard. »

— Chiara Piazzesi, professeure au département de sociologie à l’UQAM

« On est en train, doucement, de normaliser la non-exclusivité sexuelle, en tout cas, c’est une hypothèse. Ces résultats reflètent un changement de sensibilité qui se fait doucement sur l’exclusivité sexuelle, mais on voit qu’il y a quelque chose de plus délicat dans l’exclusivité amoureuse », analyse-t-elle.

La professeure et son équipe de chercheurs commencent l’analyse des données qui ont été récoltées par questionnaire. « On ira interviewer un peu plus d’une cinquantaine de personnes au Canada pour approfondir leurs réponses aux questions sur l’amour et l’intimité. Le tout devrait se conclure d’ici quatre ou cinq ans, on espère avoir un portrait bien complet », dit Chiara Piazzesi.

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