loin du chaos anticipé

Que conclure de cette première journée de fermeture partielle du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine ? Trop tôt pour se réjouir, disent les experts. La Presse fait le point sur cet avant-goût édulcoré des trois années à venir.

Tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine

Le calme avant la tempête ?

On attendait une congestion monstre sur la Rive-Sud pour entrer à Montréal lundi, mais la catastrophe a été évitée au premier jour de la fermeture partielle du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. C’est plutôt pour quitter l’île que les temps de parcours se sont allongés. Portrait d’une première journée, qui risque toutefois d’être peu représentative des trois prochaines années.

Un total de 34 minutes. C’est le temps qu’a mis La Presse pour rouler en voiture entre Boucherville et l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, peu avant 8 h. Un temps de parcours comparable à ce qui avait cours avant la fermeture du tube sud dans le tunnel.

En revanche, la circulation était plus ardue pour partir de Montréal et se rendre sur la Rive-Sud. Dans ce sens sur l’autoroute 25, il fallait compter tout près de 50 minutes en début de matinée avant de traverser le fleuve.

D’ailleurs, aucune mesure d’atténuation des entraves n’a été mise en place par le ministère des Transports sur le réseau autoroutier sur l’île, bien qu’il ne reste plus qu’une seule voie dans le tunnel en direction de la Rive-Sud. L’essentiel des aménagements – dont l’ajout de navettes et une voie réservée – a été implanté sur la Rive-Sud, pour faciliter l’accès à l’île.

Sur l’ensemble du réseau routier, la congestion était modérée lundi. En matinée, la circulation était nettement moins dense qu’à la normale sur la Rive-Sud. Une certaine circulation a été observée sur plusieurs axes névralgiques, comme l’autoroute 25 et le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, ou le pont Samuel-De Champlain. Mais le niveau de congestion était globalement moindre qu’à l’habitude. Malgré quelques accrochages mineurs, tout s’est assez bien déroulé, a rapporté la Sûreté du Québec. Même sur l’axe Décarie, normalement très achalandé, c’était plutôt calme.

Le retour semblait plus difficile en fin d’après-midi dans le tunnel, alors que l’autoroute 25 était congestionnée en direction sud jusqu’à la hauteur du boulevard Yves-Prévost vers 16 h. La circulation était cependant déjà fluide dans cette direction sur le pont Jacques-Cartier vers 17 h.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal, n’est pas surprise. « Il y a quelques années, le cabinet du ministre des Transports m’avait demandé ce que les gens feraient si on fermait le tunnel. Je leur avais dit très clairement : si on ferme trois jours, il ne va rien se passer. La stratégie court terme du monde, c’est ce qu’on a vu [lundi] », lance-t-elle.

« On va voir la situation évoluer à travers les semaines. À moins qu’une grosse partie de la population abandonne son emploi ou déménage, ça va revenir en force. »

— Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal

À l’Université de Montréal, l’expert en planification des transports, Pierre Barrieau, le confirme. Selon lui, la journée de lundi était « très peu représentative », parce que des usagers ont choisi de télétravailler et parce qu’en raison de l’Halloween, certains parents ont probablement pris congé. « Pour moi, c’est mercredi et jeudi qu’on aura des premières traces de ce à quoi ça pourrait ressembler. Pour la totale, ça va prendre encore une semaine ou deux », avance-t-il.

Être « plus agressifs »

D’ici là, le gouvernement « doit réaliser qu’il faut être beaucoup plus agressifs sur le transport collectif, le covoiturage et les autres modes », insiste Mme Morency. « En ce moment, on comprend mal la notion de réseau. Ce n’est pas juste un corridor, le problème, c’est partout où ça traverse. Actuellement, c’est comme si on mettait douze portes d’entrée dans une salle de spectacles, mais seulement deux pour sortir. »

« Le fait d’avoir des mesures extraordinaires, ça montre qu’on a mal planifié. Ça serait le temps qu’on planifie l’ensemble de nos réseaux, y compris le vélo, la marche, de façon intégrée. […] Tout dans le discours est très orienté sur l’auto solo. Il y a quelque chose de très systémique dans la façon dont on ne comprend pas les enjeux de mobilité présentement. Quand on parle de prolongement de métro, ça devrait être un processus continu, et non un évènement exceptionnel », poursuit Mme Morency.

À l’UQAM, Florence Junca-Adenot, professeure au département d’études urbaines, est du même avis.

« L’achalandage du transport collectif, c’est surtout là qu’il faut espérer une hausse. Sinon, on va être mal pris. Ça voudrait dire que l’auto solo prendrait plus de place, avec moins d’espace. »

— Florence Junca-Adenot, professeure au département d’études urbaines de l'UQAM

Chez Trajectoire Québec, la directrice générale Sarah V. Doyon appelle également à la prudence. « Ça peut prendre quelques jours, voire quelques semaines, avant que le bordel se produise. C’est une chose de ne pas y aller le 31 octobre, c’en est une autre de ne plus jamais traverser le tunnel. Il y a deux mondes », dit-elle, en espérant que les gens vont se « tourner vers d’autres modes » pour « éviter l’enfer ».

C’est ce qu’ont fait Djenann Saint-Dic et Karina Audet, rencontrées au terminus Radisson alors qu’elles rentraient du travail. Elles ont choisi de laisser leurs voitures dans un stationnement incitatif de Boucherville et de prendre le bus lundi.

« Ça s’est très bien passé », assure Mme Saint-Dic, dont le trajet jusqu’au centre-ville ne lui a pris que « cinq ou dix minutes » de plus qu’à l’habitude. Elle a l’intention de remettre ça ce mardi. Ça s’est également bien déroulé pour Mme Audet, qui dit vouloir essayer d’autres lignes avant d’arrêter son choix.

Québec s’ajustera au besoin

Dès 6 h, lundi, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a rendu visite aux employés du Centre intégré de gestion de la circulation de Montréal (CIGC). Sur place, La Presse a pu constater que la plupart des stationnements incitatifs étaient très peu populaires.

Le cabinet de Mme Guilbault a indiqué lundi que « bien que la première matinée se soit bien passée, la ministre va continuer de surveiller la situation de très près au cours des prochains jours ». « Nous n’hésiterons pas à nous ajuster rapidement pour faciliter la vie des usagers si la situation des prochains jours le requiert », a noté l’attaché de presse Louis-Julien Dufresne.

« Temps de déplacement similaires à d'habitude, mais demain pourrait être plus achalandé », a tweeté la ministre Guilbault lundi en soirée, invitant les automobilistes à choisir « un plan B dès maintenant ».

Selon M. Barrieau, le fait est que la population est actuellement « en surcompensation ». « Il faut attendre que les mauvaises habitudes reprennent. […] Tout le monde est à la maison, regarde ce qui se passe. Mais les gens ne peuvent pas être comme ça pour trois ans », illustre le spécialiste, qui estime que le premier gros test « ce sera la première tempête de neige ».

« Le niveau de congestion qu’on a, il va augmenter beaucoup pendant le chantier. Avec les mesures de télétravail qui vont débarquer, combinées à la croissance économique, forcément, le trafic ira vers la hausse », conclut M. Barrieau.

120 000

Environ 120 000 véhicules empruntent quotidiennement le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, selon les dernières données disponibles. Du nombre, environ 13 % sont des camions. À long terme, Québec estime qu’environ 60 % des automobilistes devront modifier leurs habitudes pour que l’imposant chantier ne se transforme pas en cauchemar.

Source : ministère des Transports du Québec

Grand Montréal

Au cœur du monstre de la congestion

Chaque jour, ils sont au cœur du trafic routier. Les employés du Centre intégré de gestion de la circulation de Montréal (CIGC) surveillent quotidiennement l’évolution de la congestion. Rivés à leur écran, ils ont accès à plus de 450 caméras en temps réel, afin de dépêcher des ressources le plus rapidement possible en cas d’accident.

La Presse a passé la matinée sur place lundi, au moment où la fermeture partielle du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine s’amorçait.

« Ici, on voit un autobus sur la voie réservée. On va pouvoir le suivre en temps réel. » Assis devant son ordinateur, un employé discute avec la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, qui s’est assise à côté de lui. Elle est venue rendre visite au personnel du bureau, pour avoir le pouls de la situation, mais aussi pour « apprendre » comment la machine fonctionne, confie son entourage.

Une vision complète dans l’échangeur Turcot, une autre sur l’autoroute 25, ou sur le pont Jacques-Cartier : les caméras du ministère des Transports sont nombreuses et elles permettent de suivre un véhicule à la trace. Le téléphone sonne. « Quand c’est cette sonnerie-là, ce sont des lignes réservées au tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine », affirme l’employé en se tournant vers la ministre Guilbault.

Dans cette grande salle rectangulaire et vitrée, c’est plutôt silencieux, à part le bruit de claviers, et quelques discussions ici et là. Tout près, dans une autre salle, des responsables de la Sûreté du Québec (SQ) sont aussi sur place, veillant au grain.

Chacun des employés, concentré sur plusieurs caméras à la fois, est sur le qui-vive. Si un accident survient, tous sont prêts. « Je suis l’ambulance en direct. Elle n’est pas à l’arrêt », lance l’un d’eux, en réaction à une scène de collision. « On dirait que les gens contournent le secteur », ajoute un autre.

Rapidité, efficacité

Cette scène fait partie du quotidien de Frédéric Ducharme, le chef des opérations du CIGC de Montréal, où 5 équipes d’environ 10 personnes sont en rotation, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. « On a deux principaux mandats : assurer la sécurité des gens et faciliter leur mobilité. Notre but, c’est toujours de détecter les situations, d’y affecter les ressources appropriées et de favoriser un rétablissement le plus vite possible […], en dedans de 30 minutes », explique-t-il en entrevue.

« Admettons qu’on a un accident dans le tunnel et que la capacité de l’écoulement du tronçon est menacée. Si on a besoin de fermer le tube, je n’attendrai pas qu’il y ait quelqu’un rendu sur place pour qu’il fasse une évaluation », illustre M. Ducharme.

Pour Frédéric Ducharme, la force de ces caméras intelligentes est que la majorité d’entre elles, soit environ 95 %, se chevauchent en temps réel.

« Si j’ai une caméra qui témoigne d’une congestion et que j’aperçois une courbe dans la route, je vais avoir une autre caméra plus loin. Ça devient plus facile d’identifier la cause d’un accident que si une caméra est toute seule dans le champ, avec des arbres qui cachent, où on voit seulement le trafic. On serait alors obligés d’envoyer un patrouilleur pour savoir ce qui se passe. Là, on sait quelles unités peuvent réagir », poursuit-il.

Une évolution dans le temps

Plus de 450 caméras, c’est beaucoup, mais ça n’a pas toujours été le cas, se remémore le chef aux opérations, arrivé en 2002. « À l’époque, le MTQ avait déjà un bureau qui gérait la circulation au début des années 1990 sur Crémazie. Il y avait une quarantaine de caméras et huit panneaux à message variable. On surveillait alors surtout ce qu’on appelle le fer à cheval : l’autoroute Décarie, l’autoroute 25 et la 40 entre les deux, avec la 720 et le tunnel Ville-Marie. Puis, au fil des projets routiers, on a vu une hausse », raisonne-t-il.

Aujourd’hui, on compte quatre CIGC à travers le Québec ; celui de Montréal occupe environ 55 % des ressources. Un autre gros centre est situé à Québec, et couvre toute la région en allant vers l’est et le nord. Deux autres quartiers généraux sont aussi en place depuis quelques années, à Trois-Rivières et Gatineau. Ce dernier couvre l’Outaouais, mais aussi l’Abitibi-Témiscamingue et Lanaudière.

La fermeture partielle du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine est certes « inédite », mais elle arrive dans un contexte particulier, estime Frédéric Ducharme. « Depuis l’ouverture du pont Olivier-Charbonneau sur la 25, on remarque un achalandage presque constant à partir de 5 h 30, jusqu’à 19 h le soir. Auparavant, on parlait uniquement des périodes de pointe. C’est vraiment lourd d’une façon constante », dit-il.

« Effectivement, là, c’est inédit », poursuit le cadre du Ministère. « Ça va être fermé pendant trois ans et c’est un tube en bidirectionnel, alors qu’auparavant, on fermait une direction au complet. Les gens se disaient alors : je ne peux pas passer, je vais faire le tour. Mais là, beaucoup de gens vont se dire que ça va passer quand même. Et ils vont continuer à y aller, malgré le fait qu’on incite les gens à passer ailleurs ou à trouver des solutions de rechange », conclut M. Ducharme.

Tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine

QS veut miser sur la gratuité des transports collectifs

Québec — Québec solidaire propose d’instaurer la gratuité des transports collectifs entre la Rive-Sud et Montréal pour la durée des travaux de réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, ainsi que la mise en place d’une voie réservée pour le covoiturage et les autobus sur le pont Jacques-Cartier.

« Si on veut être capables de faire circuler le même nombre de personnes avec des infrastructures qui ont une capacité réduite, il faut augmenter le nombre de personnes par véhicule. Ça passe par une offre développée et par une offre tarifaire améliorée », affirme en entrevue le député de Québec solidaire Etienne Grandmont.

Ancien directeur général d’Accès transports viables et spécialiste du transport collectif, M. Grandmont, élu dans la circonscription de Taschereau, aimerait rencontrer la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, pour lui présenter son plan.

Il propose de rendre gratuit, immédiatement et pour toute la durée du chantier, le transport collectif entre la Rive-Sud et Montréal ainsi que de réduire de 50 % le prix des titres de transport dans toute l’agglomération de Longueuil.

L’objectif : « enlever de la pression » dans tout le réseau routier du secteur. QS juge qu’il est nécessaire de miser sur le prix des titres de transport, puisque les résidants de la Rive-Sud devront tout de même continuer de payer leurs automobiles.

Le coût du transport collectif vient donc s’ajouter au paiement de la voiture. QS estime que cette mesure coûterait 200 millions à l’État, ce qui est peu, dit M. Grandmont, quand on considère le coût total des travaux du tunnel.

Voie réservée

Il suggère également d’instaurer une voie réservée pour le transport collectif et le covoiturage sur le pont Jacques-Cartier. Puis, à plus long terme, travailler avec les sociétés de transport pour « développer l’offre et la fréquence ». « On ne peut pas augmenter le nombre de trains et de traversiers à court terme, mais si on peut maximiser la fréquence pour augmenter la capacité », a-t-il dit.

M. Grandmont est très critique de la Coalition avenir Québec, qui a passé pas mal plus de temps à « obséder » sur le troisième lien entre Québec et Lévis qu’à préparer les travaux du tunnel. Il souligne également que l’absence de rencontres du comité Mobilité Montréal dans les dernières années démontre un « manque de leadership ».

Il croit toutefois qu’avec ses propositions, la société pourra y gagner à long terme « si les gens se rendent compte que le transport collectif fonctionne et qu’ils décident de vendre une de leurs voitures ».

L’élu, qui succède à Catherine Dorion dans sa circonscription de Québec, espère que certaines solutions, comme l’instauration d’une voie réservée sur le pont Jacques-Cartier, pourraient devenir permanentes. « On a trois ans pour changer les habitudes des gens. Dans les mécanismes de changement de comportement, on est dans la zone payante. Si on réussit, ça veut dire qu’on ne reviendrait pas avec les mêmes offres, la même capacité autoroutière [en maintenant] des voies réservées pour le transport collectif et covoiturage », a-t-il expliqué.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.