50 ans du métro

« Il ne fallait pas manquer notre coup »

Le design des voitures du métro de Montréal et le graphisme de son logo comptent parmi les symboles les plus reconnus dans la métropole. Jacques Guillon et Jacques Roy, designers à l’origine de ces icônes, nous racontent l’histoire derrière leur réalisation.

Le designer était arrivé dans le bureau du maire avec sa maquette des voitures du métro sous le bras.

Jacques Guillon, designer industriel montréalais responsable avec son équipe du dessin des voitures du métro, avait décidé que le métro et son logo seraient bleus, une couleur dynamique, « jeune », qui tranchait avec les tonalités plus sobres utilisées jusqu’alors dans l’univers des tramways.

Ce jour-là, M. Guillon allait montrer la maquette pour la première fois au maire de Montréal, Jean Drapeau.

« Alors, je dépose la maquette devant M. Drapeau et son président du comité exécutif, Lucien Saulnier. Immédiatement, le maire me dit : "Ah non, non, je ne suis pas d’accord avec ça. Ce ne sont pas les bonnes couleurs. Il faut que le métro ait les couleurs de la Ville de Montréal. Il doit être blanc, avec une ligne rouge !" »

— Jacques Guillon

M. Guillon réplique : « Mais, monsieur le maire, le blanc et le rouge, ce sont les couleurs d’Air Canada ! Et puis vos ingénieurs n’aimeront pas avoir un métro blanc, ça se salit, c’est une catastrophe à entretenir. »

Le maire est resté intraitable. Mais Lucien Saulnier a dit à M. Guillon en le raccompagnant à la porte qu’il essaierait de le faire changer d’idée. Tous les Montréalais connaissent la suite. Le bleu et le blanc sont restés.

Personne au Québec n’avait d’expérience dans la réalisation de caisses de voitures de métro quand la firme Jacques S. Guillon, de Montréal, a obtenu le contrat, explique le designer Jacques Roy, ancien employé de Jacques Guillon à l’époque, et à qui l’on doit le logo et la signalisation du métro.

« Pour tout le monde dans le bureau, c’était nouveau. C’était la première fois que ça se faisait. On n’avait pas d’expérience là-dedans, et il ne fallait pas manquer notre coup. »

— Jacques Roy

Aujourd’hui âgé de 94 ans, le designer Jacques Guillon est fier du rôle que sa firme et lui ont joué dans le design de la caisse des voitures de métro, il y a un peu plus de 50 ans.

Expérience

Pilote dans la seule escadrille canadienne au Moyen-Orient durant la Seconde Guerre mondiale, M. Guillon a beaucoup voyagé avant de lancer son bureau en 1958, l’un des premiers bureaux de design à Montréal.

« Je connaissais bien Claude Robillard, le directeur du service d’urbanisme, car il avait fait appel à nous dans d’autres projets, explique M. Guillon, assis dans sa confortable maison de Westmount. Nous travaillions déjà avec l’Alcan, avec la Hudson’s Bay. M. Robillard voyait que les Français de la RATP [NDLR : Régie autonome des transports parisiens] étaient très impliqués dans le projet du métro de Montréal, et il a voulu amener un élément canadien, québécois. » Dans le bureau de M. Guillon, c’est Morley Smith, jeune diplômé de l’Université de Syracuse spécialisé en design des transports, qui s’est vu confier la tâche de dessiner les voitures du métro, avec d’autres collègues.

« Un des défis était de faire des voitures plus étroites que celles des métros de Paris ou de Toronto, car Montréal avait choisi de ne faire qu’un seul tunnel et pas deux, dit M. Guillon. C’est pour ça que les stations de métro à Montréal sont plus longues, pour permettre plusieurs points d’entrée. »

M. Guillon se souvient qu’au départ, l’idée était d’utiliser de l’aluminium, un produit québécois, pour construire les voitures. « Les ingénieurs de l’Alcan étaient impliqués dans les premiers dessins, mais les Français ont convaincu le maire que ce n’était pas une bonne idée. C’est malheureux, car on aurait pu avoir une voiture en aluminium, ç’aurait été beaucoup plus léger. »

Entre 1965 et 1967, la société Canadian Vickers a fabriqué les premières voitures, baptisées MR-63. En 1974, c’est Bombardier qui a obtenu le contrat de construire à La Pocatière de nouvelles voitures pour le métro de Montréal, appelées MR-73. Une première commande dans le domaine des transports en commun pour Bombardier, depuis devenu un leader mondial dans le secteur.

Drapeau trop critiqué

Jacques Guillon garde un excellent souvenir de Jean Drapeau et estime que le maire qui voyait grand est encore aujourd’hui trop souvent malmené dans l’opinion publique.

« C’est grâce à Jean Drapeau et à son équipe que le design québécois et canadien a été mis au premier plan lors de la création du métro de Montréal et d’Expo 67, rappelle-t-il. J’ai un profond respect pour M. Drapeau. Oui, il y a l’erreur d’avoir engagé Taillibert pour les Jeux olympiques, et tout ce qu’on veut… Mais, pour moi, ça n’enlève pas ce que Drapeau a fait pour Montréal. »

Le designer Jean Labbé a été retenu pour la conception des nouvelles voitures AZUR du métro, un fait dont M. Guillon est fier. « Ils auraient bien pu confier le projet à des ingénieurs, mais ils l’ont confié à un designer industriel, qui a d’ailleurs fait un travail remarquable. »

Les designers avaient-ils conscience à l’époque, en travaillant sur le projet du métro, que leurs créations allaient durer et devenir indissociables de l’image de Montréal ?

« On n’a jamais pensé à ça ! explique en riant Jacques Roy. Je n’aurais jamais cru que le logo et la signalisation du métro auraient duré aussi longtemps. Jamais. Jamais. Jamais. J’aurais pensé qu’ils auraient changé tout ça au bout de quelques années. »

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