Université d’Ottawa

Le recteur condamne « les préjugés » d’Attaran, sans le nommer

Changement de cap à l’Université d’Ottawa : sans parler nommément du professeur Amir Attaran, le recteur, Jacques Frémont, condamne maintenant ses propos sur le Québec par une vidéo diffusée mardi dans laquelle il réprouve aussi toute discrimination.

« Le ton, les procédés rhétoriques et la forme outrancière de certains gazouillis publiés ces derniers jours et qui reproduisent les préjugés envers le Québec et les Québécois sont rigoureusement inacceptables », dit le recteur Frémont.

Amir Attaran, professeur à la faculté de droit et à l’École d’épidémiologie de l’Université d’Ottawa, a comparé il y a deux semaines le Québec à un « Alabama du Nord » qui pratique « le lynchage médical », en référence à la mort tragique de Joyce Echaquan. À son avis, le Québec est dirigé par un gouvernement de « suprémacistes blancs ».

Après un long silence, le recteur Frémont déclare maintenant que l’Université d’Ottawa, « comme toutes les autres, doit s’opposer fermement à toute forme de racisme et de discrimination ».

Dans son message, Jacques Frémont souligne que « la liberté académique incluant la liberté d’expression, l’indépendance institutionnelle des universités et nos valeurs de diversité et d’inclusion » sont « au cœur des principes fondamentaux de l’Université d’Ottawa ».

« Ces questions doivent être discutées et analysées non pas à coup de 280 caractères, mais de façon méthodique et posée. »

– Jacques Frémont, recteur de l’Université d’Ottawa, dans une vidéo

L’Université d’Ottawa lance donc un groupe de réflexion, présidé par Michel Bastarache, ancien juge à la Cour suprême du Canada.

Le but de ce comité est de voir « les leçons à tirer des incidents récents survenus [à l’Université d’Ottawa] et ailleurs au Canada ».

En entrevue en soirée, mercredi, M. Attaran a dit trouver « lâche » la sortie de M. Frémont. « Il a le droit de dire ce qu’il veut, mais je pense qu’il n’est pas correct » que le recteur « prenne position par rapport à des opinions exprimées par les professeurs, à moins que cela entre dans le champ de juridiction de l’université ».

M. Attaran a par ailleurs nié que ses propos aient eu quoi que ce soit de raciste, ajoutant que cela est l’une des choses « les plus stupides » qu’il ait entendues. Il a aussi précisé s’être exprimé non pas dans une salle de classe, mais sur son compte Twitter personnel.

Avant l’affaire Attaran, l’Université d’Ottawa avait été secouée par la suspension de Verushka Lieutenant-Duval, une professeure qui avait utilisé un mot qui commence par la lettre N et que des personnes trouvent offensant pour les personnes noires, peu importe le contexte.

Sur Twitter, le 22 mars, Mme Lieutenant-Duval a dénoncé le fait qu’Amir Attaran s’en tire jusqu’ici sans sanction malgré ses propos racistes alors qu’elle a elle-même été l’objet de mesures disciplinaires.

« A-t-on encore notre place là ? »

En entrevue, Charles Le Blanc, professeur de philosophie et de traduction, ne se montre pas impressionné par la création d’un autre comité.

« Combien nous coûtera M. Bastarache ? Ne viendra-t-il pas faire le travail que devrait faire lui-même le recteur ? »

Créer un comité, « c’est ce qu’on fait quand on ne sait pas quoi faire et qu’on veut gagner du temps ».

Selon M. Le Blanc, le recteur aurait dû, dans son message, nommer expressément M. Attaran, mais il ne réclame pas de sanction. Car de le faire, à son avis, « donnerait la clef au rectorat » pour mettre à mal la liberté d’expression en tranchant entre ce qui peut se dire et ce qui ne peut pas se dire.

M. Le Blanc explique par ailleurs être en réflexion, avec une quarantaine d’autres professeurs majoritairement francophones, sur la pertinence du statut bilingue de l’Université d’Ottawa.

En fait, dit-il, le groupe se demande dans des discussions informelles si, au sein d’une même université, peuvent réellement cohabiter la tradition anglo-saxonne « plus portée sur l’unanimisme » et l’université de tradition française très attachée au débat.

En gros, dit-il, « les professeurs francophones se demandent : “Est-ce qu’on a encore notre place là ?” ».

Pour sa part, l’Association des professeurs à temps partiel, qui représente beaucoup de professeurs francophones à l’Université d’Ottawa, a indiqué par communiqué cette semaine être perplexe quant à la différence dans les traitements des professeurs Lieutenant-Duval et Attaran.

Même si M. Attaran bénéficie de la liberté universitaire, dit le communiqué, l’Université d’Ottawa « a l’obligation d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement et de violence ».

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