Des grands-parents pour Noël

Qu’est-ce qu’on peut faire pour les Ukrainiens ?

Quand la guerre a éclaté en Ukraine, cette question s’est mise à hanter Francine Sabourin, présidente du comité des résidants du Manoir Outremont, une résidence privée pour personnes âgées.

« On peut s’informer, on peut s’indigner, on peut prier… Mais concrètement, qu’est-ce qu’on peut faire ? », s’est demandé l’enseignante à la retraite.

Et si la résidence accueillait des Ukrainiens ?

Sachant qu’il y avait des appartements libres au Manoir Outremont, Mme Sabourin a demandé à la direction s’il était possible d’en réserver un pour un projet d’accueil. « J’avais une réunion avec le directeur, Richard Perreault. Très spontanément, je lui ai posé la question. Il m’a tout de suite dit : “Oui, on embarque !” »

Le cœur y était. L’appartement aussi. Il restait donc à trouver les Ukrainiens prêts à être adoptés par une joyeuse armée de grands-parents québécois.

Mme Sabourin a tenté de dénicher des associations ukrainiennes qui pourraient l’aider. En vain. Jusqu’à ce qu’une amie lui parle d’un reportage télé sur des étudiantes de Kharkiv accueillies dans le cadre d’un programme organisé dans l’urgence par l’Université de Montréal. On y précisait qu’elles avaient besoin d’hébergement.

Le jour même, Mme Sabourin a communiqué avec l’université pour proposer son projet d’accueil intergénérationnel.

C’est ainsi que le 1er novembre dernier, la résidence a pu accueillir Maryna et Katrin.

Maryna, étudiante en science politique de 18 ans, était surprise la première fois qu’elle y a mis les pieds. « En Ukraine, il n’y a pas de résidences comme celle-là ! » Les familles s’occupent le plus souvent de leurs aînés à domicile. « C’est super intéressant de voir comment ça se passe ici. »

Lors de leur première visite à la résidence, les deux étudiantes ne savaient pas encore si elles allaient y habiter. Mais elles ont tout de suite été charmées par l’accueil des gens, qui avaient visiblement très hâte qu’elles déménagent parmi eux.

« Les gens étaient vraiment super gentils… »

Maryna se tourne vers Mme Sabourin, assise à ses côtés.

« Vraiment ! Merci beaucoup !

— Elle dit toujours merci ! », lance, le sourire gêné, l’instigatrice du projet, en soulignant que c’était d’abord un plaisir pour elle de se rendre utile.

Avant leur arrivée, avec deux résidantes, Mme Sabourin a formé un petit comité d’accueil pour les étudiantes. « Pour être un peu leur maman ou leur grand-maman ici. »

Elles ont soigneusement préparé leur logement comme si c’était pour leurs propres enfants.

« On a eu un bonheur fou à remplir cet appartement. C’était déjà meublé, mais pas adapté pour des étudiantes. Il n’y avait pas de bibliothèque ni de table de travail. On a veillé à ce qu’elles aient tout ce qu’il faut. Des draps, de la vaisselle… »

— Francine Sabourin, présidente du comité des résidants du Manoir d'Outremont et à l’origine du projet

Grâce à la contribution volontaire des résidants, le comité s’est aussi assuré que les deux étudiantes aient une petite somme d’argent chaque mois pour payer l’internet, l’épicerie, la buanderie…

Maryna a été touchée par les efforts et les petites attentions du comité au grand cœur. « Elles avaient pensé à tout… C’était vraiment mignon ! Et on nous a offert des fleurs, jaunes et bleues comme les couleurs du drapeau ukrainien. J’adore les fleurs. Je me suis dit : “Wow ! OK ! Je reste ici !” »

***

Mme Sabourin avait prévu organiser une cérémonie d’accueil pour présenter les deux étudiantes ukrainiennes aux résidants peu après leur arrivée. Mais la COVID-19 l’a obligée à revoir ses plans. La soirée, fort émouvante, a finalement eu lieu le 1er décembre, un mois jour pour jour après leur arrivée.

Mme Sabourin y a raconté la genèse de son projet. Maryna et Katrin ont remercié les résidants pour leur accueil. Puis, il y a eu une minute de silence pour l’Ukraine. Dans la salle à manger, on a une pensée pour les Ukrainiens, pour qui cette saison des Fêtes n’aura rien de festif.

Maryna était émue.

« Je trouvais que c’était vraiment important que les résidants comprennent que même si c’est difficile pour nous, nous sommes ici… C’est vraiment plus facile que pour les gens qui restent encore en Ukraine. »

— Maryna

Maryna, qui, à seulement 18 ans, a cette maturité de ceux qui reviennent de loin, aurait envie de ne plus avoir à penser à la guerre. De ne plus avoir à s’inquiéter pour ceux qui sont restés. De ne plus voir défiler des nouvelles déprimantes. « C’est vraiment fatigant de voir ça jour après jour. Mais en même temps, c’est important d’en parler. Parce que l’hiver sera la période la plus difficile. Sans lumière et sans chauffage, c’est vraiment pénible. »

La guerre a changé le regard que les Ukrainiens portent sur la vie, observe-t-elle. Le contraste avec ceux qui ont le luxe de vivre en paix est saisissant. « Les gens là-bas, ils comprennent que c’est vraiment important d’être proches de leurs amis et de leur famille. Parce que tu comprends que la vie est courte et qu’il faut profiter de tous les moments. C’est pourquoi, parfois, mes amis ukrainiens qui sont restés là-bas, même avec très peu de batterie pour leur téléphone, écrivent vraiment plus souvent que mes amis ici ! C’est un grand paradoxe… »

***

Mme Sabourin souhaitait que son projet d’accueil intergénérationnel ait un volet pédagogique. La priorité, c’est que ces étudiantes fuyant la guerre soient dans un environnement paisible et accueillant qui leur permette de se concentrer sur leurs études, d’améliorer leur français et d’apprendre aux côtés des personnes âgées qu’elles côtoient. Mais l’apprentissage se fait dans les deux sens, souligne-t-elle. « Nous aussi, on peut apprendre de leur histoire, de leur courage et de leur résilience. »

Les deux étudiantes se font sans cesse interpeller par des résidants curieux. « Ah ! C’est donc vous, les Ukrainiennes ! »

Les conversations d’ascenseur et les liens qui se tissent avec les résidants sont autant de fenêtres sur la culture et les traditions québécoises, se réjouit Maryna.

« Maintenant, j’ai beaucoup de grands-mères et de grands-pères ici ! »

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