Laissons les hydrocarbures dans le sol
Dans sa lettre publiée le mardi 2 avril dans La Presse+, Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, affirme que l’opposition de Greenpeace et d’autres groupes environnementaux à la construction de nouveaux pipelines est contre-productive. M. Pineau accuse Greenpeace et les autres opposants d’être « des alliés des producteurs de pétrole hors Canada » comme l’Arabie saoudite ou la Russie.
Selon lui, nous faisons fausse route en voulant limiter l’exploitation et le transport de pétrole bitumineux puisque selon lui, il faudrait plutôt commencer par s’attaquer à la consommation. Ce genre d’argument s’apparente à ceux des pétrolières et de certaines stations de radio souvent qualifiées de radios-poubelles qui s’opposent aux groupes environnementaux.
Greenpeace est présent dans plus de 55 pays et s’oppose à tous les projets d’expansion de la production d’hydrocarbures – où qu’ils soient – et fait campagne pour une transition vers des économies reposant sur des énergies à 100 % renouvelables. Évidemment, Greenpeace Canada est plus actif au Canada. Il va de soi qu’ici, nous menions une campagne sur les hydrocarbures canadiens. Par contre, en Russie et ailleurs dans le monde, nos collègues luttent avec la même ardeur contre les pétrolières.
Par ailleurs, il est bien connu que le pétrole extrait des sables bitumineux de l’Ouest canadien est parmi les plus sales au monde.
Il a été démontré que la production d’un baril de pétrole provenant des sables bitumineux émet de trois à quatre fois plus de gaz à effet de serre (GES) qu’un baril de pétrole dit « conventionnel ». Cette extraction émet autant de GES que toutes les automobiles qui circulent au Canada, ce qui en fait la principale source d’augmentation des émissions de GES au pays.
La science nous dit qu’il faut garder la vaste majorité des hydrocarbures dans le sol si l’on veut limiter le réchauffement planétaire en dessous du seuil fatidique des 2 degrés Celsius. Le pétrole des sables bitumineux suivant de près le charbon dans le classement des pires combustibles fossiles, il va sans dire que l’arrêt de l’expansion de la production, rapidement suivi d’une réduction de cette dernière, est prioritaire. D’ailleurs, selon une étude publiée en 2015 dans la revue Nature, le Canada doit en fait renoncer à 85 % des réserves de pétrole de sables bitumineux s’il veut aider l’humanité à limiter le réchauffement planétaire sous les 2 degrés.
Un discours discrédité
Greenpeace milite aussi afin de limiter la consommation d’hydrocarbures. Nous nous opposons à la construction de nouvelles autoroutes en échange d’investissements massifs dans le transport collectif et l’électrification des transports. Par contre, affirmer qu’il ne faut pas, en parallèle, s’attaquer à la production est une erreur. Cela s’apparente au vieux discours des fabricants de cigarettes disant que l’effet négatif sur la santé du produit qu’ils fournissent n’est pas de leur responsabilité. Ce discours est aujourd’hui complètement discrédité. Pourquoi le même type de discours, maintenant appliqué aux hydrocarbures, aurait plus de valeur ?
M. Pineau est un chercheur renommé, qui jouit d’une grande réputation.
Peut-être aurait-il été pertinent qu’il mentionne que parmi les sources de financement dont bénéficie sa chaire figure, entre autres, la société Enbridge, propriétaire du vieux pipeline Ligne-9b.
Ce pipeline transporte au Québec du pétrole issu des sables bitumineux. Sa fermeture est exigée par plusieurs organisations notamment en raison des risques de déversements qui pourraient priver d’eau potable une partie importante de la population du Grand Montréal.
Enbridge envisageait d’ailleurs d’accroître la capacité de transport de son pipeline Ligne-9b. Enbridge est également promoteur d’un des plus gros projets de pipeline au Canada, soit la Ligne 3. Celle-ci est chère aux pétrolières qui ont absolument besoin de nouveaux pipelines afin d’atteindre leur objectif et d’augmenter la production de pétrole de près de 40 % dans l’Ouest d’ici 2030. Or, la science exige de couper les émissions mondiales de CO2 de moitié d’ici 2030.
M. Pineau a déjà affirmé qu’il n’était pas influencé par le financement qui lui est alloué. Il avait ajouté que celui-ci est exposé sur le site de la chaire. Toutefois, il est illusoire de penser que tous les lecteurs vont aller explorer son site. On peut croire que la plupart d’entre eux ont lu cette opinion favorable à l’extension des pipelines canadiens sans savoir que la chaire de l’auteur bénéficie d’un financement minoritaire, mais réel, d’un propriétaire de pipelines. Est-ce que cela interdit M. Pineau d’écrire en faveur des pipelines ? Non, mais dans ce cas précis, il est de notre avis que plus de transparence aurait été bienvenue.