Opinion

Les végétaux aussi cool que la sueur qui perle sur votre front

Il fait anormalement chaud1 ! Même le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine fracassent des records, dont un bond de 7,8 °C qui vient écraser un record établi 110 ans auparavant à Carleton-sur-Mer2. Les deux derniers printemps ont été marqués par des canicules hâtives. Tandis que les écoles étaient fermées à pareille date en 2020 à cause du confinement, cette année c’est la canicule – en contexte de COVID-19 – qui a forcé la fermeture de certaines écoles et de services de garde en Outaouais3. Nos concitoyens encore confinés à domicile en télétravail et qui s’ennuient de la climatisation glaciale de leurs tours de bureaux arrivent-ils encore à dormir la nuit pour être productifs au petit matin ?

Nos aînés qui ont survécu aux trois vagues de COVID-19 vont-ils souffrir – ou même mourir – d’une des vagues de chaleur estivale en 2021 ? Les élans de générosité vus en 2020 pour offrir des climatiseurs à nos institutions témoignent d’une admirable solidarité et répondent à un besoin vital. Mais rappelez-vous que les pompes à chaleur rafraîchissent les personnes privilégiées, mais contribuent tout de même à la surchauffe du climat. Il faut faire mieux. Être plus équitables. Et c’est urgent, c’est parfois une question de vie ou de mort.

On dit qu’un seul arbre mature peut transpirer jusqu’à 450 L d’eau par jour et rafraîchit autant que 5 climatiseurs qui fonctionnent 20 heures sur 24. Un peu comme des perles de sueur sur notre front nous rafraîchissent en s’évaporant doucement, l’évapotranspiration des végétaux emprisonne la chaleur dans la vapeur d’eau qui monte ensuite dans l’atmosphère.

Cette eau retombe plus tard avec les précipitations, en nettoyant l’atmosphère de ses polluants et en abreuvant le couvert végétal qui maintient notre climat viable. Les coupes en Amazonie menacent le cycle hydrologique séculaire de la planète entière. Mais nulle part ne ressent-on plus directement les conséquences du manque de végétation que dans nos grandes villes minéralisées. L’asphalte, le béton et la brique absorbent les rayons du soleil et les emprisonnent sous forme de chaleur qui est redistribuée, même la nuit. Avec cette chaleur accablante, les personnes vulnérables meurent : les vagues de chaleur de 2018 ont causé la mort de 66 personnes à Montréal seulement.

Montréal prévoit planter 500 000 arbres dans le cadre de son Plan Climat 2020-2025. Toutes les grandes métropoles du monde – de New York à Paris – s’activent pour redéployer un couvert végétal et faire revivre la jungle urbaine. Plantez un arbre maintenant, il offrira une ombre appréciable à votre maison dans 10, 20 ou même 30 ans. À l’opposé, un locataire peut instantanément ressentir une augmentation de la température ambiante de sa maison de 4 à 5 °C lorsqu’un arbre de rue, parfois malade, est abattu.

Des actions concrètes pour quelques degrés en moins

Plantez une vigne grimpante au pied de vos murs, elle protégera la façade des rayons directs du soleil, abaissant la température de votre brique de 20 à 30 °C en l’espace de seulement quelques années. Verdissez vos toitures, et la température abaissée augmentera significativement l’efficacité des panneaux solaires qui pourraient s’y trouver. Remisez vos assourdissantes tondeuses à essence et laissez fleurir votre parterre. Il sera 5 °C plus frais que votre pelouse manucurée et vous offrirez un havre aux insectes – dont l’existence est fortement menacée, entraînant dans leur sillage les oiseaux dont les chants étaient si appréciés durant le printemps silencieux du confinement.

Il a été estimé qu’environ 25 % de la superficie des grands centres urbains canadiens étaient potentiellement contaminés en raison des activités industrielles antérieures. Ces terrains sont bien souvent à l’abandon pendant des décennies jusqu’à ce qu’un projet immobilier rentabilise leur décontamination. On pourrait pourtant les convertir en îlots de fraîcheur, temporaires ou permanents, pour réduire dès maintenant l’effet d’îlots de chaleur de la trame urbaine.

Voilà que Montréal s’active pour relancer notre économie. L’élimination des espaces de stationnement, la création d’autoroutes cyclables et la piétonnisation des rues en choquent certains, mais c’est un pas vers la réduction de la surchauffe entraînée par les émissions thermiques des moteurs à combustion surdimensionnés qui sillonnent nos rues. C’est aussi un mal nécessaire pour laisser plus de place à la végétation.

Selon trois études4 récemment publiées par la Fondation David Suzuki sur l’adaptation aux changements climatiques, la végétalisation est de loin la méthode de choix préconisée par les experts et expertes québécois sondés pour lutter contre l’augmentation des températures urbaines. Montréal œuvre sur plusieurs fronts pour rafraîchir notre ville en feu. Les saillies de trottoir végétalisées qui sécurisent les traverses piétonnières aux intersections aident aussi à réduire la chaleur ambiante et à contenir les précipitations intenses sans surcharger nos réseaux d’égouts. L’encouragement réglementaire des stationnements et des toitures végétalisés doit s’étendre à l’échelle de l’île. On doit planter une forêt urbaine avec des essences indigènes diversifiées offrant une meilleure résilience face aux affronts des changements climatiques. Les infrastructures naturelles et les phytotechnologies – les technologies qui optimisent les services rendus par les végétaux – nous font économiser en frais d’infrastructure et de santé, elles créent des emplois, bonifient l’écosystème urbain et protègent la nature.

David Suzuki s’est toujours demandé pourquoi l’architecture des villes tournait le dos au soleil – faisant souffrir de l’excès de chaleur ses citoyens et citoyennes – tandis que dans la forêt, tous les arbres se battent pour déployer leurs rameaux vers le soleil en amenant ombrage et fraîcheur essentielle aux habitants et habitantes de ces cathédrales végétales. Il est urgent que l’ensemble des villes du Québec élaborent et déploient des plans d’adaptation qui accordent une large place au verdissement, pour amoindrir les contrecoups de la situation sanitaire actuelle et planifier adéquatement un futur qui s’annonce chaud. Plantons dès maintenant, pour un demain plus viable.

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