Environnement

Le premier ministre François Legault a essuyé jeudi des critiques de l’opposition et du milieu écologiste, à l’approche de la COP26, qui débutera dimanche.

Le troisième lien déroge aux objectifs verts, admet Legault

Québec — À quelques jours de sa participation au sommet des Nations unies sur le climat, la COP26, François Legault aimerait qu’on parle du bilan environnemental global du Québec plutôt que du troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis. Il reconnaît que ce mégaprojet de 10 milliards n’est pas « en ligne avec les objectifs » verts du Québec.

« [Est-ce qu’]on peut arrêter de montrer seulement des choses qui ne sont pas en ligne avec les objectifs puis regarder l’ensemble du portrait ? », a-t-il lancé jeudi en Chambre en réplique à Gabriel Nadeau-Dubois. Le chef parlementaire de Québec solidaire lui demandait s’il allait « s’assumer » et vanter « son autoroute à six voies sous le fleuve Saint-Laurent comme un projet vert » lors de son discours à la COP26, à Glasgow, en Écosse, où il se rendra la semaine prochaine.

« Le premier ministre, dans son discours, il n’en parlera pas, du troisième lien, tout comme il n’en a pas parlé dans son discours d’ouverture, parce que ce projet, quand on le regarde de près, il est gênant pour le Québec – c’est un projet du passé », a déploré M. Nadeau-Dubois.

Québec solidaire soutient que cette déclaration place le premier ministre en contradiction avec la ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Sonia LeBel, qui a affirmé mardi que le troisième lien était « gagnant pour l’environnement ». Elle souhaitait alors convaincre le nouveau ministre fédéral de l’Environnement, l’ex-militant écologiste Steven Guilbeault, d’appuyer financièrement le projet routier caquiste.

Réduire le transport individuel

Le gouvernement Legault réplique qu’avec l’électrification du parc de véhicules personnels sur les routes du Québec, la quantité de gaz à effet de serre (GES) émis par le troisième lien serait moindre. « Dès 2030, on aura 30 % de nos véhicules qui seront électriques », a expliqué le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, Benoit Charette. Il estime qu’avec une voie réservée aux autobus dans chaque direction, le troisième lien, qui pourrait coûter jusqu’à 10 milliards, a des « vertus environnementales ».

Pourtant, une étude de la firme Dunsky sur la trajectoire de réduction des émissions de GES du Québec commandée par le gouvernement souligne que, pour que celui-ci atteigne ses objectifs, il faudra « diminuer la demande en transport individuel ». « Il est essentiel de minimiser les [occasions] perdues lors d’investissements importants, par exemple […] les infrastructures de transport. Ces investissements auront des répercussions jusqu’en 2050 et au-delà et il est crucial de choisir dès maintenant les meilleures options », pouvait-on lire dans le document, publié en juin.

Même si ce projet est controversé, M. Charette ne croit pas qu’on lui parlera du mégaprojet à la COP26.

Le ministre se dit même « surpris de voir que c’est uniquement le troisième lien qui [suscite] autant de questions » des médias québécois, alors que ce sommet crucial pour le climat est une « rencontre internationale de premier niveau ».

« Je doute fort que les autres pays nous en parlent, mais je sens un intérêt très marqué par certains acteurs ici. Au niveau international, les États et les pays qui seront présents seront surtout intéressés à nous entendre sur nos façons de faire et plusieurs sont intéressés à prendre exemple du Québec », a dit avec assurance le ministre de l’Environnement.

À Québec, tous les partis de l’opposition ont critiqué le gouvernement d’aller de l’avant avec ce projet. Le projet, qui risque d’ajouter des voitures sur les routes de la grande région de la capitale, sera soumis à une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.

Transports collectifs

Plus tôt cette semaine, le ministre des Transports, François Bonnardel, a annoncé qu’une sortie du futur tunnel au centre-ville de Québec serait réservée aux transports en commun. Les résidants du quartier de Saint-Roch s’inquiétaient notamment de voir un important flux de véhicules en provenance de la Rive-Sud transiter par ses rues achalandées pour se rendre vers la Haute-Ville.

« C’est une approche pleine de bon sens pour sensibiliser les gens encore plus [au fait] que les transports collectifs, c’est l’avenir. Ce n’est pas une guerre aux automobilistes. C’est une approche équilibrée », a soutenu le ministre.

Le premier ministre François Legault assistera la semaine prochaine à la COP26, à Glasgow. Le ministre Benoit Charette a affirmé jeudi qu’il était trop tôt encore pour divulguer ce que le gouvernement annoncera dans le cadre du sommet. Il a promis que des « annonces intéressantes » seraient faites pour placer le Québec sur la scène internationale en matière de lutte contre les changements climatiques.

Le gouvernement entend notamment se poser en chef de file en matière d’électrification des transports, alors qu’il est prévu que tous les véhicules neufs vendus dans la province en 2035 soient électriques et que le Québec atteigne la carboneutralité d’ici 2050.

En prévision de la COP26

Legault n’a pas consulté les groupes écologistes

Le premier ministre François Legault a préparé son passage à la conférence des Nations unies sur le climat (COP26) sans consulter les groupes écologistes, qui déplorent cette absence de dialogue.

« Le premier ministre n’irait pas à Davos [au Forum économique mondial] sans parler au milieu économique », lance Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre.

« Ce n’est pas normal qu’il se rende au plus grand forum environnemental international et qu’il ne prenne pas la peine de parler aux organisations de la société civile qui font ce travail-là au quotidien », s’insurge-t-il.

L’expertise des groupes spécialisés en environnement peut s’avérer une aide « très concrète » pour le gouvernement dans une rencontre de haut niveau comme la COP26, souligne Geneviève Paul, directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).

« Ça fait des années que le mouvement environnemental au Québec est activement impliqué dans les négociations, dans les enjeux reliés à la COP, ça me paraît donc incontournable de l’impliquer dans les discussions », dit-elle, regrettant elle aussi de ne pas avoir reçu d’appel du bureau du premier ministre.

Les organisations de la société civile « connaissent la dynamique des négociations internationales et le rôle clé que peut jouer un État infranational comme le Québec lors de ces conférences-là », ajoute Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada, dont le téléphone n’a pas sonné non plus.

L’approche du premier ministre Legault détonne avec celle de ses prédécesseurs, soulignent les groupes écologistes consultés par La Presse.

« Il y avait par le passé des relations plus directes entre le mouvement environnemental et le cabinet du premier ministre », souligne Marc-André Viau, d’Équiterre.

Le cabinet de Legault se défend

Le cabinet de François Legault défend sa décision de ne pas avoir contacté les groupes environnementaux, disant s’en remettre au Comité consultatif sur les changements climatiques qu’il a mis sur pied.

« Le comité lui-même consulte des groupes et des experts de la société civile, les recommandations du comité prennent en compte les positions des groupes environnementaux », a déclaré Ewan Sauves, l’attaché de presse du premier ministre. « On sait très bien où ils logent et ils savent où on loge », a-t-il dit.

Il ajoute que le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, mène également ses propres consultations et que le premier ministre rencontrera les représentants de la société civile québécoise présents à Glasgow.

Le cabinet de François Legault aurait toutefois eu intérêt à consulter directement les groupes spécialisés en environnement en amont de la COP26, croit Annie Chaloux, professeure de politiques environnementales à l’Université de Sherbrooke. « Les rencontrer sur place, c’est bien, mais il sera trop tard pour faire des annonces », dit-elle.

Il aurait ainsi pu mettre la stratégie du Québec à l’épreuve.

« Le premier ministre a clairement mentionné qu’il n’avait pas l’intention de rehausser le niveau d’ambition du Québec [en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre], alors que c’est une COP qui traitera de ça », rappelle-t-elle.

Le milieu écologiste veut se faire entendre

Le milieu écologiste voit dans cette absence de consultation une indication de la façon de travailler du premier ministre et de sa vision « très économique » de l’environnement.

« On réduit beaucoup l’environnement à la commercialisation de l’hydroélectricité parce que c’est de l’énergie propre, mais l’environnement, c’est plus que des occasions d’affaires. »

— Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre

« Ce n’est pas juste la COP, c’est un premier ministre qui interagit moins avec le milieu environnemental », dit Caroline Brouillette, responsable des politiques publiques au Réseau Action Climat Canada.

« Legault n’a rencontré à ma connaissance aucun groupe environnemental depuis trois ans, à part Dominique Champagne [l’initiateur du Pacte pour la transition], mais il a pris le temps de rencontrer GNL Québec », qui souhaite construire une usine de liquéfaction de gaz naturel au Saguenay, s’indigne Patrick Bonin.

« Quand on fait face au plus grand défi de l’humanité avec un gouvernement qui était un néophyte en environnement quand il est arrivé au pouvoir il y a trois ans, je vois difficilement comment justifier de ne pas intégrer davantage toute la mouvance environnementale québécoise, qui est reconnue mondialement comme [l’une des plus dynamiques et des plus mobilisées] de la planète », poursuit-il.

Le milieu écologiste a pourtant des idées qui devraient plaire au premier ministre, estime Marc-André Viau, qui rappelle qu’un rapport du Centre québécois du droit de l’environnement concluait en juin que Québec n’avait pas l’obligation de dédommager l’industrie pétrolière et gazière, malgré l’interdiction annoncée de l’exploitation des hydrocarbures.

« Il y a plein d’organisations qui disent : “Tu ne vas pas demander aux contribuables de payer les entreprises pour qu’elles ne polluent pas et ne créent pas plus de dommages environnementaux”, déplore-t-il, mais lui s’est dit ouvert à sortir le chéquier, et ça, sans parler aux organisations, encore une fois. »

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Nombre de jours que passera François Legault à la COP26, de mardi à jeudi

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