Mon clin d’œil

Boris Johnson démissionne : « Let’s party ! »

Réplique : Itinérance

Quand la compassion cache d’autres affaires

Les auteurs réagissent à la lettre ouverte écrite par le milieu des affaires, « Mettre fin à l’itinérance de rue »1, publiée le 29 juin

Devant les crises qui frappent notre société et qui impactent démesurément les personnes marginalisées, nous assistons à une augmentation de l’itinérance et des discours revendiquant sa prise en charge. Récemment, les milieux des affaires ont tenté d’asseoir leur légitimité pour participer à cette prise en charge, notamment en mettant sur pied la Coalition d’affaires pour mettre fin à l’itinérance de rue (CAMFIR). Toutefois, alors que Montréal est en pleine crise du logement abordable, nous devrions nous questionner quant au rôle que les élites économiques peuvent jouer compte tenu des enjeux pratiques et de leurs intérêts sous-jacents.

Tout d’abord, les élites économiques se sont toujours opposées à la présence de personnes en situation d’itinérance dans les villes, en participant à sa problématisation en termes de visibilité. À partir des années 1990, nous assistons globalement à une revitalisation et une esthétisation des villes qui doivent dorénavant faire la démonstration de leur viabilité sur la plan international. Les centres-villes deviennent lentement objets de consommation et de divertissement pour les classes aisées et les touristes. Dans ce contexte, les personnes marginalisées sont posées comme indésirables, improductives faisant obstacle au projet de revitalisation.

Les milieux des affaires ont grandement interpellé le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à agir contre leur présence, notamment avec des présences répétées lors des périodes de consultation citoyenne.

Éventuellement, ces pressions ont contribué à l’ampleur du profilage social auquel nous assistons aujourd’hui à Montréal : plus de 40 % des constats d’infraction municipaux leur sont remis et malgré les mesures mises en place pour y pallier, les études font état d’une aggravation de la problématique2.

Plus récemment, les milieux des affaires se sont plutôt repliés sur des discours de compassion pour justifier leur implication dans la prise en charge de l’itinérance. Leur implication s’inscrit dans une tendance plus large de « privatisation de l’assistance sociale ». Cette tendance n’est pas sans conséquence sur les pratiques d’intervention, plus souvent en rupture avec les savoirs de l’action collective et de l’approche globale centrée sur les besoins des individus. À cet égard, la CAMFIR problématise uniquement l’itinérance de rue, soit celle qui nuit aux affaires. Cette simplification empêche d’aborder l’itinérance dans toute sa complexité, mais aussi de pouvoir y répondre avec une approche concertée, diversifiée et ancrée dans la prévention.

La CAMFIR devrait à cet égard respecter l’autonomie et le principe de concertation qui règnent au sein de notre milieu. Bien que l’approche du Logement d’abord⁠3 montre des chiffres encourageants, nous devons à tout prix éviter qu’elle ne devienne une approche diluée au service des affaires, sans quoi son efficacité deviendra compromise. La philosophie de l’approche Logement d’abord, ainsi que les interventions qui en découlent reposent sur une vision du logement comme droit humain fondamental, ce que la CAMFIR omet de prendre en compte. Enfin, le principe d’autonomie des personnes, fondamental en intervention sociale et au sein de l’approche Logement d’abord, est absent du projet que suggère la CAMFIR.

Des interventions qui visent l’invisibilisation des personnes renforcent inévitablement la vision normative et paternaliste de l’assistance sociale, éléments qui éloignent pourtant les personnes marginalisées des services.

De plus, les milieux des affaires jouissent d’une posture privilégiée pour orienter les politiques publiques, que les milieux communautaires, ceux qui ont une expertise en intervention sociale, n’ont pas. Que des fonds publics soient potentiellement alloués pour répondre, ultimement, à des intérêts privés pose, selon nous, problème et continuera de nous orienter vers des villes plus inabordables et inégalitaires, où l’essence de l’urbanité sera d’ordre économique.

En somme, nous sommes consternés de voir que les auteurs restent complètement silencieux sur la crise du logement abordable qui sévit actuellement à Montréal et qui participe largement à la hausse de l’itinérance à laquelle nous assistons. Plutôt que de s’immiscer dans les débats sur les « meilleures » pratiques en itinérance, la CAMFIR devrait utiliser son pouvoir et son « capital politique » pour limiter le problème d’accessibilité au loyer et l’embourgeoisement des quartiers montréalais. Que ce soit sous des discours punitifs ou de compassion, tant que les impératifs derrière la prise en charge de l’itinérance demeurent financiers, les processus de marginalisation ne feront que s’exacerber. Soyons clairs, on ne peut pas, à la fois, participer à la production du problème et au même moment prétendre pouvoir y mettre fin.

3. L’approche du Logement d’abord (Housing First) consiste à loger le plus rapidement possible l’individu, en comparaison à l’approche traditionnelle où certaines étapes (thérapies, programmes) doivent être franchies avant qu’il puisse avoir un logement.

* Cosignataires : Maude Pérusse-Roy, candidate au doctorat en criminologie, Université de Montréal ; Vicky Desjardins, M. Sc. criminologie, Université de Montréal ; Izara Gilbert, M. A. travail social, UQAM ; Ismehen Melouka, candidate au doctorat en criminologie, Université de Montréal

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.