La banlieue qui bouge

Alain Trudel, le chef qui donne

La vie d’Alain Trudel est un roman. Derrière la calme assurance du chef d’orchestre qui fête ses 10 ans comme directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Laval, les souvenirs de l’adolescent qui jouait du trombone dans une brasserie pour aider sa mère à payer les factures ne sont jamais loin. De cette vie qu’il a bien failli perdre, il a retenu le meilleur afin de distribuer autour de lui l’amour et la musique.

Alain Trudel a grandi sur le Plateau Mont-Royal à l’époque où le quartier était encore pauvre et violent. Ancienne chanteuse de cabaret, sa mère l’a élevé seule – son père, batteur de jazz, ayant quitté la maison. Adolescent, le futur maestro s’est initié à la musique en joignant les Rythmiks, ensemble de cuivres fondé par des bénévoles soucieux d’occuper les jeunes du quartier.

« Ces gens-là ont mis tellement de cœur, de patience et de temps à s’occuper de nous, raconte-t-il. Ils nous ont transmis leur envie de partager la musique avec tous et de continuer leur travail. »

La suite de son histoire semble tirée d’un film.

« J’ai eu plusieurs vies. J’ai été très connu comme tromboniste, mais, en parallèle, j’ai toujours dirigé, dès le secondaire. Comme on avait fermé mon école de quartier, je suis allé au programme de musique de l’école Joseph-François-Perrault. Ça a changé ma vie.

« Perrault a été une pépinière de talents, mais il y a une raison pour ça : on travaillait comme des fous. On avait l’harmonie à 7 h du matin, des sectionnelles le midi et l’orchestre après les cours. Je n’étais pas super bon, mais j’adorais la musique. En voyant que j’examinais toujours les partitions d’orchestre, mon professeur m’a proposé de diriger. À 15 ans, je dirigeais une fois par semaine. »

En même temps que Perreault, il fréquente le conservatoire.

« J’ai mangé de la musique depuis ce temps-là, ça n’a jamais arrêté. Ma mère étant malade, on n’avait pas d’argent. Je suis un vrai outsider dans le milieu classique. »

— Alain Trudel

Adolescent, Alain Trudel a livré le journal pendant deux ans pour s’acheter un trombone. À partir de 15 ans, il jouait trois soirs par semaine au sein d’un big band dans un restaurant de Repentigny pour amener des sous à la maison, et dans toutes sortes de groupes. « J’entrais parfois par la porte de service, car étant mineur, je n’avais même pas le droit d’être là. »

De tromboniste à chef d’orchestre

Ces années de musique intensive l’ont amené à devenir un tromboniste phénoménal. À 17 ans, il se présente à l’audition internationale de l’Orchestre symphonique de Montréal pour le poste de premier trombone, parmi 80 candidats. Il joue si bien qu’il se rend en finale.

« Ils n’allaient pas nommer un gars de 17 ans premier trombone ! Ils ne m’ont pas donné le poste, mais j’ai joué avec l’OSM en alternance avec l’autre finaliste, Dave Martin, pendant deux ans. J’ai continué à étudier les partitions d’orchestre. Je les apprenais toutes avant les répétitions. »

À 19 ans, le chef Franz-Paul Decker l’invite à jouer au sein de l’Orchestre symphonique de Barcelone. La même année, il gagne le Tremplin du Concours de musique du Canada et le Concours de l’OSM. Il joue partout, énormément, mais demeure fasciné par la direction.

« Je refusais des concerts pour étudier des partitions. »

Il dirige l’Orchestre des jeunes du Toronto Symphony Orchestra de 2004 à 2012, puis commence à faire le tour des orchestres canadiens comme chef invité.

La mort de près

À 40 ans, tout bascule : on lui découvre un cancer au stade 4.

« J’ai failli mourir. Ils m’ont retiré 15 lb de masse cancéreuse dans l’abdomen. Entre-temps, plein de gens m’avaient vu diriger, et l’Orchestre de Radio-Canada voulait m’embaucher. J’ai signé mon contrat avec eux sur mon lit d’hôpital. Sur l’étage où j’étais, j’étais peut-être le seul à avoir hâte de retourner au travail. Ça m’a marqué de voir à quel point il y avait des gens qui n’aimaient pas leur vie. »

« Chaque fois qu’on donne un concert, je me dis qu’on doit quelque chose à ces gens-là. On ne peut pas être ordinaires. Il faut donner tout ce qu’on a pour qu’ils passent un beau moment. »

— Alain Trudel

Alain Trudel est très heureux à l’Orchestre symphonique de Laval.

« J’ai refusé des emplois ailleurs parce que je suis bien ici, dit-il. L’orchestre fait vraiment partie de la communauté. »

Deux jours avec Alain Trudel

Pendant deux jours, La Presse a suivi Alain Trudel dans son parcours de porte-étendard de la musique à Laval… et au-delà !

19 mars, 10 h : Concert Bébé Musique

Tandis que la tempête de neige fait rage, c’est une première pour l’OSL : on joue pour des bébés ! Ces derniers, accompagnés d’un parent, s’égosillent à qui mieux mieux pendant que l’orchestre joue Mozart et une pièce de Maxime Goulet. Entre les mouvements, Alain Trudel parle au public. « Mes enfants et ceux de mes collègues ont toujours accès à la musique, et on s’est dit que ce serait bien d’offrir la même chose à tout le monde. » La foule semble bien d’accord.

19 mars, 19 h 30

Après avoir échangé avec des abonnés dans le foyer de la salle André-Mathieu, le chef se retire en coulisses afin de se préparer pour son deuxième concert de la journée, devant un public plus traditionnel. On joue les mêmes œuvres que le matin, mais cette fois, aucun cri ne s’interpose entre les mélomanes et la Symphonie no 40 de Mozart.

20 mars, 11 h 30

Alain Trudel dirige une répétition de l’orchestre de l’école secondaire Curé-Antoine-Labelle sous le regard ravi de deux professeures de musique. Le chef parle de souffle et de coups d’archet. Les jeunes musiciens semblent boire ses paroles. On joue du Prokofiev et du François Dompierre, puis on constate que le cours a passé trop vite quand la cloche sonne !

20 mars, 13 h

Dès sa sortie de l’école Curé-Antoine-Labelle, Alain Trudel se dirige vers la maison Francesco Bellini, le centre d’hébergement de la Société Alzheimer de Laval, pour y donner une démonstration de trombone aux résidants. Une quinzaine de personnes âgées sont réunies dans une petite salle pour l’écouter jouer des pièces et parler de son instrument. Un résidant, qui a déjà joué du trombone, se souvient parfaitement des titres de plusieurs pièces. « Notre mission, c’est d’amener la musique à tout le monde et j’adore faire ce genre de choses », dira Alain Trudel après cette rencontre touchante.

20 mars, 19 h 30

C’est soir d’opéra à la salle Wilfrid-Pelletier, à Montréal : Alain Trudel dirige l’Orchestre Métropolitain dans la production d’Another Brick in the Wall de l’Opéra de Montréal. Ne reculant pas devant les défis, le chef d’orchestre, qui a grandi en écoutant du jazz tout en découvrant le répertoire classique en se procurant des disques usagés, apprécie plusieurs genres musicaux.

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