Au-delà des mots

Le difficile parcours des proches aidants

Édith Fournier et Michel Carbonneau ont accompagné leur conjoint et conjointe respectifs atteints de la maladie d’Alzheimer. Pendant 14 ans. Un parcours empreint de tristesse et de tendresse, d’amour et de deuil, d’épuisement et de culpabilité. Avant de tourner la page sur Au-delà des mots, une conférence à deux voix qu’ils ont trimballée aux quatre coins du Québec, ils proposent une série documentaire en sept chapitres sur leur expérience de proches aidants.

« Nous, comme les autres, on a eu des passages à vide où on s’est sentis très, très seuls. Même si on avait de l’aide, par exemple, c’est comme si personne ne pouvait comprendre ce qu’on vit. C’était comme trop dur. » Cette déclaration d’Édith Fournier en ouverture du premier chapitre de la série, lancée dans le cadre du Mois de sensibilisation à la maladie d’Alzheimer, laisse deviner l’objectif de leur démarche.

« J’aurais été responsable du fait que j’ai abordé l’accompagnement de ma conjointe seul, du moins au départ, affirme Michel Carbonneau en entrevue. C’est un des messages qu’on essaie de passer. Je pensais que c’était ma responsabilité. Je pensais que j’allais être capable de le faire, que j’en avais la force, l’endurance. »

Le conjoint d’Édith Fournier, le cinéaste Michel Moreau, s’est éteint en 2012. La conjointe de Michel Carbonneau, Nicole Lacroix, deux ans plus tard. Pendant 14 ans, ils auront été proches aidants, d’abord à la maison, puis en CHSLD. De prime abord similaire, leur expérience est néanmoins différente.

« Nicole s’est éteinte à petit feu, si bien qu’à la limite, je voyais peu progresser la maladie, se souvient M. Carbonneau. Au jour le jour, la différence était à peine perceptible. »

« Michel a dégringolé d’une façon vertigineuse dans les trois premières années, poursuit Édith Fournier. C’était effarant. Il ne marchait plus, il ne mangeait plus tout seul, il ne parlait plus. Il a perdu ses fonctions à une vitesse telle que je n’avais pas le temps de courir en arrière pour organiser les services. À un moment donné, j’étais dépassée par tout ce qu’on m’envoyait. On voulait m’aider, mais je n’arrivais pas à suivre. J’étais très, très, très fatiguée. »

Douloureuse séparation

Pour les deux, le moment le plus difficile a été le départ de leur conjoint et conjointe en hébergement. « J’ai attendu qu’il ne soit plus conscient de la situation pour franchir le pas, se rappelle Mme Fournier, qui était alors aux prises avec un grand sentiment de trahison. Après, on se guérit de ça. Maintenant, je dirais que franchir le pas, même si ça a été épouvantable, j’ai aussi vécu de très belles choses en CHSLD. »

Celle qui a publié le livre J’ai commencé mon éternité en 2007, un récit sur l’accompagnement de son mari malade à domicile, abordera d’ailleurs les années en CHSLD qui ont suivi dans Tu ne sais plus qui je suis, dont la parution est prévue en février aux Éditions de l’Homme.

Parce qu’ils y ont vécu de beaux moments, avec leur proche, les autres résidants et le personnel soignant, tous deux souffrent aujourd’hui de voir le triste sort des CHSLD, durement touchés par la pandémie, et l’image qui en est projetée. Ils ont eu aussi le cœur brisé devant la mise à l’écart des proches aidants lors de la première vague de la pandémie.

« C’est épouvantable, réagit M. Carbonneau. Je n’aurais pas voulu avoir à vivre ça. […] Ce sont des moments où on pense qu’on serait les mieux placés pour en prendre soin et on nous écarte. On peut comprendre pourquoi ils le font. Mais je continue de penser qu’il y aurait pu y avoir des façons de faire qui auraient rendu ça possible. Ça aurait allégé la tâche des soignants. »

Présentée par L’Appui pour les proches aidants, un organisme qui a pour mission d’améliorer la qualité de vie de ces derniers, la série documentaire d’une durée d’environ 80 minutes est offerte à tous sur le web. Scénarisée par Guillaume Chouinard, elle mélange le documentaire et le théâtre puisqu’au cœur du projet se trouve la lecture publique qu’Édith Fournier et Michel Carbonneau ont faite de leurs textes pendant les sept dernières années.

On y aborde l’apparition de la maladie, la quête de services, la vie en hébergement ainsi que l’après. Parce que oui, la vie se poursuit. Ayant tous deux enseigné à l’Université de Montréal, Édith Fournier et Michel Carbonneau ont repris contact alors qu’ils étaient proches aidants et forment un couple depuis. « Je savais, malgré mes discours, que je venais de rebasculer du côté de la vie », dit Mme Fournier à la caméra.

« Je suis tombé en admiration face à Édith et Michel parce que c’est vraiment un récit qui démontre une force, une résilience et beaucoup d’humanité, fait part Josué Bertolino, réalisateur du documentaire. Bien qu’au début de l’entrevue, ils disaient : c’est tout à fait normal ce qu’on a fait. Oui, mais, oui, parce qu’il y a de l’amour et c’est ce que je voulais qui transparaisse. »

De l’aide pour les proches aidants

Bien qu’en dehors du soutien de leur entourage, Édith Fournier et Michel Carbonneau aient été seuls pendant une partie de leur parcours, du soutien existe. L’Appui pour les proches aidants finance des services partout au Québec, dont un service d’accompagnement professionnel gratuit. « C’est documenté que de prendre soin est un des facteurs de risque pour la santé, souligne Julie Bickerstaff, coordonnatrice générale d’Info-aidant. Les gens s’épuisent à prendre soin d’un proche qui est malade. Un des facteurs de protection, c’est d’être entouré, soutenu, le plus tôt possible au début de la trajectoire. »

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