pesticides dans les rivières

Le fléau suit son cours

Ils ne sont presque plus utilisés, mais leur héritage perdure dans l’environnement. Les néonicotinoïdes continuent d’être détectés à des seuils nuisibles pour les organismes aquatiques, révèle un rapport du ministère de l’Environnement du Québec.

Un dossier de Daphné Cameron

Pesticides néonicotinoïdes

Moins utilisés, toujours menaçants

Malgré une chute spectaculaire de leur usage, les pesticides néonicotinoïdes sont toujours mesurés dans les rivières agricoles à des concentrations qui menacent la vie aquatique.

C’est ce que révèle un rapport sur la présence des pesticides dans l’eau au Québec, publié discrètement sur le site internet du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec (MELCC).

Mieux connu comme les pesticides « tueurs d’abeilles », les « néonics » sont une famille d’insecticides qui peuvent aussi avoir des effets néfastes sur les invertébrés aquatiques, lorsqu’ils sont lessivés des champs vers les cours d’eau.

Depuis 1992, le Ministère documente la présence de pesticides dans les zones agricoles dominées par les monocultures de maïs et de soya, en prélevant des échantillons dans quatre rivières témoins.

Le rapport, qui couvre la période 2018 à 2020, est le premier état de situation depuis que les agriculteurs sont obligés d’obtenir une prescription d’un agronome pour acheter et planter des semences enrobées de néonicotinoïdes.

Car depuis 2018, trois néonicotinoïdes – la clothianidine, le thiaméthoxame et l’imidaclopride – figurent sur la liste des cinq pesticides les plus « à risque » de faire des dommages, selon le gouvernement du Québec.

Seuil maximal dépassé la majorité du temps

La bonne nouvelle : dans les quatre rivières baromètres, les néonicotinoïdes sont désormais moins fréquemment détectés et à des concentrations moindres. Là où le bât blesse, c’est qu’en moyenne, les échantillons dépassent encore la majorité du temps le « critère de vie aquatique chronique » (CVAC), c’est-à-dire le seuil maximal d’un produit auquel les organismes aquatiques peuvent être exposés pendant toute leur vie sans subir d’effets néfastes.

En théorie, les espèces les plus vulnérables comme les invertébrés aquatiques peuvent tolérer une exposition maximale de quatre jours aux seuils « chroniques » ; au-delà, il y aura des dommages.

« On peut se réjouir d’avoir encadré les néonicotinoïdes, on peut se réjouir que les fréquences de dépassement des CVAC diminuent, mais est-ce qu’on peut vraiment se réjouir qu’il y ait encore des dépassements ? », souligne Louise Hénault-Ethier, directrice du Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique.

« On vit une perte de biodiversité à une vitesse sans précédent, et là, on a encore des dépassements des critères qui permettent de dire que la biodiversité est mise à mal. »

— Louise Hénault-Ethier, directrice du Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique

« Ça a l’air bénin, mais les invertébrés aquatiques, c’est toute la chaîne alimentaire qui en dépend », ajoute Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale à l’Université de Montréal.

« Le problème des néonics, c’est que c’est très toxique pour les invertébrés aquatiques. Si on les enlève, tous les petits poissons n’ont plus d’invertébrés à manger et les gros poissons qui mangeaient les petits poissons n’ont plus de petits poissons à manger, et donc, on affecte toute la chaîne », explique le professeur.

Dans les cultures de maïs et de soya, les néonicotinoïdes sont appliqués directement sur la semence avant qu’elle ne soit plantée. Ils sont utilisés ici depuis 2008.

Au Québec, il était estimé qu’en 2015, les semences enveloppées de néonicotinoïdes étaient utilisées sur presque 100 % des superficies de culture de maïs et sur plus de 50 % des superficies de culture de soya.

Depuis qu’elles ne sont plus offertes en vente libre, leur usage a chuté de manière remarquable.

Selon le Bilan des ventes de pesticides du Québec, en 2019, moins de 2 % des superficies de maïs et moins de 1 % des superficies de soya ont été ensemencées avec des semences enrobées de néonicotinoïdes. En 2020, c’était seulement 0,2 % du maïs ensemencé.

Impossible de parler à l’experte du MELCC

S’ils sont désormais si peu utilisés, comment se fait-il que les CVAC soient aussi souvent dépassés ?

Nous avons demandé une entrevue avec l’auteure du rapport, Isabelle Giroux, le 21 septembre dernier. Le MELCC a refusé de la rendre disponible.

« L’amélioration n’est pas toujours instantanée, elle peut prendre quelques mois à quelques années, car des résidus de produits peuvent être encore présents dans les sols par suite d’un usage répété année après année et relâchés vers les cours d’eau lors des pluies ou de la fonte de neige. Le critère de qualité de l’eau pour la protection des espèces aquatiques étant très bas, des dépassements peuvent encore être constatés même quelques années après un arrêt d’application », a cependant écrit le Ministère dans une déclaration qu’il nous a fait parvenir.

L’agronome Mathieu Leduc, qui est chargé d’enseignement au campus McDonald de l’Université McGill, indique que plusieurs facteurs peuvent ralentir la dégradation des pesticides. Il souligne que les années visées par le rapport ont été particulièrement sèches. « Il y a probablement l’effet qu’en lessivant moins, ça fait le ménage moins vite dans le sol », souligne-t-il.

Il ajoute que dans le cas des pesticides enfouis dans le sol, la lumière du soleil contribue moins à la dégradation du produit chimique contrairement aux produits épandus par arrosage.

« [Combien de temps] ça va prendre pour que le système se flushe, c’est difficile à dire, dit-il.

« La conclusion, c’est que peut-être que dans les questions environnementales, il faut se dépêcher d’agir maintenant parce que ça prend beaucoup de temps avant que l’écosystème, le milieu, s’en remette, nettoie et redevienne naturel. Donc ça veut dire que si on a une inquiétude l’an prochain pour un autre produit, il faudrait agir rapidement parce que si on attend 20 ans, il va peut-être y avoir 10 ans après cela de plus à attendre que ce soit vraiment clean. »

Un nouvel insecticide sème l’inquiétude

Trois des rivières du rapport sont situées en Montérégie – la rivière Chibouet, la rivière Des Hurons et la rivière Saint-Régis – et une se trouve dans la région du Centre-du-Québec – la Saint-Zéphirin.

Environ 30 prélèvements par saison ont été effectués à chacune des stations. De 2018 à 2020, entre 19 et 43 pesticides ou produits de dégradation de pesticides ont été détectés dans ces rivières.

Parmi le lot se trouve le chlorantraniliprole, un insecticide qui a remplacé les néonicotinoïdes dans les enrobages de semences et qui n’a pas à faire l’objet d’une justification agronomique.

Le chlorantraniliprole est désormais détecté dans 99 % à 100 % des échantillons et les concentrations sont à la hausse dans les quatre rivières. Les dépassements du CVAC sont « peu fréquents », mais ont été constatés dans trois des quatre rivières, notamment dans la Saint-Régis, où la fréquence des dépassements a atteint 13 % en 2020.

Fixé à 0,1 microgramme par litre (ug/l), le CVAC du chlorantraniliprole est « provisoire », a indiqué le MELCC dans un courriel.

« Le plus flagrant, c’est qu’on est en train de refaire l’expérience avec le chlorantraniliprole. On n’a pas beaucoup d’information sur sa toxicité, et là, on est en train de tester à l’échelle du Québec », souligne Sébastien Sauvé.

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