LA RÉFORME DE LA SANTÉ DÉCORTIQUÉE

VoiCI le plan

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a présenté mardi sa réforme en profondeur du réseau de la santé, qui passe notamment par le recrutement massif de personnel et un meilleur accès aux soins de première ligne. Si les partis de l’opposition à Québec déplorent que le plan de la CAQ ne soit rien de plus que son « programme électoral », des acteurs du milieu de la santé sont prêts à « donner une chance au coureur ».

Plan de refondation du réseau de la santé

3 ans et 50 mesures

Recrutement massif de personnel, meilleur accès aux données, construction de nouveaux hôpitaux et responsabilisation : le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a présenté mardi matin les 50 mesures de son « Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé » qui « s’inscrit sur l’horizon 2025 ». Survol en dix points.

Plus de personnel

Il s’agit de la mesure phare du plan. Car plusieurs autres actions en découlent, comme l’augmentation du nombre de lits dans les hôpitaux. Québec mise notamment sur l’embauche de 1000 infirmières à l’étranger et sur l’implantation de programmes de formation accélérée. Québec veut aussi mieux retenir ses travailleurs de la santé en éliminant les heures supplémentaires obligatoires et en mettant en place un système d’autogestion des horaires. Alors que la population vieillit à la vitesse grand V, les besoins en santé augmentent tout aussi rapidement. Pour Québec, « le statu quo est insoutenable ».

Hausse des heures supplémentaires Travaillées de 2019-2020 à 2020-2021

5,4 %

Part des personnes âgées de 70 ans et plus au Québec

1971 : 4,2 %

2020 : 13,6 %

Prévision pour 2035 : 20,5 %

La fin du télécopieur

La pandémie aura révélé que le réseau de la santé traîne sérieusement la patte en ce qui concerne l’accès aux données. Le télécopieur est encore utilisé un peu partout dans le réseau, et environ 10 000 systèmes d’information différents sont utilisés. « Le réseau d’hier était devenu bureaucratique, lourd et dépassé sur le plan technologique », écrit le ministre Dubé dans son plan. Ce dernier veut donner la possibilité à chaque citoyen d’avoir accès à ses informations de santé et implanter un seul dossier de santé numérique. Ce changement passera notamment par l’adoption du projet de loi 19.

Plus de lits d’hôpital

M. Dubé veut moderniser rapidement les infrastructures de santé. En plus de bâtir des maisons des aînés, il souhaite rénover de nombreux hôpitaux et CHSLD. Environ 2000 nouveaux lits s’ajouteront ainsi dans le réseau. Et la hausse du personnel permettra d’en ajouter 2000 autres, prévoit M. Dubé. Ces ajouts permettront de réduire l’attente aux urgences. Québec mise également sur la création de « centres de commandement » dans chaque hôpital pour permettre une gestion plus fluide des lits et réduire l’attente aux urgences. Le virage vers un financement des établissements de santé axé sur le patient et non plus sur des valeurs historiques s’accélérera. On mise aussi sur une hausse des transferts fédéraux en santé.

Ratio de lits par tranche de 1000 habitants

Québec : 2

Royaume-Uni : 2,4

Canada : 2,5

États-Unis : 2,8

France : 5,8

Allemagne : 7,9

— Sources : MSSS et OCDE

Un guichet « révolutionnaire »

Dès l’été prochain, la majorité des Québécois auront accès à un Guichet d’accès à la première ligne. Ce projet, déjà déployé dans le Bas-Saint-Laurent, sera étendu partout dans la province. M. Dubé parle d’une véritable « révolution dans l’approche patient ». En appelant un seul numéro de téléphone ou en ayant accès à un site web, les patients pourront parler à une personne, recevoir rapidement des conseils en santé, prendre rendez-vous ou renouveler leur ordonnance. Pour M. Dubé, il s’agit d’« un seul canal où le patient est pris en charge par le bon professionnel. Pas un numéro où tu te fais dire d’aller aux urgences ».

Multiplier les portes d’entrée

Plutôt que de faire du médecin de famille la seule porte d’entrée des patients dans le réseau, le ministère de la Santé souhaite impliquer plus de professionnels et mise sur l’interdisciplinarité. Les infirmières praticiennes spécialisées, les pharmaciens communautaires et les paramédicaux seront notamment encore plus impliqués. Les médecins de famille seront aussi incités à modifier leur rémunération en optant plus massivement pour la capitation. Ce mode de rémunération encourage la prise en charge de patients « en groupe et dans une approche interdisciplinaire ».

Décentraliser

Pour améliorer la gestion du réseau, Québec mise sur la « décentralisation du système de santé » pour « ramener les opérations du réseau vers les régions et recadrer la mission du Ministère [NDLR : de la Santé et des Services sociaux] sur les orientations stratégiques ». La sous-ministre à la Santé, Dominique Savoie, doit déposer prochainement un plan à ce sujet. « La décentralisation et l’organisation du travail vont nous permettre de nous assurer de l’exécution de notre plan de santé », selon M. Dubé. Le dernier budget a permis d’assurer au ministre Dubé qu’il aura les moyens de ses ambitions. Mais pour lui, « ça ne prend pas juste de l’argent. Ça prend de l’organisation du travail ».

Virage massif vers les soins à domicile

Comme annoncé plus tôt ce mois-ci, Québec souhaite faire plus de place au privé en santé. Entre autres pour réduire les listes d’attente en chirurgie. Pas question toutefois de faire payer le patient pour ces soins. Pour les aînés, un virage massif vers les soins à domicile continuera de s’opérer. On attend toutefois les conclusions de la commissaire à la santé et au bien-être qui se penche actuellement sur les performances des soins à domicile et leur financement. Plus de soutien sera accordé aux proches aidants et aux organismes communautaires offrant du soutien à domicile.

Part des dépenses en soutien à domicile dans le budget consacré au soutien à l’autonomie des personnes âgées

Québec : 40,5 %

Danemark : 65 %

— Sources : MSSS et ministère de la Santé danois

Prévenir le pire

Pour être prêt si un nouveau virus frappait la planète, Québec prévoit la création d’une stratégie nationale de préparation à une prochaine pandémie. On prévoit également mener une « importante réforme » en santé publique. La pandémie de COVID-19 aura « montré l’importance d’avoir une gouvernance claire en santé publique, basée sur l’indépendance et la transparence des travaux et des recommandations des experts », et « mis en lumière la nécessité d’une plus grande efficacité et d’une meilleure cohérence entre les instances », peut-on lire dans le plan.

Sortir les rapports des tablettes

Avec ce plan, le ministre Dubé dit s’appuyer sur les nombreux rapports d’experts produits au fil des ans sur l’amélioration du réseau de la santé, dont celui de Michel Clair rédigé en 2001. En conférence de presse, le ministre Dubé a souligné que plusieurs de ces rapports d’experts « étaient de grande qualité », mais que, « des fois, il manquait de courage politique pour mettre en place les recommandations ». « C’est fini, il faut passer à l’action », dit-il.

Des dirigeants responsables

Afin de s’assurer que les mesures prévues dans le plan soient réellement appliquées, le gouvernement prévoit publier dès le mois de mai un « tableau de bord national et régional sur l’atteinte des objectifs du plan stratégique et des priorités ». « Vous me connaissez, on va se mesurer. Parce que ce qui se mesure s’améliore […], dit M. Dubé. À moyen terme, je pense qu’on peut faire bouger l’aiguille très rapidement. » M. Dubé croit que le fait que de nombreux acteurs importants du réseau de la santé soient déjà mobilisés et souhaitent changer les choses permettra au plan d’être rapidement « exécuté ».

Plan santé de Québec

« l’éléphant a accouché d’une souris », déplore Anglade

Québec — Le « Plan santé » du ministre Christian Dubé n’est rien de plus que le « programme électoral » de la Coalition avenir Québec, a déploré l’opposition, mardi. Elle accuse le gouvernement Legault de ne pas respecter sa promesse visant à ce que chaque Québécois ait un médecin de famille.

Les partis de l’opposition ont taillé en pièces le plan de redressement du réseau de la santé, présenté en grande pompe mardi à Montréal par le ministre Christian Dubé.

« C’est un programme électoral, une publicité payée, une publicité d’une heure à la télévision où on arrive, pas de chiffres, pas d’objectifs », a décoché le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon.

Vincent Marissal, de Québec solidaire, avait des propos semblables : « C’est un programme électoral qu’ils sont en train de tester à quelques mois des élections. Ce n’est pas un plan de réorganisation, de refondation ou de ce que vous voulez, parce que pour le moment, ça repose sur des vœux pieux. »

Pour la cheffe libérale, Dominique Anglade, « l’éléphant a accouché d’une souris ».

« On nous avait promis quelque chose de costaud, on nous avait promis quelque chose de vraiment significatif », a-t-elle affirmé.

Des vieilles promesses, dit l’opposition

Selon l’opposition, le plan de M. Dubé reprend essentiellement les promesses non réalisées de 2018. Le gouvernement Legault promet d’étendre la formule du Guichet d’accès à la première ligne élaboré au Bas-Saint-Laurent ailleurs au Québec d’ici la fin de l’été. Un patient pourrait avoir accès à un professionnel dans un délai de 36 à 72 heures, et même après deux semaines selon le besoin, a indiqué mardi M. Dubé.

Encore récemment, le gouvernement parlait d’avoir accès à un professionnel de la santé dans les 36 heures.

« Voici une volte-face spectaculaire de la CAQ. Ils ont fait campagne, en 2018, sur un médecin pour tout le monde », a critiqué M. Marissal.

Le Parti québécois doute pour sa part que ce genre de guichet vienne régler le problème d’accès à la première ligne alors que plus de 1 million de Québécois sont sans médecin de famille.

« Ce n’est pas le guichet, la clé, c’est : est-ce qu’il y a des professionnels pour prendre le patient et, surtout, est-ce qu’il y a des professionnels pour faire le suivi auprès des patients ? »

— Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Le député libéral Monsef Derraji s’explique mal pourquoi Québec n’a pas étendu le modèle bas-laurentien plus tôt qu’à quelques mois des élections. M. Derraji montre du doigt la lenteur du cheminement du projet de loi 11 qui vise à accroître l’accès à la première ligne.

Des « odeurs de bâillon »

L’opposition craint par ailleurs un embouteillage parlementaire en raison des nombreux projets de loi du ministre Dubé. En plus du projet de loi 11, les élus entreprendront jeudi les consultations sur le projet de loi 28 visant la fin de l’urgence sanitaire. Le projet de loi 19 sur l’accès aux données n’a pas encore été appelé. À cela s’ajoutent ceux sur la révision de la Loi sur la protection de la jeunesse et sur l’aide médicale à mourir.

« Il y a déjà des odeurs de bâillon dans l’air », souligne le député Vincent Marissal alors qu’il reste moins de 10 semaines à la session parlementaire. « Adopter un projet de loi comme la protection de la jeunesse, sous bâillon, ce serait impensable. Adopter l’aide médicale à mourir sous bâillon, ce serait inimaginable », s’est inquiété le leader parlementaire des libéraux, André Fortin.

Le réseau prêt à « changer », mais émet des craintes

La majorité des acteurs de la santé présents à la conférence de presse du ministre Christian Dubé, mardi matin, ont bien accueilli le plan de refondation, même si certains doutent qu’il se concrétisera par des changements.

« Il faut donner une chance au coureur. Mais pour qu’on voie des changements rapidement, le ministre devra faire un sprint. Pas un marathon », estime le directeur général du Réseau FADOQ, Danis Prud’homme. Président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet estime que « plus une organisation est grosse, plus ça prend du temps, implanter des changements », dit-il.

Chef des soins intensifs à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, le DFrançois Marquis reconnaît que le système de santé est « une machine lourde avec une grande force d’inertie ». Mais selon lui, la pandémie aura fait réaliser aux acteurs de la santé qu’« il faut agir ».

« Je n’ai jamais vu une mobilisation comme ça dans le réseau de la santé pour modifier les façons de faire. »

— Le Dr François Marquis, chef des soins intensifs à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont

« Les gens du milieu croient que c’est possible de changer », affirme le DMarquis, qui se dit « prêt à embarquer dans la tentative ».

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) appuie « le souhait gouvernemental de se doter enfin d’un plan pour valoriser la médecine familiale ». Mais pour son président, le DMarc-André Amyot, « le retrait du projet de loi 11, qui est un nuage noir et une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête de la médecine familiale au Québec, serait un premier pas dans cette direction ».

« Un changement de culture » nécessaire

« Trop longtemps, la seule option pour le patient en dehors des heures ouvrables a été l’urgence. Le plan présenté par le ministre Dubé représente un changement de culture que doit s’approprier l’ensemble du réseau », affirme pour sa part la vice-présidente de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, la Dre Laurie Robichaud.

Présidente de la CSN, Caroline Senneville déplore que le plan de refondation soit « plus une liste qu’un plan ». Elle craint une « privatisation accrue du réseau ». La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) estime quant à elle qu’il y a « beaucoup de vœux pieux » dans le plan et doute de sa réalisation, principalement « en raison du sous-financement de son plan santé ».

Président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes familiaux et conjugaux du Québec, Pierre-Paul Malenfant croit que « les services sociaux n’ont pas la place qu’ils devraient avoir » dans le plan. Il plaide pour la création d’une « direction des services sociaux ».

« Je n’ai pas d’hésitation à dire que je partage beaucoup des 50 idées [du plan de refondation] », a pour sa part déclaré Michel Clair, président de la commission éponyme dont le rapport, publié en 2000, préfigurait plusieurs solutions mises de l’avant par le ministre Dubé. « Je vois un ministre qui est très volontaire, qui a regardé tout ce qui avait été publié auparavant et qui reprend beaucoup de recommandations qui ont été faites à l’époque ».

Christian Dubé a dit s’être inspiré du rapport de l’ancien ministre pour son plan. « C’est un peu frustrant de voir que ça a pris 21 ans avant d’implanter les recommandations, mais en même temps c’est une grande fierté d’avoir plus contribué à émettre des idées qui ont encore de la valeur pour la société québécoise », a-t-il conclu.

— Avec Alice Girard-Bossé, La Presse

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