La guerre des poteaux

Des citoyens privés de connexion internet haute vitesse, même à moins de 100 km de Montréal ? C’est encore le cas dans plusieurs localités, qui ont décidé de dérouler des kilomètres de fibre optique pour enfin brancher leurs résidants. Mais aussi techno soit-elle, celle-ci doit prendre appui sur une structure d’un autre siècle : le bon vieux poteau de bois. Or, les propriétaires de ces poteaux, en particulier Bell Canada, mettent beaucoup de temps à accorder les permis exigés. Un dossier d’Ariane Krol

Des MRC se mobilisent

Dominique Jutras et Jean-Luc Fauvel connaissent les limites de la coupole installée sur leur maison de Rawdon, dans Lanaudière. Sensible aux caprices de la météo, elle les prive de l’internet ou rend le service intermittent une vingtaine de fois par an. Et la vitesse est limitée. Mme Jutras, qui est designer graphique, réussit à s’organiser pour travailler de la maison. Mais quand son conjoint, professeur de cégep en techniques de design industriel, s’est retrouvé en télétravail forcé avec le confinement, il s’est heurté à un mur.

Donner un cours sur Zoom en partageant les images animées de son écran ? « J’ai essayé une ou deux fois, c’était impossible ! » M. Fauvel a donc dû donner ses cours à distance… en personne au cégep. Et les réunions de département en vidéoconférence n’avaient de vidéo que le nom. « Je fermais ma caméra et je demandais aux gens de fermer la leur », raconte-t-il. Il leur a envoyé une photo de la vieille série télé Les arpents verts, où le personnage d’Oliver est grimpé dans un poteau pour téléphoner.

Non loin de là, à Saint-Félix-de-Valois, le plus important employeur de la MRC n’en mène pas beaucoup plus large. L’aire d’accueil de Plastiques GPR a beau avoir des allures de hall d’hôtel contemporain, l’entreprise de moulage par injection n’a toujours pas accès à l’internet à haute vitesse.

« Je ne peux pas me permettre toutes les technologies que je souhaiterais au niveau de la production. »

— Dany Belleville, copropriétaire de Plastiques GPR

Se connecter directement à des fournisseurs pour des diagnostics et de la formation est exclu. GPR, qui emploie 200 personnes, doit même payer deux services internet pour éviter d’être trop souvent paralysée par les pannes. Il y a quand même des pannes, pendant lesquelles les commandes ne rentrent pas. « Ça rentre sur mon cellulaire, alors je m’en vais près d’une imprimante Bluetooth et j’imprime de là. À la limite, ça irait mieux avec un fax », commente Mme Belleville.

La maison des Jutras-Fauvel et l’usine de Plastiques GPR sont à moins de 100 kilomètres de Montréal, dans la MRC de la Matawinie. Des zones comme celles-là ont longtemps été privées de l’internet à haute vitesse pour des motifs financiers, les fournisseurs de télécoms trouvant le bassin de clientèle trop petit pour justifier l’investissement. Mais ici, comme dans plusieurs MRC, l’obstacle économique a disparu. Les 15 municipalités de la Matawinie ont décidé de financer leur propre réseau de fibre optique. Plus de 2700 km de fibre seront déroulés afin d’amener la large bande à plus de 42 000 résidences et commerces. Un organisme sans but lucratif (OSBL), Connexion Matawinie, a été créé pour déployer ce réseau, une firme d’ingénierie et un entrepreneur ont été mandatés, et un premier fournisseur d’accès, Cooptel, a été choisi pour offrir le service aux abonnés.

Le problème est dans le poteau

Connexion Matawinie avait prévu qu’à la mi-juillet, sa fibre desservirait 10 000 adresses. Elle a pu en rejoindre à peine 300 jusqu’ici.

« Bell retarde [la délivrance] des permis à cause de ses processus internes interminables », déplore le préfet de la MRC et président du conseil d’administration de Connexion Matawinie, Sylvain Breton.

Aussi techno soit-elle, la fibre optique doit prendre appui sur une structure d’un autre siècle : le bon vieux poteau de bois. Le territoire québécois en compte quelque 2,7 millions, dont plus de la moitié (environ 61 %) appartiennent à Hydro-Québec et le quart (environ 25 %) à Bell Canada. D’autres organisations, notamment Telus et Télébec, en possèdent aussi.

Pour utiliser un poteau, et les structures qui s’y trouvent, il faut un permis. La Matawinie compte plus de 55 000 poteaux. Pour les premières demandes faites il y a plus d’un an, en avril 2019, elle a reçu à peine plus du quart de ses permis.

« On travaille sur des structures de bois qui ne sont pas que de simples morceaux de bois », fait valoir Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada.

« Bell doit s’assurer de la sécurité des réseaux qui sont déjà sur ces poteaux, en s’assurant que tous les travaux qui y sont faits sont faits ou toutes les charges qui vont y être ajoutées sont dans le respect des normes et de l’encadrement réglementaire. »

— Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada

Avant d’ajouter un câble sur un poteau, il faut vérifier s’il a la capacité de l’accueillir (qu’il n’est pas brisé, pourri, miné par les pics ou les insectes, qu’il a l’espace nécessaire, qu’il est solidement ancré, etc.) et, à défaut, effectuer des travaux préparatoires requis.

La Matawinie n’est pas un cas unique. Plusieurs MRC qui ont créé des OSBL pour déployer leur propre fibre optique dénoncent la lourdeur et la lenteur du système.

La MRC d’Argenteuil, dans les Laurentides, avait prévu d’avoir branché 300 clients le mois dernier. Elle en a actuellement… 4. Faute des permis requis, elle a dû réaliser son projet pilote avec la fibre optique du réseau municipal. Son OSBL, Fibre Argenteuil, est pourtant fin prête. Son centre de données de Lachute est ouvert et 340 km de fibre optique sont déjà achetés. Si elle avait tous ses permis pour la poser à l’automne, il lui faudrait seulement de huit à dix semaines pour le faire, estime son directeur général, Denis Huberdeau. « C’est sûr qu’à Noël, tout le monde serait branché ! », s’exclame M. Huberdeau, qui a travaillé comme chargé de projet pour déployer ce type de réseaux dans le secteur privé.

Dans la MRC de Maskinongé, en Mauricie, la fibre installée jusqu’ici permet de desservir environ 200 clients. C’est 1000 de moins que prévu à cette date. Avec une facture mensuelle moyenne de 100 $ par mois pour trois services (internet, télévision, téléphone), l’OBSL Maskicom considère avoir un manque à gagner de 100 000 $ par mois en ce moment.

La MRC d’Antoine-Labelle, dans les Laurentides, a pu construire de 20 à 30 % de son réseau jusqu’ici, soit seulement la moitié de ce qu’elle avait planifié à cette date. Des permis demandés en décembre 2018 sont encore en attente.

Le pire, c’est qu’Ottawa et Québec ont annoncé des dizaines de millions de dollars de subventions dans ces MRC, afin d’y brancher des milliers de foyers d’ici au 31 mars prochain. Mais avec les délais d’attente pour les permis, ce ne sera pas possible. Antoine-Labelle a déjà prévenu ses résidants que le projet prendrait un an de plus. Les autres n’osent plus promettre de date.

Conscient du problème, le ministre québécois de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a annoncé, en même temps que les plus récentes subventions du programme Régions branchées, une table de coordination réunissant les « propriétaires de parcs de poteaux » que sont Bell, Hydro, Telus et Télébec. C’était le 21 mai. La première rencontre avec une MRC a eu lieu à la mi-juillet, avec celle de Maskinongé. Celle-ci est ressortie encouragée de l’exercice, mais demande à voir (lisez : Un début de solution).

« Ingénierie de ralentissement »

Le confinement imposé en raison de la pandémie a rendu le problème encore plus criant.

« Quand on a promu, dans un contexte de crise sanitaire, la distanciation sociale, le télétravail, l’achat en ligne, suivre des cours à distance, socialiser avec les grands-parents, consulter votre médecin en télémédecine, on n’a jamais entendu dire : pour ceux qui n’ont pas l’internet à haute vitesse, vous allez devoir vous en passer. »

— Marc Carrière, directeur général de la MRC d’Argenteuil

Les MRC ne contestent pas les normes, mais la façon dont elles sont appliquées. En particulier le temps que les propriétaires de structures, surtout Bell, mettent à faire faire les travaux requis, retardant d’autant la délivrance des permis. C’est de « l’ingénierie de ralentissement » et de la concurrence déloyale, a dénoncé Maskicom dans un mémoire au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au printemps.

Ces MRC ne sont pas les seules à se plaindre.

La Fédération québécoise des municipalités et le Centre pour la défense de l’intérêt public, ainsi que plusieurs concurrents de Bell (Telus, Cogeco, Vidéotron et la Independent Telecom Providers Association) ont dénoncé les problèmes d’accès aux poteaux devant le CRTC.

« C’est certain que l’entreprise qui détient les poteaux a un avantage sur les autres qui veulent les utiliser », note le professeur Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité à HEC Montréal. « Et il s’avère qu’une de ces entreprises est un peu en conflit d’intérêts parce que son service est un service de télécoms. »

La multiplication des poteaux n’étant pas souhaitable, leurs propriétaires détiennent un monopole naturel, qui nécessite d’être réglementé, explique-t-il. « Force est de constater qu’il y a quelque chose qui ne marche pas, soit dans la législation, soit dans la manière dont elle est appliquée. »

M. Gagné, qui a une bonne connexion à son chalet, n’attend pas après la fibre optique, mais il s’est intéressé aux problèmes de sa MRC, Brome-Missisquoi. « Est-ce qu’on peut trouver pensable que des localités à 50 minutes de Montréal n’aient pas encore d’électricité ? », illustre-t-il. « On dirait : “Ben non, ça n’a aucun sens.” Comment se fait-il qu’on tolère ça pour les télécoms ? »

Une photo à 13 000 $

Les OSBL reprochent notamment à Bell de leur demander des travaux préparatoires à des endroits où l’entreprise passe ses propres fils sans les faire.

C’est ce qui arrivé à Rawdon l’été dernier. En roulant sur le chemin Kildare, la directrice générale de Connexion Matawinie, Caroline Cormier, a vu un camion de Bell au pied d’un poteau. Elle s’est garée et a sorti son cellulaire. « Je me suis dit que j’allais les prendre en photo, au cas où », raconte Mme Cormier.

Au début du mois de novembre, Bell a exigé 13 220 $ de travaux préparatoires à cet endroit. Connexion Matawinie a contesté en produisant la photo datée du 24 juillet. Bell a accepté de faire les travaux à ses frais.

« Ils m’ont créditée, mais je n’ai pas le droit de m’installer », soupire Mme Cormier

Bell avait prévu d’amorcer les travaux le 19 janvier dernier, pour une durée estimée de 151 jours, date « assujettie à la disponibilité du matériel », indique le formulaire que nous avons consulté. Lors de notre passage, le 15 juillet, soit 178 jours plus tard, Mme Cormier attendait toujours les travaux… et son permis pour ce poteau.

Pour réduire les délais, Fibre Argenteuil a proposé de faire comme Bell et d’autres télécommunicateurs dans des cas où le passage du câble ne pose aucun risque : faire l’installation d’abord, et les travaux de mise aux normes ensuite. Une piste que plusieurs régions appuient ouvertement.

« Si Bell s’autodéroge, pourquoi ne pas nous donner une dérogation et nous permettre de déployer rapidement ? »

— Denis Huberdeau, directeur général de Fibre Argenteuil

Sauf que la principale intéressée nie avoir de telles pratiques.

« Bell ne s’accorde pas de dérogation qu’elle n’accorderait pas à un autre usager de poteaux, ça, c’est 100 % certain », affirme Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada.

Que penser alors des cas où Bell a passé ses propres fils sans faire les travaux qu’elle exigeait d’un demandeur de permis – la situation que La Presse a constatée en Matawinie et que plusieurs MRC rapportent avoir vécue ?

« Effectivement, il peut y avoir des erreurs », reconnaît M. Gosselin en évoquant « plus de 40 000 km de câbles » déployés par Bell depuis 2009.

Dans les cas qui ont été signalés à l’entreprise, « on a regardé ce qui aurait pu se passer de notre côté, pour prendre les démarches nécessaires pour assurer que les gens impliqués ne reproduisent plus ces erreurs-là », dit M. Gosselin.

« Ils en font beaucoup, d’erreurs, ironise la directrice générale de Connexion Matawinie, Caroline Cormier. Si j’avais des employés comme ça, je serais mal prise. »

Un début de solution

Bell, comme Hydro-Québec, mise beaucoup sur la table de coordination annoncée à la fin du mois de mai par le ministre québécois de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, pour réunir les « propriétaires de parcs de poteaux » que sont Bell, Hydro, Telus et Télébec.

« Est-ce que les gens ont utilisé des retards dans les permis pour faire obstacle au niveau concurrentiel ? Peut-être, on n’est pas dans la tête des gens », a déclaré le ministre de l’Économie en entrevue avec La Presse. « Je suis peut-être naïf, mais je pense qu’aujourd’hui, Bell a la même pression que tout le monde et les autres, Telus, aussi. Alors je pense que les gens veulent corriger ça, peu importent les raisons historiques », a fait valoir M. Fitzgibbon.

Les demandes adressées à Hydro-Québec étant traitées par le système commun géré par Bell, Hydro est particulièrement interpellée. Les MRC disent avoir souvent une meilleure collaboration avec la société d’État, mais se plaignent que des solutions jugées sécuritaires par ses ingénieurs soient refusées par Bell. « Ça ne se peut pas qu’une société d’État comme Hydro-Québec se fasse dire non », s’indigne le préfet de la MRC de Maskinongé, Robert Lalonde.

Hydro assure faire « un maximum » pour être accommodante. « On est un tiers neutre là-dedans et on ne veut surtout pas sentir que c’est Hydro-Québec qui ralentit le déploiement », indique Philippe-Étienne Langdeau, directeur, Usage en commun et Support opérationnel chez Hydro-Québec Distribution. « Il y a plusieurs demandes de dérogation qu’on a approuvées et je veux en faire plus », ajoute M. Langdeau.

« Chaque nouvelle dérogation possible aura des effets positifs, non seulement sur les projets de ces titulaires, mais également sur les nôtres. On est tout à fait favorables à ça. »

— Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada

Regain d’espoir

Jusqu’à la mi-juillet, aucune des MRC interrogées par La Presse n’avait vu de résultat. Mais le 15 juillet, Maskinongé est sortie encouragée de sa première rencontre avec la table de coordination. « On a constaté une orientation vraiment importante pour nous aider à régler les embûches », a témoigné le directeur de projet de Maskicom, Normand Richard, le lendemain de la réunion.

Des permis en suspens ne seraient plus retardés par des travaux mineurs, ce qui permettrait de brancher des centaines de clients. « On est contents pourvu que tout ce qui s’est dit à la table pendant une heure ne soit pas juste une parade de vœux pieux », signale le préfet de la MRC. « Moi, ça me prend un écrit : les paroles s’envolent, les écrits restent », dit Robert Lalonde.

Ce sera à suivre, d’autant qu’au fédéral, le CRTC a ouvert une consultation sur les obstacles à l’utilisation des « structures de soutien », qui se poursuit jusqu’à la fin octobre. Le Conseil prévoit par ailleurs de verser jusqu’à 750 millions de dollars de subventions supplémentaires au cours des cinq prochaines années pour amener l’internet à haute vitesse dans les régions mal desservies du Canada. Ne vaudrait-il pas mieux régler les problèmes d’accès aux poteaux avant ? L’organisme de réglementation n’a pas voulu nous accorder d’entrevue à cause de la consultation en cours. « Jusqu’ici, le CRTC n’a pas retardé l’évaluation des projets, ni les annonces de financement prévues, sur la base des enjeux considérés dans l’avis de consultation », a indiqué le Conseil par courriel.

fitzgibbon ne croit pas au modèle des osbl

À Rawdon, Jean-Luc Fauvel ne demande qu’à devenir client de Cooptel, qui utilisera la fibre de Connexion Matawinie. Même si Bell, dont les camions ont été vus dans le secteur, lui offrait le service plus tôt. « Je prendrais un contrat d’un an, pas plus. Une coop, c’est sûr que je veux encourager ça », dit M. Fauvel.

C’est dans cet esprit que des MRC ont créé des OSBL pour installer leur propre fibre optique dans les zones mal servies. « La profitabilité de ce projet, ce n’est pas le rendement aux actionnaires, c’est de donner l’internet à tout le monde », souligne le préfet de la MRC de la Matawinie, Sylvain Breton.

Le ministre de l’Économie ne partage en rien cet enthousiasme.

« Je peux vous dire qu’il n’y aura plus aucune société OBNL qui va être créée pour offrir les services de télécoms. Je ne crois pas à ce modèle-là », a déclaré Pierre Fitzgibbon à La Presse.

« Pour moi, c’est une erreur », a-t-il indiqué en reconnaissant le caractère très « contrarien » (à contre-courant) de son commentaire.

« Je vais soutenir les OBNL existantes, on n’a pas le choix parce qu’il faut couvrir le Québec, c’est ma mission. Mais vous allez voir dans 10 ans, la technologie avance tellement rapidement que les petites opérations OBNL ne peuvent pas suivre l’évolution technologique à un coût qui va être approprié. »

— Pierre Fitzgibbon, ministre québécois de l’Économie

La CAQ a promis en campagne électorale que tout le Québec serait branché en 2022. Pour couvrir les foyers et entreprises qui ne sont pas prévus dans les programmes actuels, « je pense qu’il faut absolument travailler avec les télécommunicateurs », dit Pierre Fitzgibbon, qui a travaillé dans le domaine chez Télésystème Mobiles International.

La majorité des subventions qu’il a annoncées dans le cadre du programme Régions branchées en mai dernier ont d’ailleurs été accordées à des fournisseurs privés, comme Bell, Telus, Vidéotron, Cogeco ou Sogetel.

Les « trous » qui restent dans la couverture seront comblés « au cas par cas », en négociant avec les fournisseurs établis dans les régions concernées. « On va dire aux telcos : “Vous avez couvert 80 % de la région, il vous manque 20 %. Qu’est-ce qu’il vous faut pour couvrir les 20 %, combien ça coûte ?” », illustre M. Fitzgibbon.

La guerre des poteaux

Des citoyens privés de connexion internet haute vitesse, même à moins de 100 km de Montréal ? C’est encore le cas dans plusieurs localités, qui ont décidé de dérouler des kilomètres de fibre optique pour enfin brancher leurs résidants. Mais aussi techno soit-elle, celle-ci doit prendre appui sur une structure d’un autre siècle : le bon vieux poteau de bois. Or, les propriétaires de ces poteaux, en particulier Bell Canada, mettent beaucoup de temps à accorder les permis exigés. Un dossier d’Ariane Krol

Des MRC se mobilisent

Dominique Jutras et Jean-Luc Fauvel connaissent les limites de la coupole installée sur leur maison de Rawdon, dans Lanaudière. Sensible aux caprices de la météo, elle les prive de l’internet ou rend le service intermittent une vingtaine de fois par an. Et la vitesse est limitée. Mme Jutras, qui est designer graphique, réussit à s’organiser pour travailler de la maison. Mais quand son conjoint, professeur de cégep en techniques de design industriel, s’est retrouvé en télétravail forcé avec le confinement, il s’est heurté à un mur.

Donner un cours sur Zoom en partageant les images animées de son écran ? « J’ai essayé une ou deux fois, c’était impossible ! » M. Fauvel a donc dû donner ses cours à distance… en personne au cégep. Et les réunions de département en vidéoconférence n’avaient de vidéo que le nom. « Je fermais ma caméra et je demandais aux gens de fermer la leur », raconte-t-il. Il leur a envoyé une photo de la vieille série télé Les arpents verts, où le personnage d’Oliver est grimpé dans un poteau pour téléphoner.

Non loin de là, à Saint-Félix-de-Valois, le plus important employeur de la MRC n’en mène pas beaucoup plus large. L’aire d’accueil de Plastiques GPR a beau avoir des allures de hall d’hôtel contemporain, l’entreprise de moulage par injection n’a toujours pas accès à l’internet à haute vitesse.

« Je ne peux pas me permettre toutes les technologies que je souhaiterais au niveau de la production. »

— Dany Belleville, copropriétaire de Plastiques GPR

Se connecter directement à des fournisseurs pour des diagnostics et de la formation est exclu. GPR, qui emploie 200 personnes, doit même payer deux services internet pour éviter d’être trop souvent paralysée par les pannes. Il y a quand même des pannes, pendant lesquelles les commandes ne rentrent pas. « Ça rentre sur mon cellulaire, alors je m’en vais près d’une imprimante Bluetooth et j’imprime de là. À la limite, ça irait mieux avec un fax », commente Mme Belleville.

La maison des Jutras-Fauvel et l’usine de Plastiques GPR sont à moins de 100 kilomètres de Montréal, dans la MRC de la Matawinie. Des zones comme celles-là ont longtemps été privées de l’internet à haute vitesse pour des motifs financiers, les fournisseurs de télécoms trouvant le bassin de clientèle trop petit pour justifier l’investissement. Mais ici, comme dans plusieurs MRC, l’obstacle économique a disparu. Les 15 municipalités de la Matawinie ont décidé de financer leur propre réseau de fibre optique. Plus de 2700 km de fibre seront déroulés afin d’amener la large bande à plus de 42 000 résidences et commerces. Un organisme sans but lucratif (OSBL), Connexion Matawinie, a été créé pour déployer ce réseau, une firme d’ingénierie et un entrepreneur ont été mandatés, et un premier fournisseur d’accès, Cooptel, a été choisi pour offrir le service aux abonnés.

Le problème est dans le poteau

Connexion Matawinie avait prévu qu’à la mi-juillet, sa fibre desservirait 10 000 adresses. Elle a pu en rejoindre à peine 300 jusqu’ici.

« Bell retarde [la délivrance] des permis à cause de ses processus internes interminables », déplore le préfet de la MRC et président du conseil d’administration de Connexion Matawinie, Sylvain Breton.

Aussi techno soit-elle, la fibre optique doit prendre appui sur une structure d’un autre siècle : le bon vieux poteau de bois. Le territoire québécois en compte quelque 2,7 millions, dont plus de la moitié (environ 61 %) appartiennent à Hydro-Québec et le quart (environ 25 %) à Bell Canada. D’autres organisations, notamment Telus et Télébec, en possèdent aussi.

Pour utiliser un poteau, et les structures qui s’y trouvent, il faut un permis. La Matawinie compte plus de 55 000 poteaux. Pour les premières demandes faites il y a plus d’un an, en avril 2019, elle a reçu à peine plus du quart de ses permis.

« On travaille sur des structures de bois qui ne sont pas que de simples morceaux de bois », fait valoir Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada.

« Bell doit s’assurer de la sécurité des réseaux qui sont déjà sur ces poteaux, en s’assurant que tous les travaux qui y sont faits sont faits ou toutes les charges qui vont y être ajoutées sont dans le respect des normes et de l’encadrement réglementaire. »

— Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada

Avant d’ajouter un câble sur un poteau, il faut vérifier s’il a la capacité de l’accueillir (qu’il n’est pas brisé, pourri, miné par les pics ou les insectes, qu’il a l’espace nécessaire, qu’il est solidement ancré, etc.) et, à défaut, effectuer des travaux préparatoires requis.

La Matawinie n’est pas un cas unique. Plusieurs MRC qui ont créé des OSBL pour déployer leur propre fibre optique dénoncent la lourdeur et la lenteur du système.

La MRC d’Argenteuil, dans les Laurentides, avait prévu d’avoir branché 300 clients le mois dernier. Elle en a actuellement… 4. Faute des permis requis, elle a dû réaliser son projet pilote avec la fibre optique du réseau municipal. Son OSBL, Fibre Argenteuil, est pourtant fin prête. Son centre de données de Lachute est ouvert et 340 km de fibre optique sont déjà achetés. Si elle avait tous ses permis pour la poser à l’automne, il lui faudrait seulement de huit à dix semaines pour le faire, estime son directeur général, Denis Huberdeau. « C’est sûr qu’à Noël, tout le monde serait branché ! », s’exclame M. Huberdeau, qui a travaillé comme chargé de projet pour déployer ce type de réseaux dans le secteur privé.

Dans la MRC de Maskinongé, en Mauricie, la fibre installée jusqu’ici permet de desservir environ 200 clients. C’est 1000 de moins que prévu à cette date. Avec une facture mensuelle moyenne de 100 $ par mois pour trois services (internet, télévision, téléphone), l’OBSL Maskicom considère avoir un manque à gagner de 100 000 $ par mois en ce moment.

La MRC d’Antoine-Labelle, dans les Laurentides, a pu construire de 20 à 30 % de son réseau jusqu’ici, soit seulement la moitié de ce qu’elle avait planifié à cette date. Des permis demandés en décembre 2018 sont encore en attente.

Le pire, c’est qu’Ottawa et Québec ont annoncé des dizaines de millions de dollars de subventions dans ces MRC, afin d’y brancher des milliers de foyers d’ici au 31 mars prochain. Mais avec les délais d’attente pour les permis, ce ne sera pas possible. Antoine-Labelle a déjà prévenu ses résidants que le projet prendrait un an de plus. Les autres n’osent plus promettre de date.

Conscient du problème, le ministre québécois de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a annoncé, en même temps que les plus récentes subventions du programme Régions branchées, une table de coordination réunissant les « propriétaires de parcs de poteaux » que sont Bell, Hydro, Telus et Télébec. C’était le 21 mai. La première rencontre avec une MRC a eu lieu à la mi-juillet, avec celle de Maskinongé. Celle-ci est ressortie encouragée de l’exercice, mais demande à voir (lisez : Un début de solution).

« Ingénierie de ralentissement »

Le confinement imposé en raison de la pandémie a rendu le problème encore plus criant.

« Quand on a promu, dans un contexte de crise sanitaire, la distanciation sociale, le télétravail, l’achat en ligne, suivre des cours à distance, socialiser avec les grands-parents, consulter votre médecin en télémédecine, on n’a jamais entendu dire : pour ceux qui n’ont pas l’internet à haute vitesse, vous allez devoir vous en passer. »

— Marc Carrière, directeur général de la MRC d’Argenteuil

Les MRC ne contestent pas les normes, mais la façon dont elles sont appliquées. En particulier le temps que les propriétaires de structures, surtout Bell, mettent à faire faire les travaux requis, retardant d’autant la délivrance des permis. C’est de « l’ingénierie de ralentissement » et de la concurrence déloyale, a dénoncé Maskicom dans un mémoire au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au printemps.

Ces MRC ne sont pas les seules à se plaindre.

La Fédération québécoise des municipalités et le Centre pour la défense de l’intérêt public, ainsi que plusieurs concurrents de Bell (Telus, Cogeco, Vidéotron et la Independent Telecom Providers Association) ont dénoncé les problèmes d’accès aux poteaux devant le CRTC.

« C’est certain que l’entreprise qui détient les poteaux a un avantage sur les autres qui veulent les utiliser », note le professeur Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité à HEC Montréal. « Et il s’avère qu’une de ces entreprises est un peu en conflit d’intérêts parce que son service est un service de télécoms. »

La multiplication des poteaux n’étant pas souhaitable, leurs propriétaires détiennent un monopole naturel, qui nécessite d’être réglementé, explique-t-il. « Force est de constater qu’il y a quelque chose qui ne marche pas, soit dans la législation, soit dans la manière dont elle est appliquée. »

M. Gagné, qui a une bonne connexion à son chalet, n’attend pas après la fibre optique, mais il s’est intéressé aux problèmes de sa MRC, Brome-Missisquoi. « Est-ce qu’on peut trouver pensable que des localités à 50 minutes de Montréal n’aient pas encore d’électricité ? », illustre-t-il. « On dirait : “Ben non, ça n’a aucun sens.” Comment se fait-il qu’on tolère ça pour les télécoms ? »

Une photo à 13 000 $

Les OSBL reprochent notamment à Bell de leur demander des travaux préparatoires à des endroits où l’entreprise passe ses propres fils sans les faire.

C’est ce qui arrivé à Rawdon l’été dernier. En roulant sur le chemin Kildare, la directrice générale de Connexion Matawinie, Caroline Cormier, a vu un camion de Bell au pied d’un poteau. Elle s’est garée et a sorti son cellulaire. « Je me suis dit que j’allais les prendre en photo, au cas où », raconte Mme Cormier.

Au début du mois de novembre, Bell a exigé 13 220 $ de travaux préparatoires à cet endroit. Connexion Matawinie a contesté en produisant la photo datée du 24 juillet. Bell a accepté de faire les travaux à ses frais.

« Ils m’ont créditée, mais je n’ai pas le droit de m’installer », soupire Mme Cormier

Bell avait prévu d’amorcer les travaux le 19 janvier dernier, pour une durée estimée de 151 jours, date « assujettie à la disponibilité du matériel », indique le formulaire que nous avons consulté. Lors de notre passage, le 15 juillet, soit 178 jours plus tard, Mme Cormier attendait toujours les travaux… et son permis pour ce poteau.

Pour réduire les délais, Fibre Argenteuil a proposé de faire comme Bell et d’autres télécommunicateurs dans des cas où le passage du câble ne pose aucun risque : faire l’installation d’abord, et les travaux de mise aux normes ensuite. Une piste que plusieurs régions appuient ouvertement.

« Si Bell s’autodéroge, pourquoi ne pas nous donner une dérogation et nous permettre de déployer rapidement ? »

— Denis Huberdeau, directeur général de Fibre Argenteuil

Sauf que la principale intéressée nie avoir de telles pratiques.

« Bell ne s’accorde pas de dérogation qu’elle n’accorderait pas à un autre usager de poteaux, ça, c’est 100 % certain », affirme Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada.

Que penser alors des cas où Bell a passé ses propres fils sans faire les travaux qu’elle exigeait d’un demandeur de permis – la situation que La Presse a constatée en Matawinie et que plusieurs MRC rapportent avoir vécue ?

« Effectivement, il peut y avoir des erreurs », reconnaît M. Gosselin en évoquant « plus de 40 000 km de câbles » déployés par Bell depuis 2009.

Dans les cas qui ont été signalés à l’entreprise, « on a regardé ce qui aurait pu se passer de notre côté, pour prendre les démarches nécessaires pour assurer que les gens impliqués ne reproduisent plus ces erreurs-là », dit M. Gosselin.

« Ils en font beaucoup, d’erreurs, ironise la directrice générale de Connexion Matawinie, Caroline Cormier. Si j’avais des employés comme ça, je serais mal prise. »

Un début de solution

Bell, comme Hydro-Québec, mise beaucoup sur la table de coordination annoncée à la fin du mois de mai par le ministre québécois de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, pour réunir les « propriétaires de parcs de poteaux » que sont Bell, Hydro, Telus et Télébec.

« Est-ce que les gens ont utilisé des retards dans les permis pour faire obstacle au niveau concurrentiel ? Peut-être, on n’est pas dans la tête des gens », a déclaré le ministre de l’Économie en entrevue avec La Presse. « Je suis peut-être naïf, mais je pense qu’aujourd’hui, Bell a la même pression que tout le monde et les autres, Telus, aussi. Alors je pense que les gens veulent corriger ça, peu importent les raisons historiques », a fait valoir M. Fitzgibbon.

Les demandes adressées à Hydro-Québec étant traitées par le système commun géré par Bell, Hydro est particulièrement interpellée. Les MRC disent avoir souvent une meilleure collaboration avec la société d’État, mais se plaignent que des solutions jugées sécuritaires par ses ingénieurs soient refusées par Bell. « Ça ne se peut pas qu’une société d’État comme Hydro-Québec se fasse dire non », s’indigne le préfet de la MRC de Maskinongé, Robert Lalonde.

Hydro assure faire « un maximum » pour être accommodante. « On est un tiers neutre là-dedans et on ne veut surtout pas sentir que c’est Hydro-Québec qui ralentit le déploiement », indique Philippe-Étienne Langdeau, directeur, Usage en commun et Support opérationnel chez Hydro-Québec Distribution. « Il y a plusieurs demandes de dérogation qu’on a approuvées et je veux en faire plus », ajoute M. Langdeau.

« Chaque nouvelle dérogation possible aura des effets positifs, non seulement sur les projets de ces titulaires, mais également sur les nôtres. On est tout à fait favorables à ça. »

— Charles Gosselin, directeur, réseau et relations avec le milieu de Bell Canada

Regain d’espoir

Jusqu’à la mi-juillet, aucune des MRC interrogées par La Presse n’avait vu de résultat. Mais le 15 juillet, Maskinongé est sortie encouragée de sa première rencontre avec la table de coordination. « On a constaté une orientation vraiment importante pour nous aider à régler les embûches », a témoigné le directeur de projet de Maskicom, Normand Richard, le lendemain de la réunion.

Des permis en suspens ne seraient plus retardés par des travaux mineurs, ce qui permettrait de brancher des centaines de clients. « On est contents pourvu que tout ce qui s’est dit à la table pendant une heure ne soit pas juste une parade de vœux pieux », signale le préfet de la MRC. « Moi, ça me prend un écrit : les paroles s’envolent, les écrits restent », dit Robert Lalonde.

Ce sera à suivre, d’autant qu’au fédéral, le CRTC a ouvert une consultation sur les obstacles à l’utilisation des « structures de soutien », qui se poursuit jusqu’à la fin octobre. Le Conseil prévoit par ailleurs de verser jusqu’à 750 millions de dollars de subventions supplémentaires au cours des cinq prochaines années pour amener l’internet à haute vitesse dans les régions mal desservies du Canada. Ne vaudrait-il pas mieux régler les problèmes d’accès aux poteaux avant ? L’organisme de réglementation n’a pas voulu nous accorder d’entrevue à cause de la consultation en cours. « Jusqu’ici, le CRTC n’a pas retardé l’évaluation des projets, ni les annonces de financement prévues, sur la base des enjeux considérés dans l’avis de consultation », a indiqué le Conseil par courriel.

fitzgibbon ne croit pas au modèle des osbl

À Rawdon, Jean-Luc Fauvel ne demande qu’à devenir client de Cooptel, qui utilisera la fibre de Connexion Matawinie. Même si Bell, dont les camions ont été vus dans le secteur, lui offrait le service plus tôt. « Je prendrais un contrat d’un an, pas plus. Une coop, c’est sûr que je veux encourager ça », dit M. Fauvel.

C’est dans cet esprit que des MRC ont créé des OSBL pour installer leur propre fibre optique dans les zones mal servies. « La profitabilité de ce projet, ce n’est pas le rendement aux actionnaires, c’est de donner l’internet à tout le monde », souligne le préfet de la MRC de la Matawinie, Sylvain Breton.

Le ministre de l’Économie ne partage en rien cet enthousiasme.

« Je peux vous dire qu’il n’y aura plus aucune société OBNL qui va être créée pour offrir les services de télécoms. Je ne crois pas à ce modèle-là », a déclaré Pierre Fitzgibbon à La Presse.

« Pour moi, c’est une erreur », a-t-il indiqué en reconnaissant le caractère très « contrarien » (à contre-courant) de son commentaire.

« Je vais soutenir les OBNL existantes, on n’a pas le choix parce qu’il faut couvrir le Québec, c’est ma mission. Mais vous allez voir dans 10 ans, la technologie avance tellement rapidement que les petites opérations OBNL ne peuvent pas suivre l’évolution technologique à un coût qui va être approprié. »

— Pierre Fitzgibbon, ministre québécois de l’Économie

La CAQ a promis en campagne électorale que tout le Québec serait branché en 2022. Pour couvrir les foyers et entreprises qui ne sont pas prévus dans les programmes actuels, « je pense qu’il faut absolument travailler avec les télécommunicateurs », dit Pierre Fitzgibbon, qui a travaillé dans le domaine chez Télésystème Mobiles International.

La majorité des subventions qu’il a annoncées dans le cadre du programme Régions branchées en mai dernier ont d’ailleurs été accordées à des fournisseurs privés, comme Bell, Telus, Vidéotron, Cogeco ou Sogetel.

Les « trous » qui restent dans la couverture seront comblés « au cas par cas », en négociant avec les fournisseurs établis dans les régions concernées. « On va dire aux telcos : “Vous avez couvert 80 % de la région, il vous manque 20 %. Qu’est-ce qu’il vous faut pour couvrir les 20 %, combien ça coûte ?” », illustre M. Fitzgibbon.

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