Chronique

Le Noël des absents

Avec le temps, Noël, c’est toujours un peu, c’est toujours beaucoup, le Noël des absents. Le Noël de ceux qui nous ont quittés. Leur souvenir nous revient au cœur, plus ardent que jamais, comme le feu dans la cheminée. De janvier à décembre, on a les pensées occupées. Mais de Noël au jour de l’An, on a le temps de ressentir tout ce que le temps nous prend. Nous enlève. Comme on arrache un bout de peau. En laissant une marque, à jamais.

Le 24, c’est certain, je vais m’ennuyer de maman. Encore plus que maintenant. Parce que Noël, c’est elle. Elle qui inventait la fête. Elle qui allait chez Eaton acheter les cadeaux. Elle qui les emballait, sur la table de la salle à manger, pendant qu’on faisait dodo. Elle qui nous aidait à faire le sapin. Elle qui préparait le réveillon. Elle qui me tenait la main, en marchant dans la nuit, vers l’église. Elle qui y croyait tellement, assise sur son banc, qu’on y croyait aussi. À l’étoile, à l’enfant, à l’amour.

Le 24, bien sûr, je vais m’ennuyer de papa, aussi. De sa présence silencieuse. Sa façon de fêter, c’était de nous regarder fêter. Il ramassait les emballages aussitôt déchirés, les aiguilles du sapin aussitôt tombées, les plats aussitôt dévorés. Mon père, c’était le responsable. Le surveillant. Le veilleur de nuit. C’est quand les gardiens s’en vont qu’on mesure la chance qu’on avait d’être gardés. D’être précieux à leurs yeux. Mon père, c’était le Joseph de la crèche. Même si ce n’était pas vraiment grâce à lui, ce qui était en train de se passer, il était là pour aider. Sa place était à côté. C’est important, les gens à côté, pour ne pas sentir le vide nous entourer.

Le 31, ce sont mes tantes qui vont me manquer ; Laure et Marie-Laure. C’est chez elles qu’on allait toujours défoncer l’année. Dans leur appartement tout blanc. Dans leur studio d’artistes. Elles avaient le don de rendre cette soirée si spéciale que la fête terminée, on avait juste hâte que l’année passe très vite, pour recommencer. Et c’est ce qui arrivait, les années passaient très vite. Jusqu’à passer trop vite pour qu’on puisse les retrouver. Fermez les yeux, pensez à votre enfance, ce sont les lumières de Noël qui vont s’allumer. Ce sont les vivants du passé qui vont s’animer.

Le Noël 2020 sera plus que jamais le Noël des absents. Ceux qui sont d’un autre temps. Et ceux qui sont juste à côté, mais qu’on ne pourra pas serrer dans nos bras. Parce que la pandémie. Parce qu’on les aime en vie. Eux et ceux que les autres aiment, aussi.

Il y a trop de gens pour qui le temps des Fêtes sera le temps du deuil pour ne pas respecter les règles édictées.

Oui, il y aura plus d’absents que de présents dans nos veillées. Pour certains, il n’y aura même personne. C’est beaucoup d’absents, ça, personne. C’est triste. Très triste. Assumons-le. Nous aurons un joyeux Noël triste. C’est correct. Après tout, la tristesse à Noël, c’est comme la neige, c’est beau. Pas besoin de déprimer pour cette tristesse-là, au contraire. C’est une tristesse remplie d’amour. L’amour des autres. Il y en a, de la peine, dans les chansons de Noël. C’est pour ça qu’elles sont belles. White Christmas, L’enfant au tambour, Sainte nuit Des airs tristement jolis.

Comme vous tous, je ne pourrai être avec des membres de ma famille, je ne pourrai être avec de tendres amis et amies. On va s’ennuyer. L’ennui a ce pouvoir rare : celui de faire réaliser la valeur du monde dans nos vies. Cette année, rien ni personne ne nous sera acquis. On oublie trop souvent que le plus beau cadeau, c’est le lien qui nous unit.

On a vécu trop de Noëls en pensant que l’important, c’est ce qu’il y avait dans la boîte, alors que l’essentiel, ce sont les mains qui nous la tendent.

Normalement, à Noël, les absents qui nous mettent les larmes aux yeux, ce sont ceux qu’on ne reverra plus. Cette année, il y aura aussi ceux qu’on ne peut pas voir. Mais ce qu’il y a de bien, avec ceux-là, c’est qu’on les reverra. C’est même pour ça qu’on ne les verra pas, pour être certains de les revoir. Un jour. Bientôt.

Il n’y aura pas de bon vieux Noël, en 2020, mais il y en aura plein, en 2021. Toutes les fois que l’on pourra retourner chez des parents, retourner chez des amis, toutes les fois qu’ils viendront chez nous, qu’on ira au restaurant, il y aura des grelots dans nos voix et des brillants sur nos visages. Mais pour ça, ça prend le vaccin, mais pour ça, ça prend du bon sens. Je vous souhaite le plus douillet des confinements, dans votre bulle de précieux présents et d’inoubliables absents.

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