Chronique

Comment les autres se font bio

En Autriche, 21,2 % des terres agricoles utiles sont consacrées au bio.

En Suède, c’est plus de 17 %.

Au Canada ? 1,4 %. Et aux États-Unis, 0,6 %.

Comment expliquer de telles différences et, surtout, comment augmenter, ici, les superficies consacrées à l’agriculture naturelle, respectueuse de l’environnement ?

Pour savoir ce que font les autres pays et comparer le tout à ce qui se pratique ici, l’Union des producteurs agricoles (UPA) a demandé une étude compilant les mesures gouvernementales probio de plusieurs pays.

Intitulé Analyse comparative des mesures de soutien à l’agriculture biologique du Québec avec celles d’autres juridictions, le document a été publié lundi et se penche notamment sur ce qui se fait dans certains États américains, dont le Minnesota et la Californie, et en Europe, notamment en France, en Allemagne, au Danemark et en Suisse.

On y apprend qu’il y a une certaine différence générale dans les approches nord-américaines et européennes : ici, on cherche plutôt à aider les investissements pour la conversion des fermes traditionnelles vers le biologique.

En Europe, on aide la conversion, mais aussi la conservation. Donc, on appuie les producteurs biologiques le long de leur parcours, pour qu’ils le demeurent.

Si on penche la loupe sur ce qui se fait à chaque endroit, on découvre toutes sortes de différences.

Par exemple, malgré la très faible part de leurs cultures consacrée au bio, les États-Unis paient depuis 2002 une partie des coûts de certification biologique. Ce que le Canada ne fait pas.

Au Danemark ? La certification est effectuée par le gouvernement et est gratuite !

Mais nos légumes ne sont pas en concurrence avec ceux du Danemark. Par contre, ils le sont avec ceux de la Californie, où un programme gouvernemental paie les trois quarts du fameux coût, élevé, de la certification bio.

Et on le constate à chaque visite à l’épicerie sur les étalages bio.

Les produits californiens occupent une place importante. Et leurs prix – notamment pour les fruits et légumes – sont très concurrentiels avec les produits d’ici, même « conventionnels », même durant la belle saison.

Du côté des produits bio importés d’Europe – je pense ici aux fromages, aux confitures, aux pâtes… –, on voit aussi que leurs prix se comparent de plus en plus avec les prix du « pas bio » dans des créneaux de qualités équivalentes. Avant, les importations étaient nettement plus chères, et le bio était nettement plus cher.

On ne peut plus généraliser ainsi.

Donc, doit-on analyser à la loupe ce que font les pays européens pour aider les produits laitiers bio, les législateurs américains pour aider les maraîchers californiens ? Oui. Sûrement.

Parce qu’il en est ainsi avec le commerce international.

Même si les traités internationaux gèrent rigoureusement les aides gouvernementales acceptées, histoire de permettre un réel jeu de la concurrence, il y a toujours des réalités sur le terrain qui créent un peu de distorsions sur les marchés. C’est ça qu’il faut cibler.

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Donc, on veut que nos producteurs bio puissent être en réelle concurrence avec ceux des autres pays en étant capables de produire à des coûts comparables, tout en gardant une profitabilité adéquate.

Et on veut aussi s’inspirer des bonnes pratiques des États qui ont du succès.

Saviez-vous que le Danemark finance ses programmes gouvernementaux pour aider l’agriculture biologique avec une taxe sur les pesticides ? Et que dire des politiques d’achats gouvernementaux ? Ici, le ministre de l’Agriculture se targue de pousser sur une politique d’achat local pour toutes les cafétérias gouvernementales. Là-bas, on ne parle plus d’achat local, mais d’achat bio. À Copenhague – ce sont des juridictions de compétence municipale –, des hôpitaux aux garderies, en passant par l’équivalent de nos CHSLD et toutes les cantines des fonctionnaires, partout on sert du bio.

Imaginez ce que diraient nos producteurs si on annonçait une politique d’achat bio pour les écoles publiques, les cafétérias des ministères ? Ça, ça aide un secteur agricole à changer de cap.

J’aimerais d’ailleurs en savoir même plus que ce que dit le document de l’UPA.

Par exemple, qu’a fait l’Autriche pour qu’un cinquième de ses surfaces agricoles utiles soit en biologique ? Et la Suède et l’Estonie avec leur 17 % ?

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Cela dit, il n’y a pas que cela que je veux savoir.

Je ne veux pas uniquement connaître les trucs et trouvailles des uns et des autres pour que les producteurs bio puissent se faire une meilleure concurrence entre eux au marché et à l’épicerie.

Ce que j’aimerais aussi savoir, c’est si le gouvernement comprend que choisir le biologique, ce n’est pas uniquement une façon d’aider un secteur commercial à devenir plus profitable.

C’est inscrire de telles aides dans un projet de société bien plus vaste.

C’est une agricultrice, Maude-Hélène Desroches, de la ferme de la Grelinette, biologique depuis toujours, qui m’a lancé cette idée quand je l’ai appelée pour réfléchir à ces questions à voix haute.

« On a toutes sortes d’aides du gouvernement et c’est super », m’a-t-elle dit.

« Il est temps de regarder ça de façon plus vaste. » Regarder non pas ce qu’on fait ou on ne fait pas pour aider le bio. Mais plutôt passer en revue tout ce qu’on fait pour encourager l’agriculture industrielle traditionnelle telle qu’elle s’est imposée depuis les années 1950.

Donc bref, j’aimerais un nouveau rapport. Une étude approfondie de tout ce que nous faisons pour aider l’industrie. J’aimerais savoir comment, par l’entremise de programmes gouvernementaux, de réglementations, de structures organisationnelles, on aide ou n’aide pas le modèle industriel.

Ça aussi, je pense que ça nous aiderait à mieux comprendre comment remettre le Québec sur la bonne piste de pratiques agricoles qui permettent non seulement à nos agriculteurs de bien vivre et de fournir les marchés avec des produits attendus par les consommateurs à des prix respectueux de tous, mais aussi de mieux occuper notre territoire et de le préserver, sain et propre.

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