guy biéler

Un espion québécois contre les nazis

Un espion québécois, Guy Biéler, a été parachuté en 1943 en France, où il a été agent de liaison avec les Britanniques et coordonnateur de la résistance au nord de Paris jusqu’en janvier 1944. Capturé par les nazis, il a ensuite été torturé jusqu’à sa mort en septembre 1944. L’ombudsman de Radio-Canada, Guy Gendron, vient de publier une biographie qui rend hommage à Guy Biéler, Le meilleur des hommes.

Comment vous êtes-vous intéressé à Guy Biéler ?

En 1994, j’interviewais l’ex-agent secret Vera Atkins, au sujet du 50e anniversaire du débarquement de Normandie. Elle m’a parlé de lui et m’a dit que je devais raconter son histoire. J’ai rencontré ses enfants, Jacqueline et Jean-Louis, et j’ai fait une première version du livre. Par la suite, j’ai amassé des livres sur l’espionnage qui font une rangée complète de ma bibliothèque. Et pendant mes vacances, j’ai visité le camp où il est décédé en Allemagne, les bunkers du renseignement militaire à Londres, la région de Saint-Quentin où il était espion en France, les archives départementales. J’ai rencontré des gens qui l’ont connu, l’épouse de Gabriel Chartrand, le frère de Michel, qui avait lui aussi été espion. Au Musée de la guerre à Ottawa, il y avait un peu de renseignements, mais très peu. Par définition, un espion laisse peu de traces.

Comment Guy Biéler est-il arrivé au Canada ?

Il est né en France de parents suisses. Son père était pasteur huguenot et avait été envoyé en France, dans les Charentes. Très rapidement, il est retourné en Suisse, qu’il a quittée à 20 ans pour venir travailler à Montréal comme enseignant, dans la seule école secondaire protestante francophone de Montréal. Quand il s’est marié, il est passé à la Sun Life. Il a renoncé à la citoyenneté suisse et est devenu canadien.

Dans le livre, vous imaginez une soirée où il défend le point de vue du non-interventionnisme, au lendemain de laquelle il s’engage dans l’armée pour aller combattre Hitler.

Il s’aventurait souvent à défendre des positions qui n’étaient pas les siennes afin de démontrer leurs failles par l’absurde. Il avait une hauteur intellectuelle à l’européenne, des valeurs religieuses et morales très ancrées, même s’il était considéré à gauche au Québec, parce que la religion catholique voyait parfois d’un bon œil ce qui se passait en Italie et en Espagne. Les catholiques craignaient beaucoup les mouvements communistes et leur athéisme. Avec ses racines européennes, il ressentait avec beaucoup plus d’acuité ce qui se passait là-base, sa sœur était à Londres et son frère à Paris.

Le bilinguisme aidait-il les Québécois à devenir espions ?

Les Britanniques cherchaient des citoyens britanniques qui parlaient français et anglais. Il fallait qu’ils passent inaperçus en France mais puissent communiquer avec Londres en anglais. Pour Biéler, l’éducation européenne était un avantage certain. En tout, il y a eu une quinzaine d’espions québécois envoyés en France, dont la moitié sont morts. Le risque était beaucoup plus grand que pour les soldats canadiens en général : 45 000 sont morts sur 1,1 million.

Quel a été le moment le plus important de vos recherches ?

La rencontre avec sa fille Jacqueline. Jusqu’à 20 ans, son père était l’un des 45 000 soldats morts à la guerre. Elle a décidé de faire le voyage à Saint-Quentin sur la suggestion de son oncle. Quand elle y est arrivée, sa visite était annoncée en première page du journal, tout le monde était ému de voir « la fille du commandant Guy » en pèlerinage, là où son père s’était illustré. Elle a pris des cours d’allemand pour aller au camp où il avait été torturé et y a rencontré de jeunes Allemands qui transforment cet endroit en musée pour perpétuer la mémoire des crimes de leurs ancêtres. Ça l’a aidée à faire son deuil de ce père absent. La découverte de sa fille a été aussi inspirante que son histoire à lui. 

Reste-t-il des questions à résoudre dans l’histoire de Guy Biéler ?

Londres a détruit les archives de ses espions deux ans après la guerre pour rétablir la paix. C’était la guerre froide, et on ne voulait pas froisser les alliés face aux Soviétiques. Dans le nord de la France, il y a trois villes et villages qui ont donné son nom à des lieux, dont deux pour leur rue principale. Mais à Montréal, il n’y a même pas un cul-de-sac en son honneur. Nos plaques d’immatriculation disent « Je me souviens », c’est assez inconcevable. Une maison pour anciens combattants a été nommée en son honneur, et c’est tout.

Quelques faits d'armes

Mai 1943

Peu après son arrivée à Saint-Quentin, Guy Biéler convainc les Britanniques d’arrêter les bombardements de la gare pour épargner les civils et de plutôt lui envoyer des explosifs pour qu’il coupe la ligne Paris-Cologne avec les résistants.

Août 1943

Dans un canal près de Saint-Quentin, il pose des explosifs sous 10 barges qui transportent des pièces de sous-marins.

Octobre 1943

Il répand de l’acide sulfurique dans des wagons qui transportent des moteurs d’avion à destination de l’Italie, puis remplace les lubrifiants des freins de wagons d’autres convois militaires par des abrasifs. 

Décembre 1943

Il change les étiquettes d’un gros chargement d’obus à destination de la Lituanie, pour qu’il soit redirigé vers Toulouse.

— Matthieu Perreault, La Presse

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