Santé sexuelle et reproductive

Le bond en avant des Haïtiens

Haïti a fait d’énormes progrès en matière de santé sexuelle et reproductive, loin du « discours fataliste » qui prévaut généralement. Mais en contrepartie, la perle des Antilles doit aussi composer, de plus en plus, avec les mêmes problèmes de santé publique que les pays riches. C’est l’analyse livrée par le professeur d’anthropologie de la santé à l’Université de Montréal Pierre Minn, avec qui La Presse s’est entretenue hier, en marge d’une conférence sur le sujet dans la métropole.

VIH réduit de moitié

L’une des améliorations les plus marquantes en matière de santé sexuelle, en Haïti, concerne le taux de prévalence du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), qui a été réduit de plus de la moitié depuis le début des années 2000, passant de plus de 5 % à moins de 2 %, souligne Pierre Minn. « C’est attribuable à l’accès aux médicaments, estime-t-il, à l’idée que, oui, les gens pauvres peuvent et doivent [y] avoir accès. » Prendre en charge l’infection au VIH implique un contact « à long terme » avec le patient, ce qui est désormais plus facile, même en milieu rural.

Fécondité en baisse

Le taux de fécondité a lui aussi baissé de moitié. Depuis une trentaine d’années, il est passé de six à trois enfants par femme, souligne Pierre Minn. L’anthropologue y voit notamment un impact de l’éducation, puisque « le taux d’analphabétisme baisse [aussi] », ce qui a souvent pour effet de retarder et d’espacer les grossesses. L’éducation a un autre impact notable : « On voit de plus en plus de femmes médecins en Haïti », constate le professeur Minn. Néanmoins, encore aujourd’hui, une fille sur dix a déjà eu une grossesse avant l’âge de 17 ans.

Révolution téléphonique

Le téléphone cellulaire a représenté « un immense changement » lorsqu’il est « devenu abordable », autour de 2005, estime Pierre Minn. Une grande partie de la population, qui n’avait même pas accès à des téléphones fixes, est donc soudainement devenue capable d’accéder rapidement à de l’information médicale, mais surtout de communiquer en cas d’urgence. « Quand un accouchement à domicile devient compliqué, on peut appeler à l’aide », illustre le professeur, selon qui cette amélioration s’ajoute à celles qui ont fait passer l’espérance de vie de 50 ans à 60 ans au cours des 20 dernières années, estimant toutefois que « ça reste très bas ».

Les Églises contre la contraception

Si la fécondité baisse, il demeure tout de même « des besoins qui ne sont pas satisfaits en matière de planification familiale », note Pierre Minn. Seulement 34 % des femmes en union recourent à la contraception, selon le gouvernement haïtien, une proportion qui était de 28 % en 2000. Parmi les obstacles, Pierre Minn pointe les Églises, qui la proscrivent ou la dénigrent, affirmant qu’elle entraîne des « mœurs légères », ou encore les « réticences » de certains hommes. « L’éducation sexuelle n’est pas [encore] très présente dans les écoles, comme dans beaucoup d’endroits dans le monde », constate le professeur, qui note néanmoins une volonté de lui accorder une plus grande place.

Malbouffe

L’un des principaux défis qu’Haïti doit affronter, c’est l’« augmentation du diabète et de l’hypertension », des « maladies de riches qui affectent de plus en plus de gens dans les pays pauvres », déplore Pierre Minn, qui inclut ces problèmes dans les questions de santé sexuelle et reproductive en raison des risques qu’ils représentent pour les femmes enceintes. « On voit en Haïti une augmentation de la consommation de boissons sucrées, de riz blanc importé de l’étranger, de farine blanche, dit le professeur. Ce n’est pas spectaculaire, pas sensationnel, mais ça aura vraiment un impact à long terme sur la santé de la population. »

Dépendance financière

La dépendance d’Haïti aux bailleurs de fonds étrangers, qui assument « 55 % du budget de la santé », est aussi un défi pour Haïti, souligne Pierre Minn. La planification à long terme s’en trouve compliquée et ces partenaires imposent « leurs priorités et leurs balises ». Les États-Unis de Donald Trump sont par exemple hostiles à la contraception et à l’avortement, tout comme l’était le Canada de Stephen Harper, rappelle le professeur. La rémunération du personnel haïtien est par ailleurs très faible, déplore- t-il, et la forte présence d’organisations non gouvernementales fait en sorte qu’il y a « énormément de roulement » et qu’il est « difficile d’assurer une continuité ».

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