Le mot qui commence par un P

Les ministres des Finances ont beau être des cracks des chiffres, ils peuvent aussi être pointilleux avec le choix des mots.

Après le libéral Carlos Leitão qui insistait (sans grand succès) pour qu’on parle de rigueur budgétaire plutôt que d’austérité, voilà que le caquiste Eric Girard préfère parler de rareté plutôt que de pénurie de main-d’œuvre, l’ennemi numéro un en ce moment. Nulle part dans son minibudget présenté jeudi n’apparaît le mot honni qui commence par P.

Mais peu importe le vocabulaire, le problème reste le même : il manque de bras au Québec. Il manque d’infirmières, de professeurs, de psychologues, d’intervenants à la DPJ, de travailleurs de la construction, alouette.

Si le Québec veut continuer son rattrapage et atteindre le même niveau de vie que l’Ontario d’ici 15 ans, comme le souhaite la Coalition avenir Québec (CAQ), il faut se relever les manches.

Il s’agit d’un fameux défi puisque le Québec vieillit. Les gens en âge de travailler (de 15 à 64 ans), qui représentaient 69 % de la population en 2009, ne seront plus que 60 % en 2034.

Alors ce ne sera pas de la tarte pour les employeurs qui ont déjà toute la misère du monde à recruter. On comptait 220 000 postes vacants en août dernier. Et les chiffres ne font que grimper.

Mais ça tombe bien, car la reprise économique exceptionnelle au Québec a permis de réduire de moitié le déficit prévu, ce qui donne la marge de manœuvre au gouvernement pour agir.

Réjouissons-nous : l’économie va rebondir de 6,5 % au Québec cette année, soit 2,3 points de plus que prévu, ce qui est davantage que dans tout le Canada (5 %), aux États-Unis (6 %) et ailleurs dans le monde (5,8 %).

Chapeau ! Voilà la preuve que les mesures de confinement strictes que les Québécois ont respectées durant la pandémie finissent par être payantes.

Cela permet au gouvernement de débloquer 2,9 milliards sur cinq ans pour lutter contre la rareté de la main-d’œuvre.

Au menu, des bourses d’études dans des secteurs aux prises avec un déficit important de travailleurs, comme la santé, l’éducation, les services de garde, le génie et les technologies de l’information. Les étudiants pourront obtenir jusqu’à 9000 $ pour un programme de trois ans au collégial et jusqu’à 20 000 $ pour un programme universitaire de quatre ans.

Cela devrait aider à relever le taux de diplomation pour les études postsecondaires au Québec ,qui reste largement inférieur à celui de l’Ontario, en particulier chez les garçons.

Sauf qu’il faudra attendre des années avant que la mesure porte ses fruits, alors que le problème est urgent.

À l’autre bout du spectre, Québec offrira aussi des primes aux retraités de la fonction publique qui veulent reprendre du service. Cette prime atteindra environ 3150 $ pour un travailleur qui gagne 40 000 $, par exemple. Mais si cette mesure permettra d’améliorer les services aux citoyens, elle n’aidera en rien le secteur privé, qui reste sur sa faim.

Mais il faut quand même souligner que le gouvernement va bonifier le crédit d’impôt pour frais de garde, ce qui fera en sorte que les parents qui envoient leurs enfants dans une garderie privée – souvent parce qu’ils ne parviennent pas à obtenir une place en CPE – paieront sensiblement le même tarif que ceux qui ont une place subventionnée.

Cela sera plus équitable en attendant que Québec augmente le nombre de places en CPE, ce qui ne peut pas se faire en claquant des doigts, car la liste d’attente compte 37 000 enfants.

Par la bande, la bonification du crédit et l’augmentation du nombre de places en garderie permettront aux parents – en particulier aux femmes – de retourner sur le marché du travail, ce qui aidera à résorber la pénurie de main-d’œuvre.

Oh, pardon ! Plutôt la rareté.

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