Comme une bouffée d’air frais

À côté de polyvalentes bétonnées et désuètes, souvent si peuplées qu’elles pourraient contenir plusieurs villages du Québec, 13 écoles secondaires toutes neuves s’ajouteront dans le paysage d’ici 2024. Eh oui, avec des fenêtres et une volonté claire de s’éloigner du look bunker.

Dans tous les projets de nouvelles écoles secondaires, c’est bien précisé. Il y aura « de la lumière naturelle », des fenêtres par lesquelles les élèves verront le soleil, la pluie, la neige. Un simple coup d’œil aux écoles secondaires en chantier suffit d’ailleurs pour deviner que le mot d’ordre, c’est surtout de ne pas ressembler aux polyvalentes construites dans les années 1970.

L’idée, dit Martin Duquette, directeur général adjoint au centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île, « c’est que les écoles n’aient pas l’air de gros centres d’achats, mais qu’elles facilitent l’esprit de famille ».

Une grosse famille, s’entend : les futures écoles de Montréal-Nord et d’Anjou, dont l’ouverture est prévue d’ici 2024, pourront respectivement accueillir 1700 et 1800 élèves. Celle de Laval est prévue pour 2000 élèves. On reste dans de gros chiffres.

Que 13 écoles soient en chantier est exceptionnel, relève Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).

« Il faut donner cela à la CAQ : ils ont fait de gros investissements en éducation. »

— Nicolas Prévost, président de la FQDE

Cela tranche avec les gouvernements précédents qui, eux, ont très peu investi dans les écoles, accumulé un très gros déficit d’entretien, avec ce que cela a entraîné comme décrépitude, souligne-t-il.

C’est ce qu’écrivait la vérificatrice générale en 2019 : les sommes consenties par le gouvernement au maintien des bâtiments scolaires « ont presque toujours été inférieures à 2 % de leur valeur de remplacement, alors qu’il s’agit d’un seuil minimal recommandé pour les conserver en bon état ».

Pour une durée de vie d’au moins 75 ans

Qui s’assure que les nouvelles écoles seront invitantes, fonctionnelles et durables ? Le gouvernement Legault a confié la rédaction du guide de référence – qui fait 1500 pages – à deux firmes d’architectes, Prisme et Lemay-Leclerc, elles-mêmes responsables de quatre chantiers d’école en cours (Laval, Chambly, Mirabel et LaSalle, à Montréal).

« La conception vise un cycle de vie minimal de 75 ans », indique Krystel Flamand, architecte patron chez Prisme et directrice de projet du Consortium Lemay | Leclerc | Leclerc (Prisme).

Dans les années 1970, fait-elle observer, les polyvalentes étaient construites « à la limite du modèle carcéral », très repliées sur elles-mêmes. C’est que dans un quartier, l’arrivée d’un millier d’adolescents n’était pas vue d’un très bon œil.

Et non, ce n’était pas pour économiser sur le chauffage que tant de polyvalentes (surtout à Montréal et dans ses banlieues plus ou moins immédiates) ont été bâties sans fenêtres. « On voulait en fait éviter que les élèves soient distraits par ce qui se passait à l’extérieur », explique Mme Flamand.

Aujourd’hui, c’est tout le contraire. On veut des fenêtres, quantité de fenêtres, du bois aussi, et on souhaite s’éloigner de la polyvalente aux allures de labyrinthe.

« On construit des écoles qui ont un réel cœur, avec des lieux de socialisation propices au sentiment d’appartenance, avec une entrée claire, aussi. »

— Krystel Flamand, architecte et directrice de projet du Consortium Lemay | Leclerc | Leclerc (Prisme)

Autre priorité : inscrire l’école « au cœur du quartier ». Dans l’arrondissement de LaSalle, ce sera encore plus vrai qu’ailleurs. La nouvelle école secondaire est construite à un jet de pierre d’une école primaire, du cégep André-Laurendeau, du centre aquatique Aquadôme et du Théâtre Desjardins. Les installations des uns pourront profiter aux autres, la future école, elle, arrivant avec un grand terrain de soccer.

Ana Rebeca de Leon, 16 ans, avoue qu’elle aurait rêvé de se retrouver dans de beaux murs. Sa vie familiale a fait en sorte qu’elle en est à sa troisième (vieille) polyvalente. Elle garde un souvenir particulièrement mauvais de l’une d’elles, en banlieue de Montréal, « où des cours se donnaient dans le sous-sol, sans fenêtres. Ça démotive ».

Sans doute d’autres facteurs sont-ils en jeu, mais elle a l’impression que les foules d’élèves, le bruit et l’absence de lumière contribuent « au fait qu’en mi-journée, tout le monde a l’air fatigué ».

Claudine St-Georges, qui a été technicienne en éducation spécialisée pendant 35 ans à la polyvalente montréalaise Antoine-de-Saint-Exupéry, jusqu’à sa retraite en 2020, se souvient du quotidien à l’école, avant qu’une partie des jeunes puissent être envoyés dans un bâtiment adjacent. « Il y avait tellement de monde dans les couloirs qu’on avait sérieusement envisagé d’installer des flèches de circulation. Tant de monde, ça faisait tellement de bruit ! »

L’architecte Krystel Flamand assure que dans les plans de nouvelles écoles secondaires, « des paramètres clairs à atteindre pour limiter le bruit ont été élaborés ».

L’image de l’école publique à redorer

Mélanie Hubert, présidente du Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal, se réjouit pour sa part de la construction d’une nouvelle école secondaire à LaSalle.

Indépendamment de la qualité de l’enseignement offert, « de beaux locaux, ça contribue à l’image d’une école. Quand ça a l’air moderne, lumineux, ça teinte la perception des parents et ça peut aider à rehausser la perception de l’école publique ». Même si, à son avis, la rétention des jeunes face à l’exode vers le privé ne peut pas passer que par l’architecture. Ce que dit la recherche, explique Roch Chouinard, professeur émérite à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, c’est que l’esthétique d’une école et sa taille contribuent au bonheur à l’école et la motivation, sans être le facteur principal. Après tout, souligne M. Chouinard, quand on demande à quelqu’un ses souvenirs de l’école secondaire, « il parlera bien plus du fait qu’il était en échec et n’avait pas d’amis que du manque de fenêtres ».

Oui, ça compte, mais le plus important, dit-il, « c’est une école où un élève se sent bien, où il se sent autonome, en lien avec les autres, avec une bonne estime de lui-même et avec laquelle il a un sentiment d’appartenance ».

Combien coûteront les nouvelles écoles secondaires ?

Au cabinet de Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation, on indique que les coûts se chiffrent à 2,7 milliards, soit 100 millions de plus que le total des appels d’offres datant de 2020. En 2019, Jean-François Roberge avait signalé que la construction de nouvelles écoles se ferait dans des délais « jamais vus ». De fait, la mise à jour du guide des critères de construction des écoles secondaires n’était alors pas encore faite (contrairement au guide des écoles primaires qui, lui, était déjà élaboré). Le chiffre de 1,1 milliard déjà indiqué dans les médias pour la construction des nouvelles écoles secondaires était en fait le seul reflet d’une estimation de ce que ces écoles auraient coûté si les plans avaient été basés sur les anciennes normes, soit celles de 2009, dit Florent Tanlet, attaché de presse de M. Roberge.

Les nouvelles écoles

Charlesbourg (Québec), 2024

Anjou (Montréal), 2024

Montréal-Nord/Saint-Léonard (Montréal), 2024

Drummondville, 2024

Châteauguay, 2024

Saint-Zotique (près de Salaberry-de-Valleyfield), 2023

Vaudreuil-Dorion, 2023

Saint-Jérôme, 2023

Terrebonne, 2023

Chisasibi, 2023

Laval, 2023

LaSalle (Montréal), 2023

Mirabel, 2023

(Agrandissement de l’école secondaire de Chambly : 2023)

Construire sans oublier de rénover

« Pour des jeunes qui vivent dans la pauvreté à la maison, c’est important de pouvoir se dire : “Wow, au moins, on a une belle école” », note Frantz Benjamin, député libéral de Viau, qui comprend le quartier Saint-Michel, à Montréal.

Cette fois, la nouvelle école, elle se construira dans la circonscription d’à côté, à Montréal-Nord. Il ne peut que se réjouir que ce quartier – l’un des plus pauvres au Canada – obtienne un établissement tout neuf.

Mais en même temps, il a aussi un pincement au cœur à la pensée que ses jeunes, dans Saint-Michel, restent dans les vieux murs de leurs polyvalentes. Les mêmes qui les ont déjà accueillis, son frère et lui, il y a plus de 30 ans.

Le député se souvient de sa hâte que retentisse la cloche « pour pouvoir aller au parc et voir le soleil ».

M. Benjamin est tout particulièrement peiné pour les jeunes de l’école primaire Sainte-Lucie, qui, ces dernières années, ont été relocalisées à la polyvalente Louis-Joseph-Papineau parce que leur école tombait en ruine. Des enfants n’auront connu que Louis-Joseph-Papineau, en y faisant presque tout leur primaire et tout leur secondaire. « Dix ans de leur vie… », laisse-t-il tomber.

La compétition du secteur privé

M. Benjamin a d’ailleurs participé à la longue croisade pour doter Louis-Joseph-Papineau de fenêtres (qui ne sont toujours pas installées).

« Je connais des parents qui se saignent à blanc pour envoyer leurs enfants dans une autre école que la polyvalente. »

— Frantz Benjamin, député libéral de Viau

Il est convaincu que des écoles secondaires publiques toutes neuves peuvent aider à lutter contre le décrochage et améliorer la réussite scolaire.

Il reste qu’une école secondaire, c’est autrement plus cher qu’une école primaire, et toutes ne peuvent pas être construites en même temps. Frantz Benjamin le sait bien, mais « par justice sociale », il plaide pour qu’à tout le moins, des améliorations soient apportées aux vieilles écoles dans lesquelles sont maintenus la vaste majorité des jeunes.

Il évoque à ce propos la salle de concert réclamée depuis des années à Joseph-François-Perrault (toujours dans Saint-Michel), où le programme de musique jouit d’une excellente réputation. Si elle était construite, elle pourrait être accessible aux résidants de Saint-Michel, un quartier qui manque vraiment d’infrastructures culturelles.

Moyenne d’âge : 50 ans

En 2019, la vérificatrice générale faisait remarquer que le temps presse. Tous niveaux confondus, les écoles ont en moyenne 50 ans. « Plus le temps avance, plus l’état des bâtiments se dégrade et plus on risque de devoir les reconstruire au lieu de les réparer. »

L’une des écoles en construction, celle de Châteauguay, succède d’ailleurs en fait à la démolition de l’école existante.

Mais outre cette exception, les polyvalentes des années 1970 continueront d’être fréquentées, aussi critiquées soient-elles. Et d’un strict point de vue architectural, elles ont de la valeur en ce qu’elles sont représentatives de leur époque, souligne Claudine Déom, professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal depuis 2006.

Mais on peut très bien les adapter aux besoins d’aujourd’hui. Elle cite l’exemple de l’ancien édifice de HEC Montréal, qui était dans le style des anciennes polyvalentes, et dans lequel on a percé des fenêtres dans les grandes façades de béton.

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