Loin des projecteurs

Mario Saint-Amand veut être quelqu’un pour quelqu’un

L’instant d’une conversation autour de leur carrière, du temps qui passe et du monde qui les entoure, La Presse prend des nouvelles de personnalités chéries des Québécois, qui vivent désormais plus loin des projecteurs

« Avec Mario, il n’y a pas de petites joies, pas de petites peines, tout est à high tout le temps », dit Danielle Fichaud au sujet de l’acteur dont elle devenait la mentore il y a 35 ans. Une intensité sous le signe de laquelle Mario Saint-Amand vit toujours, même s’il s’est éloigné de la caméra, pour renouer avec les bancs d’école.

À 13 ou 14 ans, Mario Saint-Amand visionne Raging Bull, le chef-d’œuvre de Martin Scorsese pour lequel Robert De Niro avait gagné une soixantaine de livres, afin d’incarner Jake LaMotta. « En voyant ce film-là, j’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais faire : m’appliquer à transformer mon corps pour interpréter le plus noblement la vérité d’un personnage », racontait récemment le comédien lors d’un long entretien accordé par visioconférence, dans le confort de sa résidence de Moisie, sur la Côte-Nord, sa région natale.

Sa filmographie n’est pas aussi imposante que celle d’autres interprètes de sa génération, mais la densité de rôles marquants y est exceptionnelle, qu’il s’agisse de Jean-Pierre, le sidéen de L’Amour avec un grand A (pour lequel il a perdu 20 livres), d’Alain, le schizophrène (encore L’Amour avec un grand A) pour lequel il a séjourné deux mois à l’hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine, de Simon Laurin, le frère attendrissant, mais instable de Watatatow, ou de Gerry Boulet.

Marquant, dans tous les sens du terme : le personnage du rockeur s’est à ce point emparé de lui qu’il a abouti devant le médecin, un an après avoir accroché sa perruque, parce qu’il avait le corps « complètement endolori », des maux qu’il parviendra à soigner grâce à la méditation.

Mario Saint-Amand en a vu d’autres, donc. Mais en 2017, au moment où il apprend la mort de son personnage dans District 31 en lisant le scénario, quelque chose en lui se lézarde.

« Le sentiment de rejet que ça me pitchait en pleine face, c’était comme si je n’étais plus bon à rien. Ç’a tué une partie de l’appartenance que j’avais à mon métier. Mais rapidement, ce que je me suis demandé, c’est : comment est-ce que je peux être utile ? »

— Mario Saint-Amand, au sujet de la mort de son personnage dans District 31

Dépité, il se pousse aux îles de la Madeleine, son lieu de prédilection, pour renouer avec ce qu’on appelle l’essentiel. « Et en me levant, le premier matin, c’est le mot “université” qui m’est venu en tête. »

Cette voix

L’université, voilà la principale raison pour laquelle Mario Saint-Amand, 54 ans, est désormais absent de nos écrans. Mais en quoi s’inscrire ? Il aspirera d’abord au droit, afin de se spécialiser en droit autochtone et d’aider ses amis innus – il a déjà été le coloc de Florent Vollant – à défendre leur territoire.

Face à l’évidence de son manque de préalables, il se tournera plutôt vers le certificat en études autochtones, à l’Université Laval, avant de décrocher un boulot d’assistant-chercheur au Centre de réadaptation en dépendance de Québec, qui le mènera au certificat en dépendances. Un domaine dont il possédait déjà une connaissance pratique, lui fait-on remarquer à la blague. Mario, qui n’a jamais fait de cachettes sur son passé en la matière, rigole.

« Travailler avec ces chercheurs-là m’a permis de constater à quel point la dépendance est un phénomène destructeur à l’intérieur des familles autochtones, souligne-t-il. Aider les gens à se rétablir, c’est devenu pour moi une manière de les aider à avoir les moyens de défendre leurs droits, défendre leur territoire. Et c’est pour ça que j’ai décidé de revenir ici, sur la Côte-Nord, en territoire innu. »

Yeux pétillants, réponses généreuses, sourire franc : Mario Saint-Amand est manifestement très heureux de sa deuxième vie. Le comédien s’explique pourtant encore mal pourquoi son rôle dans Gerry (2011) n’a pas relancé sa carrière.

Se pourrait-il que son intensité en effraie certains ? D’autres acteurs ont raconté que sur le plateau du film d’Alain DesRochers, Saint-Amand n’a pas quitté une seconde son personnage. Vérité ou exagération ?

« Je ne peux pas dire que c’est faux, mais je n’ai pas non plus le souvenir d’avoir voulu être Gerry tout le temps. Ce personnage-là m’habitait au-delà de ce que moi je désirais. Les gens disent que je voulais tout le temps être Gerry ; moi, je dis que c’est Gerry qui voulait tout le temps être là. »

— Mario Saint-Amand

En 1988, après avoir été mis à la porte de l’École de théâtre de Saint-Hyacinthe, sous prétexte que sa voix rauque ne lui permettrait pas de projeter suffisamment sur scène, un jeune Mario Saint-Amand, début vingtaine, se tourne vers les ateliers de Danielle Fichaud.

Dans un univers où les rythmes de tournage semblent toujours s’accélérer, l’approche immodérée de son ancien élève en a peut-être refroidi certains, soupçonne-t-elle. « Mais Mario, c’est un acteur unique, qui sait travailler sa voix comme un stradivarius. Quand il a commencé, la singularité n’était pas mise de l’avant dans le métier, au Québec. Il était considéré comme un acteur bizarre, alors qu’aujourd’hui, c’est ce qu’on recherche, la singularité. C’est pour ça que je pense qu’il y a une nouvelle génération de réalisateurs qui va le redécouvrir. »

Se sentir utile

Qu’on lui offre à nouveau de grands rôles, ce qu’il espère, sans en faire une maladie, ou que son téléphone demeure silencieux, Mario Saint-Amand a surtout à cœur ces jours-ci de se sentir utile, répète-t-il, ce que lui permettait son boulot d’acteur, mais jusqu’à un certain point, et de manière plus diffuse. Lors de notre entretien, il parlait avec la fierté d’un père du spectacle de fin d’année que s’apprêtaient à présenter les élèves de 10 à 17 ans du camp Attitude Rock, où il donne des cours de chant. Il travaille aussi à ouvrir son propre bureau de consultation pour personnes dépendantes.

Il y a dans cette éternelle quête d’approbations et de rejets que suppose une carrière sous les projecteurs quelque chose d’addictif, mais aussi, à la longue, de lancinant, comprend-on. « C’est ça qui me ramène ici, dans ma région : je voulais redonner ce que j’ai reçu à des jeunes, à mes amis autochtones, à des personnes dépendantes, dans un rapport un à un, les yeux dans les yeux. J’avais envie d’être quelqu’un pour quelqu’un. »

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